texte
article
"Toute parole médicale concernant une imperfection de l'enfant à naître est potentiellement létale. Si elle est transmise sans espérance, elle conduit à une demande d'interruption médicale de grossesse. C'est à ce moment que le médecin doit justifier auprès des parents les soins que nécessite le bébé à naître. Dans ces circonstances, il doit en parler dans tout ce qu'il a de normal, de bon, de positif et ne pas le réduire à son imperfection, à son anomalie."
Par: Claire Nihoul-Fékété, Chef du service de chirurgie infantile, hôpital Necker - Enfants Malades /
Publié le : 18 Novembre 2005
Texte extrait du dossier thématique de 2005 Face à la mort périnatale et au deuil : d’autres enjeux, disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Les nouvelles techniques médicales doivent toutes être justifiées par l'équilibre entre le bénéfice que va tirer la personne de la méthode, versus la morbidité et la mortalité. Dans l’estimation du passif, il ne faut pas oublier de prendre en compte le coût de la douleur, le coût affectif (examens impressionnants, inquiétants), et le coût économique.
Trois points, entre autres, me semblent spécifiques à la médecine fœtale.
Le triangle pédiatrique que nous connaissons bien en pratique postnatale — parents/enfant/médecin — est poussé à son extrême en médecine fœtale. En effet, qui défend le fœtus ? (au besoin contre ses parents).
Chaque geste technique effectué par l'équipe médicale pour le bien-être estimé du fœtus, représente pour la mère une agression : douleur des ponctions, peur liée aux examens, y compris l'échographie intra-utérine du fait d’une éventuelle morbidité consécutive au déclenchement de contractions, etc.
Enfin, la loi du 17 janvier 1975 sur l'IVG pèse d'un poids important.
Toute parole médicale concernant une imperfection de l'enfant à naître est potentiellement létale. Si elle est transmise sans espérance, elle conduit à une demande d'interruption médicale de grossesse. C'est à ce moment que le médecin doit justifier auprès des parents les soins que nécessite le bébé à naître. Dans ces circonstances, il doit en parler dans tout ce qu'il a de normal, de bon, de positif et ne pas le réduire à son imperfection, à son anomalie.
De cette façon, le médecin pourra justifier qu'on traite cet enfant à naître, et surtout l'espoir raisonnable d'une guérison.
Dans la plupart des cas, face à la maladie, aux peurs et aux dangers que suscitent les gestes intra-utérins, le désir d'enfant, s'il existe chez les parents, contribuera à faire accepter les soins nécessaires au fœtus. Encore faut-il savoir que la justification de gestes intra-utérins ne peut être étudiée que dans le contexte des lois qui régissent l'interruption de grossesse.
Aux États-Unis et dans les pays de culture anglo-saxonne (l’Angleterre mise à part), l'interruption médicale de grossesse n'est possible que jusqu'à 24 semaines d'aménorrhée. Ultérieurement, elle est illégale, et les pressions des associations qui défendent la vie sont suffisamment fortes pour que les médecins n'osent pas enfreindre cette loi. Les Allemands, qui disposent d’une loi très répressive concernant les interruptions de grossesse, sont encore plus extrémistes.
Depuis 1975, la France a considéré que si les conditions médicales étaient respectées, l'interruption médicale de grossesse pouvait avoir lieu à n'importe quel moment de la grossesse, y compris dans les derniers jours. Dans ce cas, la probabilité d’une affection d'une particulière gravité doit être très forte, et le diagnostic s’avérer quasiment certain. Enfin, il convient que cette affection soit reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Dans ce domaine, un quart de siècle après la rédaction de la loi Veil, un débat pourrait être consacré à ce qui est considéré comme incurable. S’agit-il de l'affection en elle même, et donc de la mise en jeu du risque vital ? Ou bien parle-t-on des séquelles qui sont incurables ?
On constate également que la définition même de ce qui est grave varie d'un couple à l'autre. Les évolutions sociologique et affective de notre société contribuent au fait que les parents, mais aussi les médecins, tendent à interpréter la loi, et souhaitent que l'interruption de grossesse soit justifiée lorsque les séquelles sont incurables.
Pour éviter des interruptions pour simple suspicion de séquelles incurables, les équipes de médecine fœtale sont amenées à proposer de plus en plus de gestes sur le fœtus, avant de se résigner à l'interruption médicale de grossesse.
Quels que soient les enjeux au cours de la grossesse, avant de pouvoir proposer le moindre geste invasif sur le fœtus (et donc de le justifier auprès des parents et de la communauté médicale), il convient d’être en possession de plusieurs données : l'histoire naturelle de l'affection ; la morbidité/mortalité fœtale et maternelle des gestes ; l'infléchissement décisionnel que va apporter le résultat des gestes invasifs.
Nous connaissons mal l'histoire naturelle des malformations au cours de la deuxième moitié de la grossesse et, en particulier, les complications qui peuvent survenir, éventuellement accessibles à un traitement in utero. Les dernières années se sont consacrées à l’étude, par l'échographie ou par des prélèvements, de l'histoire naturelle des malformations, et donc à désigner les traitements in utero justifiés dans la mesure où ils évitaient les complications.
La morbidité/mortalité fœtale, maternelle et obstétricale de nos techniques, doit être rigoureusement appréciée. Pour ce faire, le Club de médecine fœtale a réalisé des statistiques nationales qui permettent d’observer les pourcentages d'incidents et d'accidents relatifs à chaque technique. Ces résultats doivent être communiqués à la communauté Internationale, mais aussi aux parents lorsqu'on leur demande d'accepter un traitement du fœtus.
Pour justifier un geste intra-utérin, il importe de savoir quel est le résultat escompté, si l’intervention influencera la poursuite ou non de la grossesse.
Une notion nouvelle est celle du report décisionnel que va engendrer notre essai de traitement dans le troisième trimestre. Si, par exemple, le fœtus souffre d'une malformation rénale grave, il présente un manque de liquide amniotique. Nous pouvons alors corriger cet oligoamnios par amnio-infusion. La grossesse sera prolongée et parviendra au terme de viabilité avec un poumon correct.
Toutefois, des décisions graves peuvent s’imposer pour
compenser l'insuffisance rénale. Si elle n'a pas pu être bien appréciée in utero, on constatera parfois, après la naissance, que le pronostic rénal se situe au-dessus des ressources de la thérapeutique habituelle et entraîne un projet de transplantation. À trop intervenir sur le fœtus, on arrive à des situations postnatales dramatiques qui nous conduisent à discuter des abandons thérapeutiques postnataux pour en avoir trop fait en prénatal.
Autre exemple, celui la malformation congénitale de la coupole diaphragmatique qui peut conduire à ce que le poumon ne se développe pas. C’est ainsi que certaines équipes américaines ont justifié des interventions à utérus ouvert, qui permettraient d'éviter l'hypoplasie pulmonaire mais entraînent une extrême prématurité avec ses risques cérébraux.
Si les risques cérébraux sont confirmés, on aboutit vers les 10/15éme jours de vie à un diagnostic de bon résultat pulmonaire, grevé d'un pronostic cérébral sévère, ce qui nous conduit à proposer un arrêt thérapeutique après la naissance. C'est pour cela que certains gestes intra-utérins reportent après la naissance des décisions d'interruption de vie. Il s’agit d’un problème très important car, théoriquement, ce report décisionnel dépossède les parents de la décision. En effet, avant la naissance, ils ont « droit » à l'IMG, alors qu’après la naissance, on se situe dans un espace de « non droit » dès lors qu’on pratique un arrêt de vie.
Cela constitue une des raisons fondamentales qui poussent les États-Unis à l'activisme prénatal, y compris pour ce qui concerne la chirurgie à utérus ouvert. Les partisans de la vie à tout prix et les défenseurs de Child abuse sont si puissants politiquement et judiciairement, que rien ne peut être envisagé après 24 semaines d'aménorrhée du point de vue d’une interruption de grossesse et, a fortiori, pas l'arrêt de vie après la naissance.
C’est pourquoi le tout pour le tout est tenté en réalisant une chirurgie intra-utérine. Si cette intervention aboutit à la mort du fœtus après 24 semaines, c'est un peu comme si on avait accepté une interruption médicale de grossesse…
Si l'on peut définir les complications acquises qui apparaissent en cours de grossesse sur une malformation connue, il est scientifiquement et médicalement justifié de les prévenir par nos gestes (drainage, ponction, embolisation, traitements médicaux voire transfusion, etc.).
Même si l'aléa thérapeutique existe en médecine, comme partout ailleurs, cette médecine fœtale, où l'on pratique des gestes visant à éviter que ne s'aggrave une malformation, doit être considérée comme une médecine fœtale au bénéfice du doute, alors que l'interruption médicale de grossesse est une médecine fœtale au maléfice du doute.
Une question majeure se pose lorsque l'on propose un geste intra-utérin pour un fœtus malformé. Quelle est la différence, dans l'évolution de la grossesse et de la malformation, entre les résultats escomptés de ce geste et l’abstentionnisme complet ? En effet, les grossesses qui se terminent par une mort in utero constituent parfois des évolutions « logiques ». À vouloir traiter des symptômes (par exemple, un retard de croissance intra-utérin, un oligo-amnios), on risque de ne pas prendre en considération la cause profonde de ces symptômes (par exemple, une mosaïque chromosomique confinée au placenta). De telle sorte que nos gestes s'opposeraient à la sélection naturelle, faisant porter sur l'enfant et les parents une malédiction que l'évolution spontanée aurait empêchée.
Je participe parfois, et toujours avec respect, à de telles décisions obstétricales, c'est-à-dire à la décision de l'abstention.
Par exemple, un fœtus de 26 semaines (un terme à haut risque de séquelles, malgré les progrès de la néonatalogie) présente une malformation qui est curable, mais se complique brutalement sur le plan général (par exemple, à une très grosse tumeur sacro-coccygienne se surajoute une insuffisance cardiaque). Après réflexion, il est décidé de ne rien faire et de revoir la patiente quelques semaines plus tard. Si la mort naturelle ne s'est pas produite, on propose un geste qui peut être l’embolisation de la tumeur, en expliquant clairement les bénéfices et les risques pour le fœtus et la mère.
La décision initiale de ne rien faire est intelligente et éthique. Elle évite une escalade thérapeutique si l'enfant naît très prématurément, et d'avoir à se poser alors la question d'un arrêt de vie devant des séquelles neurologiques graves. Cette décision est difficile à prendre, mais elle tient compte de l'histoire naturelle de la malformation.
Il nous faut donc disposer d’outils. D'abord, pour évaluer ce que nous faisons, à quel terme les actions sont encore efficaces, et quels sont les risques liés à la prématurité. Il convient également d’éviter de traiter l'intraitable, et d'avoir ensuite à prendre des mesures illégales qui visent à supprimer une vie qui, sans notre intervention, se serait achevée avant le terme de sa vie intra-utérine.
Il est satisfaisant de constater que, matériellement et physiquement, aucune initiative ne soit possible sur le fœtus autrement qu’à travers la mére. C'est pourquoi, dès l'essor des ultrasons dans les années 1980, avant que l'information médicale ne connaisse cette vogue délétère (comme s'il y avait d'une part la médecine scientifique et de l'autre l'information médicale), les acteurs de la médecine fœtale ont développé une méthode d'information très complète.
Il n'y a pas de médecine sans colloque singulier. Il s’avère artificiel et pervers de considérer l'information médicale comme une science à part avec un enseignement spécifique. L'acte médical commence et finit par une rencontre entre le médecin et le patient. C’est le patient qui renseigne, qui répond aux questions bien posées. Il est soulagé qu'on lui pose les bonnes questions afin de lui permettre de fournir les renseignements adéquats.
Puis, à la fin du colloque singulier, et après réalisation par le médecin des examens complémentaires souhaités, la situation s’inverse. Il revient au médecin de renseigner. Dès lors, le patient établit la différence entre le médecin compétent qui renseigne clairement, de façon intelligible, sincère et loyale, même et surtout sur les incertitudes, et celui qui reste vague, élude les questions précises et refuse d'étudier le pronostic avec précision.
L'information relève de la compétence médicale. Il ne s’agit pas d’un plus ou d’un luxe, mais de la justification des gestes que l'on propose. Bien renseigné, le patient — en l'occurrence le couple —, va participer à la décision. Quelle hypocrisie que de dire que le couple va décider seul ! Il est venu pour être renseigné, afin que le médecin justifie les techniques envisageables. Il est là pour partager un peu de la connaissance médicale relative au cas précis de son enfant à naître. Dans la majorité des cas, il demande aussi à partager la décision, ce qui du reste est parfaitement accepté et justifié en médecine fœtale.
Aucune situation n'est semblable. Il faut savoir accepter que pour une même malformation on se résigne dans certains cas à l'interruption médicale de grossesse, car le couple ne peut pas affronter un grand risque, et que, dans d’autres circonstances, on conseille la poursuite de la grossesse avec activisme : geste intra-utérin et naissance avant terme.
En France, la chirurgie à utérus ouvert ne nous semble donc pas justifiée, sauf cas très particuliers. Cette chirurgie obère toujours l'avenir obstétrical de la femme par la dangereuse cicatrice utérine corporéale. Cette chirurgie comporte une morbidité maternelle (rupture utérine, infection, phlébites pelviennes, etc.). Elle est synonyme de grande prématurité chez l'enfant avec toutes ses séquelles.
Qu'en est-il des gestes à utérus fermé ? Certes, ils comportent un risque de prématurité s'ils sont réalisés par des médecins peu entraînés, la compétence étant absolument indispensable. Ils sont néanmoins justifiés lorsque l'on a réduit l'incertitude sur le pronostic de la malformation, c'est-à-dire que l'on connaît bien son histoire naturelle et que, sans geste intra-utérin, le pronostic s’avérerait péjoratif.
S'ils apparaissaient inutiles ou injustifiés (en particulier s’ils permettaient à la grossesse de continuer alors que le fœtus reste très malade et que sa malformation laisse de graves séquelles), ou n'avaient pas eu le bénéfice escompté, on peut proposer aux parents une interruption médicale de grossesse au 3ème trimestre.
La médecine fœtale représente pour nous une médecine positive qui devrait s'exercer au bénéfice du doute, dans le but de surveiller le bien-être fœtal et de remédier, si faire se peut, aux accidents acquis pendant la grossesse. L'élimination des handicaps constituant une dérive de cette médecine, les traitements intra-utérins sont justifiés dès lors qu'ils concernent des anomalies curables sans séquelles majeures, notion malheureusement parfois difficile à affirmer.