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L'auteur analyse les différents types d'éléments détectables par diagnostic prénatal ainsi que leurs implications sur le prolongement, ou non, de la grossesse, de la décision des futurs parents aux implications éthiques et à la responsabilités des professionnels de santé.
Par: Martine Le Merrer, Généticienne clinicienne, département de génétique médicale, hôpital Necker - Enfants Malades, AP-HP /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique HS n°2, Les tests génétique : grandeur et servitude. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Les progrès de la génétique moléculaire, ont permis d'identifier de nombreux gènes responsables de handicaps plus ou moins sévères. À côté de l'identification du mécanisme du handicap, ces évolutions permettent de savoir si, en situation de risque potentiel, un enfant à naître est porteur de l'affection génératrice de difficultés, même si le handicap n'est pas encore repérable : soit que la maladie apparaisse au cours du développement, soit qu'elle ne soit pas accessible au dépistage échographique.
Il y a encore quelques années, le diagnostic prénatal était impossible, ou possible uniquement pour les anomalies chromosomiques comme la trisomie 21. Le conseil génétique permettait au couple de disposer d'une estimation du risque de récurrence et de prendre alors une décision : ne pas avoir d'enfant ou en avoir, en prenant le risque qu'il soit atteint.
Une telle situation impliquait une prise de risque, qui désormais paraît pour beaucoup inconcevable. Le diagnostic prénatal a complètement modifié cette démarche, s'agissant de la procréation. La notion de risque a été transformée en certitude : enfant ou fœtus atteint ou non atteint. La décision a été très vite ramenée à l'alternative : accepter ou ne pas accepter le handicap qui en découle et donc le bébé, c'est-à-dire la personne qui en est atteinte.
Très naturellement, notre société nous pousse à prévenir tous les risques. On constate l'incidence des compagnies d'assurances et des procédures judiciaires qui procèdent de notre volonté de tout contrôler et de tout prévoir. Connaître son avenir, a toujours tenaillé l'homme depuis la nuit des temps.
Or, le diagnostic prénatal est un acte techniquement possible, qui permet de connaître le statut d'une personne concernant une affection particulière et donc de prévoir la réalité d'un possible handicap ou d'une difficulté sérieuse. Il ne s'agit plus d'une probabilité mais d'une certitude.
Compte tenu de l'absence d'un traitement dans l'état actuel de nos connaissances, la seule proposition possible faite à un couple à risque consisterait donc à décider de ne pas avoir d'enfant afin d'éviter tout risque. Le choix de ne pas faire d'enfant s'avère pourtant non recevable. Le droit à l'enfant exempt de l'handicap, pour ne pas dire parfait, est considéré actuellement comme allant de soi, bien qu'objectivement cela soit très discutable.
Quand la naissance d'un enfant handicapé est acceptée de plein gré, se pose alors à la fois le problème de la charge imposée à l'enfant, à ses parents, mais aussi à la société. Ces réflexions sont d'ailleurs celles que l'on recueille lors des entretiens préalables aux demandes de diagnostics prénatals. Dans certains cas, accepter la naissance d'un enfant atteint peut être envisagé comme un sacrifice ou une fatalité, mais ces valeurs n'ont plus beaucoup court dans notre milieu occidental. Le diagnostic prénatal va donc faire appel à deux grandes notions qui restent en balance :
- culpabilité de choisir d'interrompre la grossesse, ou accepter de faire naître un enfant atteint ;
- responsabilité d'interrompre la vie, ou d'imposer à l'enfant un handicap. En outre, les demandes de diagnostic prénatal se font dans des situations très variées.
Le diagnostic prénatal est possible après conseil génétique. Cela est a priori facile. Pourtant, si le handicap est présent chez un des parents ou bien un enfant vivant, l'interruption médicale de grossesse peut être vécue comme un désaveu de cette personne atteinte.
Prenons l'exemple de l'achondroplasie (nanisme), affection dominante autosomique. Deux personnes atteintes d'achondroplasie ont un risque de un sur deux d'avoir un enfant atteint d'une forme semblable à la leur, un risque sur quatre d'avoir un enfant atteint d'une forme homozygote incompatible avec la vie, et une probabilité sur quatre d'avoir un enfant achondroplase comme eux. Elles demandent bien sûr le diagnostic prénatal pour interrompre, le plus tôt possible, la grossesse d'un enfant atteint d'une forme homozygote non viable. Dans le cas d'un seul conjoint atteint d'achondroplasie, le diagnostic prénatal par biologie moléculaire à 10 semaines de grossesse sera demandé pour mettre en évidence le caractère pathologique comme chez celui du futur parent. Cette différence d'attitude vis-à-vis du même handicap est très illustrative : la décision dépend aussi de la structure de la famille et du vécu de l'affection par les patients.
On peut se demander comment vivra un enfant normal, né après plusieurs interruptions médicales de grossesse d'un enfant atteint ? Va-t-il devoir compenser les espoirs déçus de ses parents concernant les autres bébés interrompus ? La situation peut être considérée comme plus facile, en cas de pathologie létale, mais pourtant le traumatisme psychologique peut être considéré comme aussi lourd.
Le diagnostic moléculaire est possible pour de nombreuses affections, mais celui-ci ne peut prédire la sévérité de l'affection. C'est le cas de nombreuses affections neurologiques comme la myopathie facio scapulo humérale ou certains syndromes polymalformatifs comme le syndrome de Noonan ou bien le syndrome d'Ellis Van Creveld, pour lesquels c'est la présence d'une malformation cardiaque associée qui fait la gravité de l'affection et non la dysmorphie.
Dans ce cas, à l'identification moléculaire qui implique un prélèvement fœtal et une étude préalable, il convient d'ajouter un complément d'examen tel qu'une échographie, pour dépister une anomalie morphologique grave quand cela est possible. Toutefois, sachant que l'enfant est atteint de la mutation génétique, est-ce un choix recevable que de laisser évoluer la grossesse si l'on considère que l'enfant est modérément atteint ?
Prévenir, c'est peut-être aussi interrompre, au motif de la certitude que l'enfant est malade, sans préjuger de la gravité de l'affection. En effet, qui peut affirmer l'absence d'une autre complication non visible au moment de l'échographie ?
Il est difficile de prédire quel sera, dans 50 ans, le devenir thérapeutique d'une maladie pour l'instant non curable, qui raisonnablement pourra bénéficier des avancées de la recherche actuelle, comme par exemple dans les rétinopathies pigmentaires ou la maladie de Huntington.
Bien des patients demandent un diagnostic prénatal, pour des affections qui ne s'exprimeront chez leurs enfants que dans la deuxième partie de la vie malgré les espoirs raisonnables de possibilités thérapeutiques à terme. En effet, quelle image peuvent avoir d'eux-mêmes des parents qui accepteraient en connaissance de cause, le pari d'un traitement possible dans un futur imprécis avec des contraintes éventuelles encore inconnues ?
Il est parfois possible de mettre en évidence la mutation du gène qui est responsable d'anomalies morphologiques. C'est alors la tentation de ne pas faire naître un enfant pour un " délit de sale gueule ". Plusieurs exemples sont déjà d'actualité.
Les craniosténoses sont parfaitement accessibles à une chirurgie réparatrice d'excellente qualité. Plusieurs gènes ont été identifiés et des mutations mises en évidence. De même, certaines petites tailles constitutionnelles qu'on ne peut considérer comme des nanismes — car supérieures ou égales au cinquième percentile — sont dues à des mutations de gènes également identifiés, comme s'agissant de la dyschondrostéose de Leri Weill ou de l'hypochondroplasie.
Dans ces cas, de quel handicap parle-t-on ? Un handicap réel ou social ? On observe alors une confusion dans l'esprit des couples concernés, qui évoquent les difficultés sociales et affectives et s'interrogent sur le droit qu'ils ont à donner naissance à un enfant dont ils savent, pour l'avoir éprouvé personnellement, qu'il sera confronté soit à un mal de vivre, soit à un rejet dont ils se sentent déjà coupables. Pourtant le rejet peut être lié à beaucoup d'autres facteurs. Alors est-ce une raison pour ne pas naître ?
Pour refermer cette approche sur une note relativiste, comment accepter l'idée, bien souvent non exprimée, qu'un couple de petite taille ou de malentendants acceptera bien (et peut être mieux !) un enfant atteint du même handicap, qu'un enfant indemne qui leur sera à certains égards un peu étranger ?
Le dépistage néonatal de la phénylcétonurie ou de l'hyperplasie congénitale des surrénales, peut permettre, avec un traitement efficace, une guérison sans séquelles. Toutefois, ce traitement est contraignant. Cette contrainte conduit parfois les parents à demander un diagnostic prénatal pour les grossesses suivantes, tenant pour argument les difficultés et la médicalisation rencontrées par l'enfant atteint.
Dans le cas de la phénylcétonurie chez la fille, la nécessité de la reprise, avant une grossesse, du traitement dans le but d'éviter les effets tératogènes de l'accumulation de la phénylalanine, impose une contrainte supplémentaire à laquelle certains croient pouvoir répondre par le diagnostic prénatal en évitant la naissance de filles atteintes.
Le nombre de gènes de prédisposition aux maladies dites communes, au cancer et au diabète, ne fait qu'augmenter. Les patients bien informés, sont peu demandeurs d'examen moléculaire pour ces indications. Ce n'est pas toujours le cas pour les apparentés qui sont souvent mal informés, parfois par des médecins non impliqués dans ces recherches, qui croient faire bien en demandant des explorations complémentaires. En effet, quand on parle de repérer un trait génétique, on pense obligatoirement une analyse de l'ADN Pourtant, dans un certain nombre de cas, il est possible par une analyse biochimique d'obtenir des informations qui permettent de définir un profil ou une maladie génétique particulière.
C'est le cas pour la spondylarthrite ankylosante qui est associée fréquemment au groupe d'histocompatibilité HLA-B27. Telle est la demande formulée d'un jeune couple : le père du jeune homme était atteint d'une spondylarthrite et était HLA-B27. Cette découverte a conduit le médecin de famille à effectuer cette recherche chez tous les enfants de cet homme. Dans le même temps, un cancer de la mâchoire s'est déclaré, dont il est décédé rapidement. Le jeune homme très inquiet, lui-même HLA-B27, demande son risque d'avoir une enfant HLA-B27 et sollicite un diagnostic prénatal pour éviter à ses enfants le sort de leur grand-père.
Seulement, il n'a pas compris que l'évolution de la maladie de son père était en relation avec le cancer et sans rapport avec le caractère HLA-B27. De plus, il établit une confusion entre prédisposé car HLA-B27 et inéluctablement atteint.
Il convient donc de rappeler que, face à l'aléatoire, nos conceptions et nos attitudes différent selon les cultures : peu acceptable dans un milieu cartésien et occidental, acceptable selon l'hypothèse d'un déterminisme qui régit le monde, d'inspiration plutôt oriental.
Or, en l'absence de diagnostic de certitude, la portée et les limites du calcul de probabilité conduisaient à se soumettre aux principes présentés par des instances non scientifiques, philosophiques ou religieuses. Les progrès moléculaires permettent de lever la notion d'aléatoire et rendent extrêmement difficile de lutter contre le raisonnement indéfectible des patients qui demandent au médecin d'accepter un diagnostic prénatal pourtant jugé comme discutable mais qui leur permettra de retrouver une normalité, du moins le croient-ils.