Diagnostiquée malade à corps de Léwy, au milieu de ma quarantaine, j’ai vécu le séisme psychique que représente l’annonce d’une maladie neurodégénérative incurable relativement mal connue. De là, j'ai dû entièrement redéfinir ce qu'il est convenu d'appeler mon "projet de vie" ; cette réflexion comporte aussi à mes yeux celle de la fin de ma vie.
La maladie va me faire perdre des acquis aussi fondamentaux que ma lucidité, ma motricité, ma propreté et ma parole. Qui serai-je alors ?
Dans ces conditions vivre comme un fantôme ne correspond pas à la conception que j'ai de l'existence, ni à celle que je voudrais imposer à mon entourage. Je tiens à ce que mon conjoint, mes enfants, ma famille gardent de moi une image digne, responsable et autonome.
Je souhaiterais le moment venu c'est-à-dire à partir de critères clairs, objectifs et mesurables correspondant à la dégradation de mon état de santé, pouvoir être aidée à mourir, c'est-à-dire bénéficier d'un suicide médicalement assisté.
Les professionnels de santé qu'ils soient neurologues, psychiatres, psychologues ou généralistes, refusent d'entendre ma demande - à terme - de suicide assisté. Leurs propos visent à minimiser la souffrance psychique qui résulte actuellement de la maladie puis sera amplifiée par son évolution. Cette simple négation de ma souffrance accroit évidemment la crainte de l'avenir.
Puisque notre société nous reconnaît la possibilité de mettre fin à une vie autre que la nôtre, par l'avortement, pourquoi ne pas accepter la volonté de certains à savoir les personnes atteintes de maladies incurables d'être aidées à mourir simplement, efficacement et légalement au moment où elles l'auront choisi ?
La situation actuelle aboutit à l'exemple de la problématique de l'avortement dans les années 60/début 70 à ce que seules les personnes qui en ont la possibilité intellectuelle et matérielle puissent bénéficier d'un suicide à l'étranger : n'est-ce pas nier la souffrance d'une partie de la population ?
Est il normal de devoir partir en Suisse et payer plus de 10 000€ ! pour pouvoir mettre fin à ses souffrances ? Est il normal de partir en Belgique et après 6 mois de souffrances supplémentaires (leur délai de carence), pourvoir mettre fin à ses souffrances ?
Concrètement ma demande serait de pouvoir bénéficier d'une consultation avec un neurologue et un psychologue ou psychiatre afin de codéfinir une grille de symptômes avec une cotation de leur évolution sur laquelle je me prononcerais afin de définir les limites où je juge acceptable de vivre selon l'évolution de la maladie. Une telle grille serait donc à la fois spécifique à chaque pathologie et personnalisée par la tolérance individuelle des symptômes. Ainsi, sa précision irait au delà des « directives anticipées » actuelles, qui peuvent être source d’interprétation. A partir de cette grille spécifique, lorsque les critères pré-définis et co-construits seraient atteints, je souhaiterais pouvoir recevoir un cocktail létal pour permettre un suicide dans la sérénité et l’efficacité.
A l’inverse l’hypocrisie actuelle aboutit à des suicides à l’issue incertaine, faute d’une médication adaptée et dans la crainte de dépasser ce moment de lucidité. En effet dans le cas d’une maladie neurodégénérative, la perte progressive de la lucidité implique de ne plus avoir conscience de ce moment charnière, d’où l’importance d’un accompagnement et d’une anticipation lucide, préalablement formalisée à partir de critères objectifs.
N’est il pas pire d’espérer chaque jour sa mort ou la mort de votre proche ? est-ce un signe d’humanité ?
Avec un tel cadre nous sommes loin de la psychose de certains d’un suicide sur un coup de tête, voire d’une porte ouverte aux suicides en masse.
J'espère prochainement entendre une personnalité de la force de Simone Veil quant à l’avortement pour porter un tel projet de dignité humaine.
A propos de ce texte
Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie