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"Il ne convient pas pour autant de dissimuler la difficulté de l’exercice transitoire de concertation publique qui nous est confié. Car il est des compétences pour estimer que ces domaines sont trop sérieux et complexes pour être discutés et arbitrés par des personnes non spécialisées. Au mieux, il leur est concédé les quelques moments de « cafés éthiques » et la participation à quelques événements au gré des circonstances. Méfions-nous qu’il n’en soit pas ainsi au cours de ces prochains mois."
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 20 Février 2018
Dès les premières rencontres publiques organisées par l’Espace éthique de la région Île-de-France dans le cadre des états généraux de la bioéthique, nous observons l’engouement que suscite cette opportunité de débattre. Qu’en est-il des enjeux d’une société confrontée à des mutations qui interrogent ses valeurs et ses repères ? Le besoin d’être reconnu dans la capacité de contribuer aux arbitrages qui concernent nos conceptions de l’homme, nos responsabilités présentes au regard des générations futures, notre attachement aux principes démocratiques s’exprime à travers cette mobilisation. Il ne faudra pas décevoir une attente exigeante qui ne se limite certainement pas à quelques controverses dans un esprit partisan.
Avec l’équipe de l’Espace éthique de la région Île-de-France, et c’est le cas chez nos collègues dans les autres régions, nous prenons avec beaucoup de sérieux la mission qui nous est confiée. Sur la région parisienne nous avons déjà programmé près de 30 événements publics, souvent en partenariat (Sciences Po, Mairie du 4ème arrondissement, Académie de Créteil, Lycées comme Pierre-Gilles de Gennes, Henri VI, notamment). Des organismes de recherche ont également souhaité s’associer à notre démarche. Et nous recevons des sollicitations que nous ne pourrons pas satisfaire dans les prochains mois. Nous pensons donc à l’après, à l’accompagnement des prochaines étapes de la révision législative et à son implémentation.
Il ne convient pas pour autant de dissimuler la difficulté de l’exercice transitoire de concertation publique qui nous est confié. Car il est des compétences pour estimer que ces domaines sont trop sérieux et complexes pour être discutés et arbitrés par des personnes non spécialisées. Au mieux, il leur est concédé les quelques moments de « cafés éthiques » et la participation à quelques événements au gré des circonstances. Méfions-nous qu’il n’en soit pas ainsi au cours de ces prochains mois.
Pour ces états généraux notre Espace éthique s’est efforcé de proposer une démarche aussi rigoureuse et transparente que possible. Large concertation avant d’identifier des thématiques à débattre, constitution d’un conseil d’orientation scientifique pluridisciplinaire et représentatif de 80 membres, constitution d’un réseau national de grands témoins. Notre site présente une documentation d’autant plus riche que nous n’avons pas attendu 2018 pour nous impliquer dans le champ des innovations scientifiques au cœur du débat bioéthique contemporain. Notre équipe a adopté comme ligne directrice de notre approche, les nouveaux territoires de la bioéthique. Chaque événement (conférences, ateliers, colloques) fait l’objet d’une concertation en amont afin de respecter le cahier de charge que nous avons établi. À la suite des rencontres publiques, les participants sont sollicités pour nous adresser des contributions qui feront l’objet de synthèses à destination du CCNE. Cela n’empêche pas une intervention immédiate dans le cadre du débat public mais en tenant compte d’une exigence qui nous paraît s’imposer : concilier la transmission de savoirs, le partage d’expériences avec un échange argumenté. Nous avons tenu compte des critiques qui nous étaient faites dès la première rencontre pour améliorer le dispositif. Je pense que si les instances nationales dévolues à l’éthique avaient considéré l’exercice d’une pratique de la concertation publique facile, elles n’auraient pas sollicité de manière exclusive les Espaces éthiques en région à cette fin. Je rends hommage à nos collègues en région qui ne disposent pas toujours des ressources indispensables à une telle entreprise. Le CCNE a mission d’organiser chaque année un débat public permettant de rendre accessibles ses réflexions. Fort de sa légitimité, il profitera certainement de la dynamique présente pour conférer enfin une véritable portée nationale à cette exigence de restitution de ses passionnantes réflexions.
En mars, nous allons organiser une première soirée dédiée exclusivement à l’échange avec le public qui a suivi les événements précédents, cela afin de permettre des interventions plus étoffées et une synthèse intermédiaire. Une même rencontre sera organisée en mai. Sur la base des éléments recueillis à travers ces temps de concertation, nous rédigerons un document dans le cadre d’un groupe de 15 personnes constitué après appel à candidatures.
En dépit de l’attention que nous portons à la qualité des échanges et à la rigueur dans la restitution de propositions d’évolutions possibles de la loi relative à la bioéthique, nous savons que nous ne satisferons pas ceux qui espèrent tant de ces états généraux. Probablement, trop. Car de tels enjeux justifieraient mieux qu’un rendez-vous rapide tous les 7 ans.
Les organisateurs de ces états généraux ont démultiplié les initiatives de toute nature selon une méthodologie et dans une perspective visant, on peut l’imaginer, une exhaustivité pour le moins ambitieuse. On pourra apprécier la qualité des conclusions dans les mois qui viennent ainsi que leur portée. Car il ne s’agit pas moins que de répondre à l’interpellation formulée par le CCNE en ouverture de ces états généraux « Quel monde voulons-nous pour demain ? » Il serait grave que la déception et la suspicion prévalent au terme de ces états généraux, alors que la confiance et l’exigence de responsabilités partagées conditionnent l’acceptabilité sociétale de mutations qu’il nous faut comprendre, accompagner et intégrer ensemble.
Je suis trop convaincu des enjeux démocratiques de la concertation et des arbitrages bioéthiques pour ne pas dissimuler ma reconnaissance au président de la République qui a décidé de les ouvrir aux mutations technoscientifiques. Dans ce domaine, l’innovation éthique peut être à la hauteur des innovations que permet la recherche, pour autant que l’on détermine les conditions favorables à l’accompagnement de la démarche scientifique et de ses développements. Sans les détailler ici, l’équipe de l’Espace éthique Île-de-France a décidé d’approfondir deux aspects essentiels à l’approche bioéthique : les conditions de sa gouvernance, et les modalités de sensibilisation et de formation au-delà du temps d’une révision législative.
Il nous semble également essentiel de ne pas exclure du débat les approches de vulnérabilités humaines et sociales, tout autant dignes que les circonstances de la fin de vie : les maladies neuro-évolutives, les maladies chroniques, des situations de perte d’autonomie et de handicap, l’accès juste aux meilleurs traitements et soins, le coût des médicaments innovants, nos responsabilités au regard des populations dans le monde dépourvues d’un système de santé performants, etc.
Au moment où il est tant question d’éthique au cœur de nos débats publics, ne négligeons pas le privilège que nous partageons en France d’évoquer dans le cadre d’une concertation nationale ce que nous voulons être demain, de quelle manière faire vivre notre démocratie face à tant de défis et parfois de menaces. Au cours de notre premier débat dans le cadre de la Mairie du 4ème arrondissement de Paris, j’ai eu le bonheur de comprendre pourquoi je m’étais engagé en éthique. Pour vivre des échanges vrais et mieux comprendre, entre citoyens, nos vulnérabilités, nos solidarités, l’exigence de justesse et de justice dans l’arbitrage des choix qui conditionnent nos conceptions du bien commun. C’est ce qui nous motive à nous engager sans retenue et sans équivoque dans cette dynamique des états généraux. Il ne faudra par regretter demain d’avoir négligé un moment exceptionnel de vie démocratique, et donc tout faire pour que ses promesses soient tenues.