texte
article
"Oui, mon quotidien est une charge mentale quasi-permanente, voire permanente tout court. De la décision à l’accomplissement de ces gestes substitués, je pourrai très bien tout laisser faire à mes aidantes et ne me soucier de rien, être nourrie, lavée, habillée, maquillée. Une grande solution de facilité selon moi. Un non-désir de se prendre en charge et un refus d’être pleinement responsable. Bref, ce n’est pas comme ça que je vois les choses et surtout ce n’est pas comme ça que je forme ma vie !"
Par: Félicie Gatinet-Pénau, Écrivain, personne vivant avec un handicap /
Publié le : 02 Avril 2021
Parfois, j’aurai juste envie qu’on vienne faire ce qu’il y a faire et c’est tout, point barre. Je dis ça mais celles qui ne sont pas du tout dans le relationnel – et il y en a ! -, me déstabilisent aussi ! Alors avec celles avec qui le courant passe plus ou moins, les jours où je n’ai pas la patience d’être avenante, où je n’ai pas envie de répondre à leurs questions maladroitement posées ; où j’ai juste de répondre du tac au tac, de répondre ce qui me vient à l’esprit, au rythme de mon humeur fatiguée et irritable ; et les jours où leurs manières de faire me tendent, là elles ne comprennent pas. Certaines me font comprendre que je suis difficile – combien de fois ce qualificatif m'a-t-il collé à la peau ? - d’autres m’expriment clairement que ce n’est pas facile de communiquer et qu’on marche sur des œufs avec moi ! Il faudrait être semble-t-il être toujours linéaire, dans une relation si complexe où intimité et professionnalisme se mêlent. Quant à elles, qui se disent bienveillantes, mettent leurs problèmes de côté, sont toujours avenantes... Une nouvelle fois, elles semblent confondre ma situation avec la leur. A travers leurs gestes et leur travail, bien sûr, qu’elles le sont, pour la plupart, bienveillantes. Comble ou pas, je m’égare, pardon. Ça doit être encore frais. Ou bien chaud. A votre convenance !)
L’adaptation ne s’arrête pas là. En dix ans de vie à domicile, j’ai ouvert les portes de mon intimité à deux cents auxiliaires environ. Évidemment, du caractère à la façon de travailler, en passant par la manière de m’aborder, elles sont toutes différentes, voire très différentes, les unes des autres. Alors que je devrai me soucier uniquement de ce qu’il y a à faire pour moi et chez moi, je passe encore du temps à penser les tâches en fonction de chacune. Et encore. Cadence, Rythme, qualité de travail, humeurs – des deux côtés, je l’accorde -, conversations qui s’éternisent – plutôt côté unilatéral -, il n’est pas rare que je ne parvienne pas aux fins que j’avais prévu. C’est reparti pour de nouveau penser le lendemain, le surlendemain, le jour d'après. Quand elles partent de chez moi, à midi en général, j’ai l’impression d’avoir fait les trois quarts de ma journée. Demander, vérifier, « faire-faire », laisser faire, s’adapter, confier son intimité à la cadence de ses désirs, tout cela prend un temps et une énergie considérable.
Si je dois renouveler mes droits, je dois justifier qu’aucun miracle n’est encore tombé sur ma situation de handicap. Si je me rends dans un simple magasin, je dois user de ma meilleure élocution, ce qui pour moi est un exercice de chaque instant ; dorénavant masquée, donc rapidement à bout de souffle, je dois textoter ma liste de course
Question de chance ou pas, j’apprécie mes après-midis et mes soirées sans aide, mais à quel prix ? Tous les gestes qui me reviennent, aussi banales soient-ils, relèvent d’une séance de sport, « mini » mais intense ! Au-delà, je dois encore planifier, organiser, prévoir, justifier... Si je souhaite me déplacer en dehors de ma ville, je dois faire une demande de Transport adapté au minimum quarante-huit à l’avance. Pas d’imprévus possibles quand on est handi. Si je rencontre, pour exemple, un nouveau professionnel de santé , par écrit – chance supplémentaire à la crédibilité -, je dois non seulement me soucier du fait qu'il puisse - accessibilité des lieux - et veuille bien m’accueillir - au regard de ma situation de handicap , rassurer ma condition, mouvementée mais bien crédible. . . Sur ce point, je peine encore à m’imposer d’emblée. Si je dois renouveler mes droits, je dois justifier qu’aucun miracle n’est encore tombé sur ma situation de handicap. Si je me rends dans un simple magasin, je dois user de ma meilleure élocution, ce qui pour moi est un exercice de chaque instant ; dorénavant masquée, donc rapidement à bout de souffle, je dois textoter ma liste de course et tendre au rythme des tremblements mon portable à l’interlocuteur qui parfois ne me décroche pas un mot. A ce sujet, je dois en crisper plus d’un.
Une fois que j’ai pensé et construit ma vie, je peux enfin me consacrer à mes projets - sans rémunération mais tout aussi valorisant - , et j’espère quelques peu contributeurs à l’évolution de la société : écriture, sensibilisations au handicap, « formations » diverses et variées... J’essaye aussi de passer du bon temps, mes proches m’y poussent ! «J’essaye », parce que oui, je culpabilise, et facilement ! Je culpabilise car lorsque l'on est porteur d’un handicap, tout prend cinq fois plus de temps , voire plus. Je culpabilise parce que selon moi, je n’en fais jamais assez, et ce que je fais ne vaut pas une vie professionnelle. Et pourtant, lorsque je suis clouée au lit une à deux fois par mois, je culpabilise encore. Parce que j’ai besoin de besoin de me sentir vivante ; j’ai besoin d’accomplissement, de création ; j’ai besoin de mettre ma vie au carré comme un éternel besoin d’exister, de vivre à juste titre !