Coordination scientifique :
Amélie Petit, chercheuse postdoctorale en sociologie, CESP U1018 (Inserm/Paris-Saclay)
Paul-Loup Weil-Dubuc, responsable du pôle recherche, Espace de réflexion éthique d’Ile-de-France, CESP U1018 (Inserm/Paris-Saclay)
Anne-Caroline Clause-Verdreau, médecin de santé publique, observatoire des pratiques éthiques, Espace de réflexion éthique d’Ile-de-France
Stéphanie Tchiombiano, maîtresse de conférences associée en science politique, co-responsable du master Développement et Action Humanitaire, Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
En consacrant cette journée d’étude aux effets sanitaires du changement climatique et plus précisément aux enjeux éthiques de l’adaptation des sociétés et des individus, l’Espace éthique d’Ile-de-France ouvre un champ de réflexion et de débat public pour les années à venir. Outre cette journée d’étude et d’autres événements publics à venir, cet investissement se traduit par la création du podcast « Le climat, c’est la santé ! ».
Depuis le début des années 1990, le GIEC, l’OMS, les agences de santé publique, etc., ne cessent d’alerter les sociétés sur les enjeux sanitaires du réchauffement climatique (sécheresse, canicule, inondations, réémergence de maladies infectieuses, etc.). Toutefois, malgré l’accumulation de rapports et d’articles scientifiques, l’inaction politique demeure dominante (Aykut, Dahan, 2015 ; Comby, 2015 ; De Pryck, 2023), faisant du réchauffement climatique un impensé sanitaire (Wang, 2015, Workman et al. 2018). Les vulnérabilités individuelles et collectives au changement climatique, aussi bien l’exposition à des risques sanitaires que l’incapacité à s’adapter à l’événement et/ou à ses effets, n’en sont que renforcées et plus inégalement réparties entre les groupes sociaux (Chung, 2021 ; Weil-Dubuc, 2023).
Sans doute ce fossé entre la connaissance des impacts du changement climatique et leur degré de priorisation dans l’agenda politique tient-il en partie à des dilemmes et conflits de priorité qui, parce qu’ils ne sont pas toujours explicités, paralysent l’action, qu’elle soit publique, collective ou individuelle. L’enjeu de cette journée sera précisément de faire valoir les multiples apports d’une réflexion proprement éthique sur ces questions, en dialogue avec les sciences sociales, les sciences cognitives et les sciences du vivant.
Il s’agira en premier lieu de mettre en évidence les désaccords et tensions auxquels les acteurs du changement climatique se trouvent confrontés. Mais l’apport de la réflexion éthique est aussi de penser les conditions même d’une discussion et d’une coopération : comment partager la responsabilité à de multiples échelles spatiales et temporelles et engager de véritables politiques coopératives ? Comment encourager une approche internationale, intersectorielle et interdisciplinaire et favoriser des actions concertées entre des traditions nationales, politiques, professionnelles et disciplinaires parfois très différentes ? Enfin, il nous faudra poser des questions de principe incontournables : comment penser la responsabilité lorsque ces risques s’étendent au-delà des frontières et des générations ? Selon quels principes de justice climatique et d’éthique environnementale avons-nous le devoir moral de lutter contre le réchauffement climatique et ses effets sur la santé ?
Accueil et introduction. 9h-9h30
Sarah Alby, directrice de l’Académie du Climat
Fabrice Gzil, professeur associé à l’Université Paris-Saclay, co-directeur de l’Espace de réflexion éthique d’Ile-de-France, CESP U1018 (Inserm/Paris-Saclay)
Amélie Petit, chercheuse postdoctorale en sociologie, CESP U1018 (Inserm/Paris-Saclay)
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Session 1 : 9h30-10h45. Agir pour le vivant.
Léo Coutellec, Maître de conférences en épistémologie et éthique des sciences contemporaines à l’Université Paris-Saclay, (Inserm/Paris-Saclay)
Sophie Gosselin, Philosophe, Université de Tours
David gé Bartoli (sous réserve), philosophe, Université de Tours
Modération : Amélie Petit
Les conséquences sanitaires du changement climatique posent avec une acuité particulière la question du vivre ensemble et des relations au vivant (Morizot 2020, 2023 ; Aeschimann et al. 2021). Les menaces auxquelles s(er)ont exposées les populations sont l’occasion de poser un regard plus configurationnel (Elias 1991 [1987]) sur les phénomènes qui concourent à la santé des êtres vivants. Il s’agit alors de porter une ferme attention à notre « condition terrestre » (Bartoli, Gosselin 2022 ; Latour 2015, 2023), à ce qui nous rend solidaires de l’étendue terrestre (Berque 2000 ; Morizot 2017). L’efficacité des politiques climatiques dépend de cette capacité à appréhender symbiotiquement notre environnement (Albrecht 2020) et à (re)découvrir que « habiter, c’est toujours cohabiter, parmi d’autres formes de vie, parce que l’habitat d’un vivant n’est que le tissage des autres vivants » (Morizot 2020 : 32). Mais alors, comment « faire société » en respectant les processus multifactoriels qui lient notre santé au climat et à la biodiversité et par ricochet, à la santé des sols, des forêts, des mers, des océans, des animaux et de la Terre en général ? Comment redonner une épaisseur sensorielle aux relations que les individus entretiennent avec leur environnement (Fleury, Prévot 2017 ; Pierron 2021, 2023) ? Comment fonder un nouvel ordre social sensible aux interdépendances écosystémiques qui nous constituent en tant qu’être vivant en bonne santé ? Comment faire advenir, dès le plus jeune âge, une « éthique de la terre » (Aldo, 1944 [2021] ; Callicott, 2010) capable de repenser l’idée même de « nature » (Descola 2005) et les fondements de nos modèles productifs (Bidet, Rigoulet 2023 ; Escobar 2018 ; Martinez-Alier 2014) ?
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Session 2 : 11h-12h30. Agir à l'échelle globale.
Michel Bourban, Assistant Professor, philosophie, Université de Twente (Pays-Bas)
Sabine Lavorel (sous réserve), Maître de conférences en droit public, Université Grenoble Alpes
Modération : Stéphanie Tchiombiano
Comment aborder la lutte contre le changement climatique à l’échelle internationale ? Quelle doit être la contribution de l’OMS en matière de préconisations sanitaires (Kastler 2019) ? Sur quelles valeurs communes fonder une approche globale de la santé tout en étant capable de proposer des solutions qui cadrent avec les spécificités des territoires ?
Comment répartir équitablement les devoirs de justice climatique tout en tenant compte de « l’ignorance excusable », de l’inégale responsabilité des pays en matière d’empreinte carbone, pour ne citer que cet exemple, et des grandes inégalités de ressources (financières, techniques, politiques) qui les caractérisent pour mettre en place des politiques efficaces ? Il s’agira notamment de s’interroger sur les implications pratiques et opérationnelles du lien entre changement climatique et droit à la santé.
Les populations les plus touchées sont souvent celles qui ont les plus faibles capacité d’adaptation. Elles sont doublement vulnérables. Le réchauffement climatique renforce les iniquités entre régions du monde et complexifie la prise en compte des injustices. Dans quelle mesure et à quelles conditions le principe du remboursement des « pertes et préjudices » liés aux impacts des changements climatiques est-il une réponse adaptée aux enjeux?
Des facteurs d’ordre politique, socio-économique, démographique et culturel conditionnent la vulnérabilité au changement climatique. Les États les plus pauvres et ne disposant pas de suffisamment d’infrastructures sanitaires – et qui par ailleurs sont aussi ceux qui contribuent le moins au réchauffement climatique –, se trouvent notamment être les plus exposés aux risques sanitaires, ce qui soulève d’importantes questions de justice sociale (Bourban et al. 2023).
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Session 3 :14h-15h15. Agir à l'échelle des territoires.
Anahita Grisoni, docteure en sociologie, Cheffe de l'Observatoire Parisien de la Santé Environnementale
Mathilde Pascal, épidémiologiste, chargée de projet changement climatique et santé, Santé Publique France
Modération : Paul-Loup Weil-Dubuc
Si le réchauffement climatique est destructeur pour la santé des populations, il se pourrait également que l’adaptation au changement climatique nécessite de procéder à des choix contraires à la santé de certaines populations. Comment concilier par exemple l’objectif d’une diminution de l’empreinte carbone du secteur des soins, en particulier dans les hôpitaux et les lieux d’hébergement collectifs, et des prises en charge de qualité pour toutes et tous ? De nombreux dilemmes et arbitrages analogues se présentent à l’échelle régionale qui imposent de dépasser le cloisonnement des politiques publiques et des disciplines et de créer des collaborations inédites entre les acteurs de la santé, du médico-social, du logement, de l’urbanisme, des transports, etc. Enfin, comment se prépare-t-on à des problèmes sanitaires dont on sait qu’ils surviendront mais sans en maîtriser ni le moment, ni l’ampleur ? Comment mobiliser de manière féconde ce qui a été appris lors de crises précédentes, ou mis en œuvre avec succès dans d’autres pays ?
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Session 4 : 15h30-16h45. Agir sur les comportements individuels.
Kevin Jean, Maître de conférence en épidémiologie, CNAM
Aurore Grandin (sous réserve), doctorante en sciences cognitives, École Normale Supérieure Ulm
Modération : Anne-Caroline Clause-Verdreau
Les enjeux sanitaires du réchauffement climatique et le sort des générations présentes et futures sont-ils des motifs moraux suffisants pour motiver l’adoption de gestes dits écoresponsables ? Ce n’est pas parce que les individus adhèrent moralement à une règle qu’ils s’appliquent au quotidien à l’honorer. Faut-il inciter ? Contraindre ? Convaincre ? Sensibiliser ? Intégrer les questions de santé publique au cœur des politiques climatiques permet-il de favoriser des co-bénéfices ? Les mesures de santé publique, telle que la promotion d’une alimentation plus végétale ou d’une mobilité plus active ont par exemple des effets bénéfiques à la fois sur la santé des populations et sur l’évolution du climat. Dans quelle mesure pouvons-nous faire appel aux affects des individus pour penser les formes de la mobilisation collective contre le changement climatique (Albrecht 2020 ; Bernard et Sevestre 2023 ; Morizot 2019 ; Pierron 2023) ?
Avec la participation de la photographe Andrea Olga Mantovani
Conclusions. 16h45-17h