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"Car s’il s’agit de faire de la médecine, de traiter de la même façon, par des protocoles comme en oncologie, en cardiologie, par des stratégies thérapeutiques, une crise « de violence » nécessite d’être maîtrisée, d’être médiquée, de la même façon que l’on attache un malade inconscient pour qu’il n’arrache pas sa perfusion, on va attacher un malade psychiatrique le temps qu’il se calme. Aucune nécessité de tenter de le contenir en le maintenant physiquement, en le touchant, en lui parlant, en restant auprès de lui."
Par: Paul Machto, Psychiatre honoraire des hôpitaux, Psychanalyste /
Publié le : 15 Novembre 2016
Lors du débat « Approches éthiques de la contention en psychiatrie et dans les EHPAD » qui s’est tenu à la Mairie du 4ème arrondissement de Paris, lundi 17 octobre, cette question est arrivée dès les premières interventions introductives.
La deshumanisation à l’œuvre dans les services hospitaliers, comme partout ailleurs dans la société, la maltraitance faite aux patients, niée par beaucoup de psychiatres, de soignants, le détournement du sens des mots, masquant la réalité de cette violence institutionnelle font partie des éléments essentiels à avoir à l’esprit. N’y a-t-il pas une forme de dénégation à affronter cette question complexe du recours à l’isolement, la contention, par le biais de l’analogie avec les soins intensifs en médecine ? « Chambre de soins intensifs » pour éviter le mot gênant, connoté, de « cellule ».
Que s’est-il passé dans les établissements si, après une période de 20 ans – 1975- 1990-, où ces méthodes coercitives avaient quasiment disparues des hôpitaux psychiatriques, le recours à l’isolement et surtout à la contention a fait irruption dans le paysage institutionnel à partir du milieu des années 90, pour s’amplifier ensuite, et se banaliser actuellement ?
Il s’agit là d’envisager cette question par la prise en compte de la complexité, où s’intriquent des éléments sociétaux, idéologiques, théoriques, organisationnels, et de formation. Car il s’agit bien d’un agencement d’éléments et d’événements diversifiés dans le dispositif de soins en psychiatrie, qui aboutit à la situation indigne actuelle.
Malgré tout aborder cette complexité dans ce texte limité m’oblige à être assez rapide dans mon propos.
Tout d’abord, « la rationalisation des coûts budgétaires » initiée dans les années 60 aux USA, introduite en 70 en France puis appliquée au milieu des années 80 sous la dénomination de « maîtrise des dépenses de santé », inscrite dans la politique de diminution des budgets des services publics, ont eu un impact très prononcé à partir du début des années 90. Cette politique budgétaire, dénoncée sous le terme de « gestion comptable », a eu des effets radicaux sur le fonctionnement des établissements hospitaliers.
La priorité à la gestion sur la dimension soignante, masqué par un discours-écran technocratique « le malade doit être au centre du dispositif soignant », « le patient au centre du système de santé », aboutit à l’heure actuelle à l’obligation pour les soignants dans leur ensemble, de passer plus de temps à rentrer des données des actes faits dans les logiciels des ordinateurs qu’à « être avec » les patients hospitalisés.
Le règne de « l’évaluation » s’est imposé et est justifié sous des prétextes « modernes » et de nécessité impérieuse. Mais de quel type d’évaluation s’agit-il ? Une évaluation statistique, où le chiffre vient suppléer la pensée, la réflexion, l’analyse institutionnelle. Le chiffre, la statistique, procure une parure de sérieux, de scientificité, d’objectivité. Exit la subjectivité, les interrogations, l’analyse. Telle est la mise en place de l’entreprise de déshumanisation actuellement bien installée. Comme elle s’est imposée avant le milieu hospitalier dans les entreprises privées, commerciales, les objectifs pour l’année, les contrats d’objectifs et l’évaluation annuelle pour vérifier si les objectifs ont été atteints, tels sont les démarches gestionnaires à l’œuvre dans les hôpitaux et dans les services, pardon « les pôles », le mot « service » ayant quasiment disparu.
L’évaluation clinique, l’analyse institutionnelle, l’approche au cas par cas de l’histoire du patient, de sa singularité, sont par contre dénigrées, méprisées, sinon moquées, au nom d’un passéisme stérile, déniant ainsi toute l’évolution historique, les innovations, les progrès thérapeutiques, les inventivités des équipes et des services au cours des cinquante dernières années.
Cet impérium de la gestion s’est manifesté par une transformation de la hiérarchie hospitalière notamment pour les infirmiers. Ainsi, la création des Directeurs des soins, des cadres supérieurs de santé, des cadres de santé, sous couvert d’une « émancipation » du corps infirmier vis à vis du corps médical : c’est construit une machine visant à contre - balancer le pouvoir médical, et faire de la hiérarchie infirmière un pilier au service de l’administratif, de la gestion. Les cadres de santé ont été encouragés, sinon contraints pour celles et ceux qui le refusaient, à abandonner leurs fonctions soignantes et de coordination des équipes infirmières au profit d’un rôle strictement gestionnaires, et veiller à l’application stricte des protocoles et des procédures uniformisant, normatifs de l’organisation des soins.
Cette organisation aboutit à stériliser, à empêcher, toute inventivité, toute initiative individuelle des soignants, mais surtout toute pensée sur le soin, toute prise en compte de la singularité de chaque patient. La mise à distance du patient est prônée, l’engagement relationnel avec le malade banni. Lors de la formation des infirmiers, il est fortement conseillé de ne surtout pas « s’impliquer affectivement » dans la relation au malade. Lorsque cela vient s’associer à la médicalisation de la pratique psychiatrique, cela parachève la distanciation, « l’objectivation », et donc l’oubli du patient en tant que personne, en tant qu’individu.
Une approche humaine de la folie, de la psychose, de la maladie mentale introduit inévitablement un questionnement sur ce que peut vivre, éprouver, ressentir une personne mise à l’isolement, abandonnée à ses terreurs, à l’envahissement de ses perceptions pathologiques, de ses idées délirantes, à son vécu d’être au monde. Sanglée, attachée, et laissée ainsi pendant des heures, des jours, voire des semaines comme cela se développe et se banalise depuis une dizaine d’années, quel lien peut-elle établir avec le corps soignant, si son corps, si son être a été ainsi maltraité ?
J’évoquerai juste en conclusion que les principes de la formation, sinon de formatage, pour les futurs psychiatres, les futurs infirmiers, les futurs psychologues - cliniciens, sont dans la suite logique des éléments développées dans ce propos : : le gestionnaire, l’idéologique et une conception étroite de la maladie mentale. Pas de complexité ! Une formation au rabais, indigne, pour les infirmiers qui exerceront en psychiatrie, réduite à quelques semaines sur les trois années d’études, quand avant 1992 elle s’étalait sur … trois années ; pour les psychiatres, une formation dans les services hospitalo-universitaires acquis dans leur immense majorité à l‘industrie pharmaceutique, aux neurosciences, au comportementalisme ; la quasi disparition de la psycho-pathologie pour les psychologues-cliniciens au profit du comportementalisme et du cognitivisme : tel est le tableau actuel.
Bien évidemment, les moyens en personnel ont leur importance : car des équipes disséminées, réduites en nombre, ne peuvent qu’amplifier les phénomènes de peur et de désarroi dans les situations d’agitation pour lesquelles la seule issue, la seule demande est l’isolement et la contention.
Enfin, la place de l’entourage, l’accueil et la prise en compte des préoccupations des familles, mais aussi l’apport de leur connaissance de l’histoire familiale et des relations avec le malade, sont trop souvent ignorés, laissés de côté, si ce n’est exclu. La vogue de « l’éducation, par la formation des familles, leur apprentissage de la maladie », formatage rééducatif, ne vient-il pas prendre la place, ignorer leur savoir-faire, leurs potentialités, leur écoute possible, leurs nécessaires interrogations face à la complexité de la pathologie de leur proche ?
La pauvreté, si ce n’est la disparition d’une pratique et d’une analyse institutionnelle, la suppression des réunions cliniques, remplacées par … « des staffs expéditifs », ne peuvent venir que parachever ce sombre tableau et évoquer quelques hypothèses à propos de ces violences institutionnelles que sont l’isolement et la contention, désormais bien banalisées.