La locution « fin de vie » n’appartient pas au langage courant. Dans nos conversations usuelles, nous parlons plus volontiers de « la fin de la vie ».
La notion de « fin de vie » désigne une période déterminée de notre existence, sa période ultime, celle qui précède directement la mort.
Cependant, on ne parle pas de « fin de vie » lorsqu’une mort survient brutalement, de manière imprévisible, par exemple suite à un accident de la route. On en parle lorsque la mort est, d’une certaine façon, prévisible, par exemple lorsqu’une personne est en phase avancée d’une maladie incurable,
La « fin de vie » englobe, mais ne se réduit ni à ce que l’on appelle la « phase terminale » d’une maladie, ni à « l’agonie ». Le médecin Jean-Marie Gomas, par exemple, estime que dans l’évolution de certaines maladies, « la fin de vie, c’est des semaines ; la phase terminale, c’est des jours ; et l’agonie, c’est des heures ». L’on peut donc être « en fin de vie » sans « être mourant » : les deux expressions ne coïncident pas tout à fait.
Elles coïncident d’autant moins que, comme le note le CCNE dans son avis n°139, la temporalité de la fin de vie paraît s’être allongée au cours des dernières années. Alors qu’il y a quelques temps encore, l’on ne parlait de « fin de vie » que lorsque le décès était prévisible à court terme (dans un délai allant de quelques jours à quelques semaines), la notion tend aujourd’hui à désigner une période plus longue, au cours de laquelle la mort n’est pas prévisible à court mais à moyen terme (par exemple dans un délai de quelques mois).
Deux raisons paraissent expliquer qu’actuellement, l’on s’intéresse davantage à cette période de la vie, qui tend à s’allonger.
La première est que, du fait des progrès de la médecine, on observe un recul des maladies infectieuses, une chronicisation de certaines maladies (comme les cancers) et un maintien en vie de personnes (comme les victimes d’accident vasculaire cérébral) qui décédaient plus souvent par le passé. Dans ces situations, la période au cours de laquelle le décès est prévisible (du fait de l’évolution de la maladie ou de la récurrence du problème de santé), mais ne survient pas immédiatement, a tendance à s’allonger.
La deuxième raison de la focalisation sur la « fin de vie » est l’allongement de l’espérance de vie qui peut s’accompagner, à partir d’un certain âge, de la survenue d’un certain nombre de pathologies, de comorbidités et/ou d’incapacités. Dans ce cas, la « fin de vie » paraît désigner la période de l’existence au cours de laquelle ces problèmes de santé fragilisent tellement la personne qu’elles rendent son décès prévisible, sans pour autant que celui-ci survienne nécessairement à court terme.
L’on devine, grâce à l’analyse des usages de cette locution, que la notion de « fin de vie » peut faire l’objet de discussions, qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer si une personne donnée est ou non,« en fin de vie », et que cette appréciation – sans être arbitraire – n’est pas purement objective et recèle un jugement sur la prévisibilité ou non du décès.
Plutôt que de parler de la fin de vie, il conviendrait sans doute de parler des fins de vie.
À la suite des travaux de Scott Murray (2005), les spécialistes distinguent souvent trois « trajectoires de fin de vie », selon la rapidité de la dégradation de l’état de santé (Observatoire national de la fin de vie, 2013) :
- le déclin rapide (en quelques mois), avec une évolution progressive et une phase terminale bien définie, typique notamment de certains cancers ;
- le déclin graduel (en deux à cinq ans), ponctué par des épisodes de détérioration et de récupération, avec un décès parfois soudain, typique de ce que l’on appelle les « maladies d’organes » (cœur, poumon, foie, rein…) ;
- le déclin lent (en six à huit ans), observé notamment dans certaines maladies liées au vieillissement, comme certaines maladies neurologiques évolutives, caractérisées par une fragilité croissante et une perte progressive des capacités fonctionnelles et cognitives.
Cependant, au-delà de ces trois trajectoires-types, il existe de nombreuses situations de fin de vie, qui dépendent notamment du problème de santé précis qui est celui de la personne. Le site parlons-fin-de-vie, par exemple, décrit comment peut se passer la fin de vie d’une personne selon qu’elle souffre d’un cancer ou qu’elle a subi un AVC ; selon qu’elle est atteinte d’une maladie d’Alzheimer, de Parkinson, ou d’une sclérose latérale amyotrophique ; quand elle souffre d’une défaillance d’organe ; quand elle est en réanimation ou dans un état de conscience minimale… (www.parlons-fin-de-vie.fr/les-situations-de-fin-de-vie/ )
Au-delà de ces grandes situations, soulignons que chaque fin de vie est unique et que chaque mort est éminemment singulière.
Les conditions de la fin de vie dépendent certes des problèmes de santé qui sont ceux de la personne. Mais elles dépendent aussi fortement de son âge (en particulier quand il s’agit d’une personne très âgée ou à l’inverse d’un enfant ou d’un adolescent), du lieu dans lequel prend place la fin de vie, des ressources et des soutiens dont la personne peut bénéficier, de l’accompagnement qui lui est prodigué. C’est ce que montrent, par exemple, les récits rassemblés par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (2022) en exergue du corpus documentaire qu’il a élaboré en vue de la convention citoyenne : chaque fin de vie est éminemment singulière.
Ajoutons que d’un point de vue philosophique, la mort n’est pas seulement la fin d’une vie ; c’est la fin d’une existence, la disparition d’une personne unique et irremplaçable.