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Deux décrets du 3 août 2016 définissent les modalités d'application de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Ils encadrent les décisions médicales en fin de vie relatives aux arrêts de traitement et à la sédation profonde et continue jusqu'au décès. Le contenu, la durée, la portée et les modes de conservation des directives anticipées font l'objet de nouvelles règles. Les décisions d'arrêt de traitement et de sédation profonde et continue jusqu'au décès obéissent aux mêmes procédures de collégialité. La formation des professionnels de santé à ces nouvelles dispositions et une large information seront essentielles pour garantir une bonne application de ces textes.
Par: Yves-Marie Doublet, Chargé d’enseignement en droit, Département de recherche en éthique, université Paris Sud /
Publié le : 06 Janvier 2017
Extrait, avec l’accord de l’auteur et de la rédaction, de la Revue de droit sanitaire et social, novembre-décembre 2016, 1092, Editions Dalloz à laquelle l’Espace éthique adresse ses remerciements.
Le 2 février 2016, l'Espace éthique vous propose une journée de réflexion Vulnérabilités décisionnelles en fin de vie, autour de l'anniversaire de la loi. Inscription et programme en suivant ce lien.
La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie[2], plus communément appelée « Claeys-Leonetti », a modifié sur deux plans la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti. Poursuivant l'objectif d'éliminer la souffrance en fin de vie tout en récusant l'euthanasie et le suicide assisté, la loi du 2 février 2016 institue une sédation profonde et continue jusqu'au décès et modifie le régime juridique des directives anticipées.
Les dispositions réglementaires prévues dans la loi « Claeys-Leonetti » pour son application n'étaient pas neutres. Il revenait au pouvoir réglementaire le soin de définir la procédure collégiale d'arrêt des traitements et de mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu'au décès ainsi que les nouvelles règles relatives aux directives anticipées.
Les deux décrets du 3 août 2016 portant l'un sur les procédures collégiales et la sédation profonde et continue jusqu'au décès[3] et l'autre sur les directives anticipées[4] sont des décrets en Conseil d'État mais le décret relatif aux procédures collégiales et au recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès présente une particularité. Modifiant le code de déontologie médicale, il requérait l'avis du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM). Celui-ci a émis un avis le 12 mai 2016. L'entrée en vigueur de ces deux décrets entraînera une mise à jour des commentaires des dispositions du code de déontologie médicale par le Conseil de l'ordre.
Ce décret en Conseil d'État pris après avis du CNOM contient trois séries de dispositions.
La première modification tire les conséquences de la nouvelle hiérarchie, instituée par la loi du 2 février 2016, des personnes proches d'un patient inconscient en l'absence de directives anticipées. Cet ordre issu de l'article 5 de la loi s'applique aux consultations préalables aux arrêts de traitement dans le cadre de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique (CSP). L'article 10 de la même loi confère à cette hiérarchie une portée générale dans la nouvelle version de l'article L. 1111-12 CSP.
La rédaction du troisième alinéa de l'article R. 4127-36 CSP relatif aux personnes à prévenir et à informer en cas d'intervention médicale sur un patient inconscient ignorait la personne de confiance et la famille et n'évoquait que les proches. Dans la suite des personnes prévenues et informées, lorsque le patient est incapable d'exprimer sa volonté, priorité est désormais donnée à la personne de confiance, à défaut, à la famille ou un des proches, sauf situations d'urgence et impossibilité. Il s'agit donc d'une harmonisation rédactionnelle.
La deuxième modification porte sur l'article R. 4127-37 CSP. Jusqu'ici, cet article se décomposait en trois parties. Le I, issu du décret no 2006-120 du 6 février 2006 pris pour l'application de la loi du 22 avril 2005, impartissait au médecin de s'abstenir de toute obstination déraisonnable. Le II, issu du décret no 2010-107 du 29 janvier 2010 pris à la suite du rapport de la mission d'information parlementaire d'évaluation de la loi du 22 avril 2005[5] fixait la procédure collégiale des arrêts de traitement. Le III, ayant la même origine, réglementait la procédure des arrêts de traitement chez les patients dont la souffrance ne peut être évaluée précisément, à savoir les malades en neuro réanimation, les traumatisés crâniens, les victimes d'accidents vasculaires cérébraux, d'hémorragies méningées anévrysmales ou d'anoxies cérébrales.
Par cohérence avec l'article L. 1110-5-1, créé par l'article 2 de la loi du 2 février 2016, l'article R. 4127-37 consacre désormais le principe de la non obstination déraisonnable, sans circonscrire les actes médicaux auxquels ce principe s'applique, renforçant ainsi la portée de la proscription générale de l'obstination déraisonnable.
C'est incontestablement le dispositif des décisions médicales au regard des directives anticipées du patient, des arrêts de traitement et de la sédation profonde et continue jusqu'au décès, instituée par la loi du 2 février 2016, qui retient le plus l'attention. Ce dispositif comprend quatre articles numérotés R. 4127-37-1 à R. 4127-37-4.
Un nouvel article R. 4127-37-1-I CSP définit les règles d'application des directives anticipées, en précisant les cas où elles s'appliquent et la procédure qui doit être suivie, lorsqu'elles s'imposent ou lorsqu'elles doivent être ignorées.
Le principe de la force contraignante des directives anticipées pour le médecin, qui constitue l'une des innovations les plus marquantes de la loi du 2 février 2016, est posé par le troisième alinéa de l'article L. 1111-11 CSP. Il trouve sa traduction réglementaire dans le I de l'article R. 4127-37-1 CSP, sauf urgence vitale et caractère manifestement inapproprié ou non-conformité des instructions du patient à sa situation médicale. Lorsque l'une ou l'autre de ces deux conditions n'est pas réunie, le médecin en charge du patient est tenu de respecter ses directives anticipées.
Dans l'hypothèse d'une urgence vitale, d'une part, la collégialité ne peut être pratiquée et donc la décision médicale est celle du seul médecin en charge du patient et, d'autre part, il appartient à celui-ci d'évaluer d'abord complètement la situation médicale du patient. Cette évaluation suspend l'application des directives anticipées.
Dans l'hypothèse où les directives sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, la collégialité de la décision est requise. Si les directives anticipées, formulées par écrit, représentent le moyen reflétant le plus directement la volonté du patient, le Conseil de l'Europe rappelle que leur contenu doit être approprié, dans son Guide sur le processus décisionnel relatif au traitement médical en situation de fin de vie[6]. Cela suppose que dans son évaluation de sa situation, le patient soit capable de reconnaître le problème et d'évaluer les conséquences d'un traitement dans un tel cas de figure.
Ces dispositions sont en phase avec les règles prévalant dans des États européens voisins. En Allemagne, les directives anticipées ont un effet obligatoire quand il est fait référence sans ambiguïté à une situation de vie ou de traitement. La référence à un traitement qui n'est plus valable rend caduques ces directives. Au Royaume-Uni, aux termes du Mental Capacity Act de 2005, si le médecin perçoit une contradiction avec le choix thérapeutique le plus conforme à l'intérêt du malade, il se contente de vérifier la validité formelle de la directive. Une directive indiquant que la personne refuse par avance tout traitement de support vital en phase terminale n'est pas contraignante pour le médecin.
Pour écarter les directives anticipées inadéquates au sens de l'article L. 1111-11 CSP, le médecin en charge du patient consulte les membres présents de « l'équipe de soins, si elle existe », en vertu du III de l'article R. 4127-37-1. L'article 96 de la loi no 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a défini les membres des équipes de soins à l'article L. 1110-12 CSP[7]. L'équipe de soins désigne « un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d'un même patient à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d'autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes, et qui : 1° soit exercent dans le même établissement de santé, au sein du service de santé des armées, dans le même établissement ou service social ou médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ou dans le cadre d'une structure de coopération, d'exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale figurant sur une liste fixée par décret ; 2° soit se sont vu reconnaître la qualité de membre de l'équipe de soins par le patient qui s'adresse à eux pour la réalisation des consultations et des actes prescrits par un médecin auquel il a confié sa prise en charge ; 3° soit exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé ».
Dès lors, la procédure collégiale mise en œuvre pour refuser l'application de directives anticipées selon les critères de l'article L. 1111-11 était contrainte par la loi. Mais faire référence explicitement à tous les professionnels de santé comme le prévoit l'article L. 1110-12 CSP suppose la réunion de plusieurs conditions. D'abord, qu'une même voix soit accordée à chacun. Or ni leurs compétences ni l'implication de ces personnes dans les traitements ne sont les mêmes. Il n'est pas dit non plus que des aides-soignants, par exemple, souhaitent être exposés à ce type de décision. Le fonctionnement des services hospitaliers - où plus de la moitié des patients décède - avec un roulement continu de personnel rend l'application de la consultation du personnel soignant particulièrement délicate. Enfin, plus un collège est large, plus le risque de divergences en son sein est possible. C'est la raison pour laquelle le III de l'article R. 4127-37-1 fait référence « aux membres présents de l'équipe de soins, si elle existe »[8]. Désormais, la composition de l'équipe soignante est définie largement mais celle-ci est par définition mouvante aussi. Le réalisme peut donc justifier que soient visés les membres présents de l'équipe soignante, si elle existe.
A raison, le nouveau décret s'est refusé aussi à entrer dans une logique consistant à préciser les modalités de la prise de décision à l'intérieur de cette équipe. Tout comme pour les procédures d'arrêt de traitement régies par le II de l'ancien article R. 4127-37, la collégialité applicable pour écarter des directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient est conçue comme une concertation avec l'équipe soignante[9], un médecin consultant, la personne de confiance ou à défaut la famille ou l'un des proches, le patient ayant transmis auprès de ces derniers sa volonté.
Lorsque le médecin traitant estime que les directives anticipées du patient sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, les nouvelles règles de l'article R. 4127-37-1, III prévoient la consultation par le médecin traitant d'un autre médecin appelé comme consultant. Il faut y voir l'effet de l'impact plus fort des directives anticipées dans le dialogue patient-médecin reconnu par la loi du 2 février 2016. La consultation d'un seul médecin par le médecin en charge du patient se différencie de la consultation possible d'un deuxième médecin consultant pour les arrêts de traitement et la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu'au décès.
Définie dans les commentaires du code de déontologie médicale sous l'article 37, la notion de « consultant » renvoie à un médecin, qui dispose des connaissances, de l'expérience, et, puisqu'il ne participe pas directement aux soins, du recul et de l'impartialité nécessaires pour apprécier la situation dans sa globalité. Ce praticien est étranger à l'équipe en charge du patient et s'il doit être compétent dans le domaine de l'affection en cause, il n'est pas obligatoirement un spécialiste ou un expert de la question. En possession de toutes les données concernant la situation de la personne malade, il doit non seulement apporter un avis éclairé mais aussi aider, par un échange confraternel, le praticien qui le consulte à mener à terme sa réflexion dans l'intérêt du patient. Il n'a pas de lien hiérarchique avec le médecin qui le saisit.
Qu'il s'agisse de l'hypothèse d'une urgence vitale ou du cas où les directives anticipées se révéleraient inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, les décisions de refus d'application des directives anticipées obéissent à une double obligation de motivation et de traçabilité. Participe de cette transparence l'inscription des témoignages, des avis et de la motivation de la décision médicale dans le dossier du patient. La personne de confiance (ou à défaut la famille ou l'un des proches du patient) est informée de la décision de refus d'application des directives anticipées.
La deuxième hypothèse prise en compte par l'article R. 4127-37-2 est celle de l'arrêt des traitements en présence et en l'absence de directives anticipées. Le dispositif s'inscrit très largement dans la continuité de l'ancien article R. 4127-37. Cela est vrai de la justification de l'arrêt de traitement au nom du refus de l'obstination déraisonnable, du déclenchement de la procédure collégiale, de la décision médicale d'arrêt de traitement et de sa motivation, du cas où l'arrêt de traitement s'applique à un mineur ou à un majeur protégé. Tout comme sous l'empire de l'ancien article R. 4127-37 II, le médecin peut soit engager la procédure collégiale de sa propre initiative, soit à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches. Ces personnes sont informées de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. La décision d'arrêt de traitement reste comme par le passé exclusivement médicale. L'appel à un médecin consultant dont l'avis est motivé est maintenu, le médecin en charge du patient ou le médecin consultant pouvant faire appel à un deuxième consultant. La décision d'arrêt de traitement est motivée. Les témoignages recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient.
La nouveauté du décret réside, d'une part, dans le recueil du témoignage de la volonté exprimée par le patient qui, depuis la décision du Conseil d'État Vincent Lambert et la nouvelle rédaction de l'article L. 1111-12 adoptée à l'article 10 de la loi du 2 février 2016, peut être orale et pas simplement écrite comme le voulait l'ancien article R. 4127-37[10] ; et, d'autre part, dans la définition du collège. Dans le dispositif antérieur, il était fait référence à l'équipe de soins, si elle existe. Dans le nouveau dispositif, ne sont associés à cette concertation que les membres présents de cette équipe, si elle existe, tout comme lorsqu'il s'agit de se prononcer sur l'inadéquation des directives anticipées à la situation du malade. Faut-il voir dans cette précision sur les professionnels de santé présents un recul par rapport au droit antérieur ? Le champ de l'équipe soignante étant plus large que par le passé et sa composition variable, on peut soutenir que cette disposition est réaliste au regard du fonctionnement des établissements de santé et contribue à la transparence de la procédure. L'article L. 1111-11 reconnaît par ailleurs au patient le droit de demander dans ses directives anticipées la poursuite de ses traitements.
Enfin, le décret no 2016-1066 du 3 août 2016 met en œuvre la procédure de sédation profonde et continue jusqu'au décès sur un plan réglementaire. Deux hypothèses sont prises en considération par le nouvel article R. 4127-37-3 : celle où le patient est en d'état d'exprimer sa volonté (I) et celle où il est hors d'état de le faire (II). Le texte n'emploie pas les termes de patients conscients ou inconscients, dans la mesure où, parmi les personnes hors d'état d'exprimer leur volonté, certaines peuvent être conscientes. Dans le cas où la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à un arrêt des traitements, est effectuée dans le cadre de la procédure collégiale prévue pour les arrêts de traitement. Il appartient à cette collégialité de vérifier que les conditions du recours à ce type de sédation sont réunies. Il s'agit aux termes de l'article L. 1110-5-2, de la demande du patient, de l'évaluation du pronostic vital, de la souffrance réfractaire et de l'arrêt de traitement. Le recours à cette sédation doit être motivé tout comme son refus. Des recommandations des sociétés savantes devraient être amenées à préciser la notion de l'évaluation du pronostic vital.
Pour que la sédation profonde et continue jusqu'au décès soit pratiquée chez un patient hors d'état d'exprimer sa volonté, plusieurs conditions sont requises. Il faut qu'un arrêt de traitement s'impose au nom du refus de l'obstination déraisonnable. Il est recouru à cette sédation même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée en raison de son état cérébral, comme le prévoyait l'ancien article R. 4127-37-III. Cela signifie a contrario également que si la souffrance peut être évaluée, la sédation devra être mise en œuvre si la personne ne peut exprimer sa volonté et qu'un arrêt de traitement devra avoir été décidé au titre du refus de l'obstination déraisonnable.
La procédure collégiale est identique à celle applicable à l'arrêt des traitements et les règles de motivation et de transparence sont également celles qui régissent ces arrêts. On relève que la référence dans l'article R. 4127-37-3 aux directives anticipées n'est pas directe. Il est recouru à cette sédation en l'absence d'expression d'une volonté contraire de la part du patient hors d'état d'exprimer sa volonté. Par conséquent, le patient est en droit de s'y opposer dans ses directives anticipées[11].
Alors que l'hypothèse de l'application de cette sédation est envisagée dans la rédaction des directives anticipées dans le 3° du I de l'article de l'article R. 1111-18-I, issu de l'article 2 du décret no 2016-1067 du 3 août 2016 relatif aux directives anticipées, l'hypothèse de la sédation profonde et continue jusqu'au décès est plus appréhendée dans l'article 3 du décret no 2016-1066 du 3 août 2016 comme une pratique médicale que comme la reconnaissance d'un droit du patient.
Ce faisant, la crainte exprimée dans le milieu médical est que cette sédation profonde et continue jusqu'au décès ne devienne systématique pour le patient, qui ne peut pas s'exprimer et qu'elle ne différencie pas nettement les cas où l'inconscience est irréversible de ceux où elle est réversible. En d'autres termes, un palier aurait été franchi par rapport à la sédation de l'ancien article R. 4127-37-III, qui ne faisait référence qu'aux patients dont la souffrance ne pouvait pas être évaluée du fait de leur état cérébral.
Une lecture attentive du nouveau dispositif du II de l'article R. 4127-37-3 montre qu'il n'y a pas de changement majeur par rapport à l'ancien article R. 4127-37-III. Les patients visés dans les décrets de 2016 et de 2010 sont les mêmes. Cet acte d'accompagnement de la mort afin d'éliminer la souffrance ne saurait être confondu non plus avec l'acte létal qui provoque délibérément et immédiatement la mort et demeure proscrit par l'article R. 4127-38. Cette sédation n'a vocation à s'appliquer qu'à des patients dont le pronostic vital est réservé à court terme et à des arrêts de traitement de maintien artificiel en vie. Mais on ne saurait nier que, à la fois dans sa rédaction et dans la référence faite aux analgésiques plutôt qu'à des antalgiques parmi d'autres traitements, le II de l'article R. 4127-37-3 est plus directif pour les médecins que l'ancien article R. 4127-37-III.
La rédaction de l'article 3 du décret no 2016-1066 du 3 août 2016 présente deux mérites. D'abord, celui de ne prévoir qu'une seule procédure collégiale, quelle que soit l'hypothèse où celle-ci a vocation à s'appliquer dans quatre types de situations : en cas de refus d'appliquer les directives anticipées, de décision de limitation ou d'arrêt de traitement, de recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès lorsque le patient est en état d'exprimer sa volonté dans les conditions prévues par l'article L. 1110-5-2, 1° et 2° et lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, en l'absence de directives anticipées contraires. Ce régime unique de la collégialité a l'avantage de la simplicité pour les professionnels de santé chargés d'appliquer la loi.
Ensuite, l'avis d'un médecin consultant voire d'un deuxième médecin consultant pour l'arrêt des traitements et la sédation profonde et continue jusqu'au décès, la motivation de ces avis et l'inscription dans le dossier du patient de la décision qui reste exclusivement médicale, offrent des garanties de transparence procédurale et sont autant de garde-fous contre des risques de dérives dénoncés lors de l'élaboration de la loi.
L'article R. 4127-37-4 a conservé la fin du dispositif du III de l'ancien article R. 4127-37, qui impartit au médecin de respecter l'interdit de la provocation délibérée de la mort du patient et de veiller à l'information et au soutien de son entourage. Mais cette disposition est quelque peu surabondante par rapport à l'article R. 4127-38, même si l'accent mis sur l'attention portée à l'entourage constitue un des éléments de la philosophie des soins palliatifs.
On peut regretter par ailleurs que l'élaboration de ce décret n'ait pas été mise à profit pour indiquer que l'ensemble des dispositions du décret ont vocation à s'appliquer en établissement de santé, dans un EPHAD ou au domicile du patient. Se faire l'écho de cette préoccupation, c'est s'interroger sur la réalité de l'application de la collégialité dans les EPHAD et au domicile du patient, malgré les prérequis de l'article L. 1110-12 CSP précité.
Le Conseil de l'Europe définit ainsi les directives anticipées : « elles ont pour objet de permettre à un majeur capable de formuler des instructions ou de formuler des souhaits sur des questions qui peuvent se poser à l'avenir en cas d'éventuelle incapacité »[12].
Il y a cependant quelque paradoxe à voir la société, au nom de l'autonomie des personnes, plaider pour conférer une force contraignante aux directives anticipées et en même temps manifester une réticence évidente à rédiger ces mêmes directives[13]. Dans un article paru en 2004, Angela Fagelin et Carl E. Schneider constataient à l'époque l'échec des directives anticipées : « il est difficile d'énoncer des préférences pour un futur non spécifiable en étant confronté à des maladies non identifiables pour lesquelles les traitements ne sont pas prédictibles »[14]. Cependant, le législateur ayant prévu qu'elles s'imposaient au médecin, le décret no 2016-1067 tire les conséquences de l'article L. 1111-11 issu de l'article 8 de la loi du 2 février 2016, en précisant leur statut. La définition de leur auteur, de leur durée, de leur contenu et de leur conservation fait l'objet d'une nouvelle réglementation. Un modèle de directives pris après avis de la Haute autorité de santé figure en annexe d'un arrêté du 3 août 2016.
En 2016 comme en 2006, la rédaction des directives anticipées est ouverte aux majeurs dûment identifiés avec leur nom, prénom, date et lieu de naissance. L'appel au concours du médecin traitant pour cette rédaction est encouragé. Dans le prolongement du dernier alinéa de l'article L. 1111-11 CSP et de l'article 494-1 du code civil, l'article R. 1111-17 ajoute que la personne majeure sous tutelle peut rédiger des directives anticipées avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il existe, ce qui étend théoriquement le champ des auteurs de directives mais on mesure difficilement la portée réelle de cette disposition au regard de l'état d'un majeur sous tutelle.
On rappellera que parallèlement, dans un souci de transparence, la personne de confiance cosigne sa désignation et accompagne le patient, s'il le souhaite, dans ses demandes et entretiens médicaux pour l'aider dans ses décisions[15].
Ces directives n'ont plus de durée de validité limitée à trois ans mais peuvent, comme par le passé, être modifiées à tout moment.
Là où antérieurement le contenu de ces directives n'était nullement déterminé par le pouvoir réglementaire, le nouvel article R. 1111-18-I issu de l'article 2 du décret no 2016-1067 détaille les différentes rubriques que peut remplir toute personne qui se projette au regard des décisions médicales en fin de vie et ces directives constituent un véritable outil clinique d'aide à la décision médicale. Le modèle avait le choix entre une rédaction détaillée d'hypothèses et un libellé général, option qui n'aurait pas marqué une réelle évolution par rapport au droit antérieur. En prévoyant les cas où ces directives anticipées ont vocation à s'appliquer et en s'appuyant sur un arrêté du 3 août 2016, qui décline trois situations, l'article R. 1111-18-I choisit un moyen terme. Il distingue le cas où la personne en fin de vie est atteinte d'une maladie grave, celui où la personne en bonne santé n'est pas atteinte d'une maladie grave et celui où la personne souhaite exprimer des volontés médicales autres que celles de nature médicale évoquées dans les deux options précédentes.
Le modèle de directives anticipées applicable à la personne en fin de vie atteinte d'une maladie grave est celui qui est le plus détaillé et se rapproche le plus du modèle allemand publié dans le guide du Ministère fédéral de la justice de 2014. Comme le souligne à juste titre le Conseil de l'Europe dans le document précité, les directives anticipées auront « d'autant plus de poids dans le processus décisionnel qu'elles répondront effectivement à la situation et donc auront été rédigées en fonction d'un contexte médical précis »[16]. Ce modèle invite la personne à se prononcer sur l'engagement ou sur l'arrêt d'une réanimation ou d'une dialyse. La question de l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles est posée à la personne qui rédige ses directives anticipées, ce qui pourrait contribuer à ne pas favoriser la résurgence d'un débat périodique sur l'opportunité de cet arrêt, cette question ayant été tranchée juridiquement et médicalement[17]. Dans les deux cas de figure ayant un contenu médical, les modèles de directives anticipées prévoient la possibilité de demander la sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à un traitement de la douleur.
À la différence des règles prévalant en Allemagne, au Royaume-Uni et en Suisse, le patient ne peut faire état des valeurs auxquelles il est attaché. Faut-il voir dans l'ignorance de ces données le reflet d'une interprétation étroite de la laïcité française ? On ne saurait contester que ces éléments d'information puissent également être pris en considération par les soignants, que le patient se prononce pour la poursuite ou pour un arrêt de traitement.
Le champ des options de conservation des directives anticipées est élargi. Sous l'empire de l'ancien article R. 1111-19, les directives anticipées pouvaient être conservées par leur auteur, sa personne de confiance, un membre de la famille ou un proche dans le dossier du patient constitué par son médecin traitant ou dans son dossier médical. L'article L. 1111-11 CSP issu de l'article 8 de la loi du 2 février 2016 prévoit de conserver ces directives anticipées sur un registre national automatisé dans le respect de la loi du 6 janvier 1978. À ce titre, la Commission nationale de l'Informatique et des libertés a été saisie pour avis.
Plusieurs possibilités sont offertes au rédacteur des directives anticipées : les garder ou les confier à sa personne de confiance, à un membre de la famille ou à un proche ; les déposer sur le dossier médical partagé défini à l'article R. 1111-30 CSP. Ce dossier médical partagé est un document numérisé contenant les informations médicales du patient, géré par l'assurance maladie. Le patient peut n'y faire figurer que ces directives, l'assurance maladie devant régulièrement informer le patient de ces directives sans que ce rythme d'information prévu par la loi soit précisé par l'article R. 1111-19-II. Ces directives peuvent également être conservées par un médecin de ville, dans le dossier médical défini par l'article R. 1112-2 en cas d'hospitalisation, dans le dossier de soins dans le cas d'une admission dans un établissement médico-social. Il revient aux établissements de santé et aux établissements médico-sociaux d'interroger les patients pris en charge sur l'existence de ces directives, alors que, dans la réglementation antérieure, cette information pesait sur le patient et n'était que facultative.
On rappellera que les données à caractère personnel « qui sont relatives à la santé » sont couvertes par le secret médical dont la portée a été précisée par la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé[18]. Elles sont considérées, par la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée, comme des données sensibles et leur collecte ou leur traitement sont, par principe, prohibés[19], sauf exceptions expressément prévues par la loi. Or figurent, parmi ces exceptions, « dans la mesure où la finalité du traitement l'exige »[20], les traitements pour lesquels la personne concernée a donné son « consentement exprès » à l'utilisation de telles données.
Le pouvoir réglementaire a tiré la conséquence de tous ces vecteurs possibles de détention des directives anticipées pour permettre au médecin concerné de les consulter en cas de décision d'arrêt de traitement[21].
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Il faut mettre au crédit de ces deux décrets la rapidité avec laquelle ils ont été pris, la simplicité du choix d'une seule procédure collégiale pour écarter les directives anticipées, décider des arrêts de traitement et du recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès. La parution conjointe de modèles de directives anticipées dans l'arrêté du 3 août 2016 participe de la volonté d'aider les patients désireux de s'engager dans leur rédaction. La diffusion de plusieurs documents sur les directives anticipées et la personne de confiance par la Haute autorité de santé traduit aussi un engagement plus résolu des pouvoirs publics en faveur de cette législation qu'en 2005. Neuf mois s'étaient écoulés à l'époque entre la parution de la loi et la sortie de ses décrets d'application. Paradoxalement, la vulgarisation des directives anticipées avait plus été le fait des adversaires de la loi du 22 avril 2005 que des pouvoirs publics.
On a déjà dit que par rapport à cette dernière, la loi du 2 février 2016 a apporté une réponse politique aux problèmes médicaux de la fin de vie. Il appartient désormais aux professionnels de santé de faire bon usage de ces règles, en respectant les exigences de collégialité et de transparence prévues par la loi et ces deux décrets. Pour cela une formation des professionnels de santé sur les critères de la sédation profonde et continue jusqu'au décès et sur les directives anticipées est primordiale.