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Confinement et handicap moteur : entre peur et reconnaissance

"Nous ne sortons pas, mais en accueillant nos auxiliaires à notre domicile, nous sommes conscients d’être potentiellement exposés au virus. Elles aussi prennent un risque en venant nous aider, d’autant plus que certaines n'ont pas d'autre choix que venir travailler en transport en commun."

Par: Aurélie Dechambre, Personne handicapée /

Publié le : 02 Avril 2020

Dans le but de freiner la pandémie de Covid 19, la France traverse actuellement une période de confinement. En milieu hospitalier comme en ville l’ensemble des professionnels de santé et du médico-social est mis à rude épreuve, je leur adresse toute ma gratitude et leur tire mon chapeau.
Les autorités nous demandent de respecter les mesures de distanciations sociales.
Avec mon époux, nous sommes tous les deux en situation de handicap et chaque jour, nous dépendons de l'aide d’auxiliaires de vie, pour la plupart des « gestes essentiels » du quotidien. Concrètement, cela signifie que nous avons besoin d'une tierce personne pour nous lever, nous doucher, nous habiller et préparer nos repas. Pour être honnête, dans le contexte actuel, nous donnerions n’importe quoi pour pouvoir nous débrouiller seuls. Cependant, notre handicap ne prend jamais de vacances, et nous avons au minimum besoin d’un passage matin et certains soirs. Sans auxiliaires de vie, nous resterions bloqués dans notre lit.
Nous avons la chance d'avoir un logement bien adapté. Une fois, installés dans nos fauteuils roulants, nous sommes relativement autonomes en journée. En effet, grâce à des aides techniques, nous pouvons, manger, aller aux toilettes, et nous coucher seuls. Certes certains jours, la fatigue nous gagne, mais nous avons demandé à réduire nos interventions, afin de limiter nos contacts. De plus, notre service manque de personnel. Les arrêts maladie sont nombreux et les intervenantes présentes, commencent à s’épuiser. Sans elles, notre confinement serait encore plus difficile, pour ne pas dire cauchemardesque. Dans ces moments-là, la dépendance se fait davantage sentir. Combien de temps allons-nous tenir à ce rythme-là ? J’avoue que je ne sais pas.
Nous ne sortons pas, mais en accueillant nos auxiliaires à notre domicile, nous sommes conscients d’être potentiellement exposés au virus. Elles aussi prennent un risque en venant nous aider, d’autant plus que certaines n'ont pas d'autre choix que venir travailler en transport en commun. Bien souvent, elles laissent à la maison enfant (s) et conjoint inquiets…
Toutes nos auxiliaires de vie sont très différentes les unes des autres. Certaines font ce métier par conviction et empathie, d’autres le font uniquement par besoin alimentaire. Certaines sont très éduquées, d’autres moins et ont tendance à se croire chez elles. En cette période de pandémie, certaines respectent les gestes barrières, d’autres non et ceci malgré les injonctions de leur employeur. Ces intervenantes-là ne semblent pas mesurer la gravité de la situation. Elles ne réalisent pas qu’elles peuvent très rapidement transmettre le virus d’une personne aidée à une autre. Parfois, l’intérêt collectif, ne semble pas faire partie de leurs préoccupations. Alors, inlassablement chaque jour, nous essayons de les sensibiliser. Se protéger, c’est protéger les autres, c’est aussi préserver l’hôpital : avec notre degré de dépendance, si nous venions à être hospitalisés, gérer notre handicap serait une charge de travail supplémentaire pour le personnel soignant. Bien heureusement, toutes nos intervenantes ne sont pas comme cela. Il nous semble important de ne pas généraliser. Néanmoins, nous imposons les mêmes règles à tout le monde.
 

Protégeons-les, protégeons-nous

Malgré les promesses de l’État, l’approvisionnement du matériel de protection (masque, gel hydro-alcoolique, gants) reste pour beaucoup de services, insuffisant et surtout incertain. De notre côté, nous avons un stock personnel, mais ce dernier n’est pas inépuisable et ce matériel revient cher. C’est un surcoût supplémentaire lié au handicap, que beaucoup n’ont pas les moyens de payer.
Nous avons la chance d’avoir un service de soins très réactif avec une coordinatrice à l’écoute ; ce n’est pas le cas partout. Certaines entreprises n’ont que le mot rentabilité à la bouche et oublient qu’elles travaillent dans l’Humain. Ce type de structure ne valorise absolument pas le personnel et les abandons de postes y sont nombreux. Les intervenantes n’ont pas toujours conscience que leur rôle est essentiel dans la vie des personnes dont elles s’occupent.
Le métier d’auxiliaire de vie est un métier très physique et difficile (horaire décalé, planning souvent chargé, manutention parfois compliquée, frais de déplacement peu remboursés). Ce secteur d’activité demeure précaire et manque de reconnaissance. Un grand nombre d’intervenantes n’a pas de réelle formation. Très souvent, elles apprennent le métier sur le tas, pour certaines la barrière de la langue pose un réel problème. Elles ne sont que rarement remerciées par les autorités compétentes et leur salaire est peu revalorisé. Tantôt considérées comme soignantes, tantôt comme aides ménagères ou dames de compagnie. Au bout de neuf ans de vie à domicile j’avoue ne pas savoir si ces dernières font partie du champ sanitaire ou du champ social.
Pour bien faire, il faudrait réformer tout le secteur du maintien à domicile.
En ces temps difficiles pour notre pays, les initiatives solidaires se multiplient…
Dans ce contexte si particulier, soyons reconnaissants envers nos aides à domicile et solidaires entre personnes aidées. Dans la mesure du possible, réduisons nos interventions, afin de permettre à nos aidants, d’aller chez tous ceux qui en ont besoin.
En fin de journée, veillons à les laisser partir à l’heure, rejoindre leurs familles.
Dans l’histoire, tout le monde sera gagnant, car une intervenante reposée, moins anxieuse pour ses enfants, sera plus opérationnelle sur le terrain. Protégeons nos auxiliaires de vie en anticipant nos besoins. Prenons soin d’elles, afin qu’elles puissent continuer à prendre soin de nous.