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"Pour les questions de santé, la justice est certes le but de la démarche, ce qui en fixe les priorités. Mais elle doit aussi en être le moyen, et guider la procédure de décision. C’est pourquoi, au sujet des vaccins comme pour l’ensemble des choix publics en matière de santé, il est souhaitable que les patients et citoyens puissent être représentés et intégrer les débats."
Par: Valérie Gateau, Formatrice en éthique et bioéthique /
Publié le : 29 Mars 2021
L’obligation vaccinale se situe à l’intersection du soin (le vaccin protège celui qui est vacciné), et de la santé publique (la couverture vaccinale protège la population). Il n’est donc pas surprenant qu’elle mette en tension le respect de l’autonomie de la personne et le principe de justice. Avec l’obligation vaccinale, le législateur a choisi de prioriser la juste répartition des risques vaccinaux pour le bénéfice de tous. Ce choix légitime pose certaines questions éthiques. La première est celle de la place de l’autonomie des personnes, en l’absence d’une clause d’exemption (c’est-à-dire de possibilité de s’exclure de l’obligation). L’absence de clause d’exemption est relativement rare, et semble peu favorable au respect de l’autonomie des personnes. De plus, si l’opposition parfois « irréfléchie » aux vaccins ne saurait être encouragée, certaines demandes semblent tout à fait rationnelles et légitimes. C’est le cas par exemple du collectif de parents qui demande qu’une clause d’exemption soit préservée, le temps que des recherches indépendantes soient menées sur les effets des adjuvants et de la multiplication des vaccins chez le nourrisson, appelant à un principe de prudence. La deuxième question que pose le choix du législateur est celle de ses conséquences sur la confiance dans le système de santé. En effet, il n’est pas sûr que l’obligation soit la meilleure réponse à une crise de confiance. Car « les critiques et oppositions aux règles (…) faute de pouvoir être entendues à l’intérieur du système, s’expriment toujours à l’extérieur, contribuant ainsi à le fragiliser »1.
Enfin, l’obligation vaccinale interroge sur la place des patients et citoyens dans les choix publics en matière de santé. Un débat ouvert, rappelant les valeurs partagées par tous (santé des enfants, valeurs humaines du soin, etc.), et offrant plus de transparence sur les enjeux scientifiques et économiques de la vaccination pourrait contribuer à une plus grande adhésion des citoyens à la vaccination. Ce qui semble éthiquement fondamental, car pour les questions de santé, la justice est certes le but de la démarche, ce qui en fixe les priorités. Mais elle doit aussi en être le moyen, et guider la procédure de décision. C’est pourquoi, au sujet des vaccins comme pour l’ensemble des choix publics en matière de santé, il est souhaitable que les patients et citoyens puissent être représentés et intégrer les débats. Pour les vaccins, une concertation citoyenne a été organisée en France en 2016. Les deux rapports (celui des experts et celui des citoyens) sont disponibles en ligne2.
Comme l’indique le rapport final, 22 citoyens, hommes et femmes, sélectionnés aléatoirement ont participé à la réflexion et remis un rapport sur la politique vaccinale. Comme l’indiquent les citoyens interrogés eux-mêmes, ils ne sont pas représentatifs de la population française. Si leur avis éclaire les débats, il ne saurait déterminer les choi sur la base de 22 personnes. Cela montre bien à quel point organiser le débat démocratique sur les questions de santé est difficile : déterminer comment organiser la participation des patients et citoyens dans les choix de santé est complexe3. Mais les efforts doivent être poursuivis et des améliorations doivent être faites, car ces améliorations contribuent à reconnaître aux patients et citoyens le statut d’interlocuteurs égaux, et probablement, à renforcer la confiance de chacun dans le système de santé. En effet, comme le dit Didier Tabuteau, directeur de la chaire de Santé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris : « Cette organisation du débat public sur les questions de santé et d’assurance maladie est sans doute le meilleur antidote à l’action des lobbies et à la défense corporatiste d’intérêts professionnels, dont le système de santé est trop souvent l’objet. Cela n’enlève rien au choix du décideur, à la responsabilite des politiques et des gestionnaires de l’assurance maladie. Cela permet d’éclairer leurs décisions, d’entendre tous les groupes sociaux ou professionnels concernés et, en fin de compte, de donner une réalite aux mots de démocratie sanitaire »4.