Actualité de l'Espace éthique
Les premières conclusions de nos deux derniers ateliers de réflexion, consacrés pour l'un au domicile et pour l'autre aux maladies neurodégénératives.
Par: Paul-Loup Weil-Dubuc, Responsable du Pôle Recherche, Espace de réflexion éthique Ile-de-France, laboratoire d'excellence DISTALZ / Anne-Claire Stona, Médecin de santé publique, Espace éthique/IDF /
Publié le : 23 Mars 2016
Les 3 et 7 mars 2016, deux ateliers de réflexion (workshops) ont été organisés par l’Espace de réflexion éthique Ile-de-France dans le cadre de ses missions d’Espace national de réflexion éthique maladies neuro-dégénératives (MND) :
Ces deux workshops ont été l’occasion de rassembler des acteurs du terrain, des chercheurs de différents champs disciplinaires et des personnes concernées par la maladie pour échanger sur ces deux thématiques.
Ces réflexions partagées feront l’objet de prochaines publications dans les Cahiers de l’Espace éthique. Des recommandations seront proposées.
Rédaction :
Anne-Claire Stona, Paul-Loup Weil-Dubuc
Espace éthique Ile-de-France / EREMAND
Le premier workshop qui s’est tenu le 3 mars 2016 avec le concours le Comité d’éthique de l’Inserm a permis de tirer quelques leçons concernant les MND. Celles-ci sont présentées ci-après.
Tout d’abord, en ne cherchant pas délimiter un périmètre définitif, les échanges ont proposé de nous affranchir de l’enjeu définitionnel (ce qui revient à situer les MND dans une cartographie des maladies) et, pourrait-on dire, de l’injonction définitionnelle. Trois raisons nous y conduisent. En premier lieu, les critères-candidats sont souvent inopérants : les troubles cognitifs ne se retrouvent pas dans toutes les MND, certaines d’entre elles ne les induisant pas systématiquement (SLA, Parkinson, SEP notamment) ; les handicaps physiques et cognitifs diffèrent grandement selon les MND et ne sont en tout état de cause pas spécifiques des MND. Ce premier point en amène un second : la tentative de définition est peu féconde puisqu’elle tend à réduire la complexité des vécus selon les maladies et, surtout, selon les personnes concernées.
Il pourrait être plus constructif de considérer l’« air de famille » (Wittgenstein) que partagent ces MND. En effet, une famille présente un « air de famille » quand bien même on ne peut pas déterminer le point commun entre ses membres. Deux conditions permettent de constituer une famille : i. Il n’y a certes aucun point commun entre A, B, C. Mais il y en a entre A et B ; entre B et C et entre A et C ; ii. La famille est une catégorie qui a du sens dans la mesure où elle produit du sens collectif et une histoire commune. Ce qui nous est apparu lors de l’université d’été 2015, à travers les synergies créées, les ponts créés entre les maladies, c’est précisément qu’il y avait du sens à parler de MND à condition qu’on parle de famille MND.
En outre, plutôt que de voir quel type de maladie constituent les MND, il est peut-être intéressant de retourner la question et de voir comment les MND invitent à renouveler notre idée de la maladie. Il ne s’agit plus alors de la caractériser, de la figer, mais de voir ce que peut apporter une compréhension des MND dans leur diversité, pour repenser la maladie. C’était précisément l’objectif de ce workshop.
Trois arguments invitent à penser que les MND mettent particulièrement à l’épreuve notre représentation de la maladie. Il s’agissait des trois axes du workshop.
1) Les MND dans leur ensemble se caractérisent par la difficulté d’identifier leur cause et donc leur commencement. Cette absence de clarté causale interroge l’idée même de maladie en tant qu’elle est associée à une cause, à un diagnostic et à la recherche d’une voie thérapeutique correspondant à ce diagnostic.
2) Les MND, au même titre que les maladies mentales et que la plupart des maladies chroniques, par exemple, invitent à penser d’autres réponses à la maladie que la guérison ; d’autres ressources que des ressources thérapeutiques sans pour autant les exclure. Cela conduit à penser la possibilité d’une application aux MND de la notion de « patient-expert » ou de « pair-aidant ». Cela pose également la question du statut du savoir expérientiel.
3) Les MND invitent à repenser l’écologie de la maladie : la maladie ne concerne pas seulement la personne qu’elle atteint mais un environnement familial, amical, professionnel difficile à circonscrire de « personnes concernées ». En outre, les personnes atteintes ne sont pas seulement malades, mais aussi selon les stades de leurs maladies « handicapées » et « différentes ». Cette caractéristique invite à penser les conditions de la reconnaissance sociales (matérielle, juridique, symbolique) des personnes concernées.
On ne manquera pas de rappeler, pour conclure, qu’à la connotation ressentie péjorative de la désignation « maladies neuro-dégénératives » devrait être substituée la notion plus recevable de « maladies neuro-évolutives ».
Le second workshop du 7 mars 2016, organisé avec le concours de la Fédération hospitalière de France (FHF), a interrogé le respect des valeurs, des droits et des attentes de la personne au domicile. Il a mis en avant les réalités quotidiennes et les défis de la vie des personnes malades et des aidants au domicile. Du fait de l’amorce du « virage ambulatoire » promu par les politiques publiques, le domicile est devenu un secteur justifiant une attention particulière. En effet, de nombreux enjeux humains, techniques, économiques, politiques traversent les prises en soin et l’accompagnement au domicile. Quelques enjeux discutés pendant le workshop sont présentés ci-après.
Les participants ont notamment échangé autour du concept de vulnérabilité décisionnelle que ressentent à la fois la personne allongée dans un lit et soumise aux différentes interventions et ingérences, les aidants qui doivent prendre des décisions alternatives et à qui le proche malade communique peur et angoisse, et les intervenants au domicile souvent peu professionnalisés. L’absence d’évaluation de la propension d’une personne à prendre de bonnes décisions pour elle-même concoure à cette vulnérabilité décisionnelle.
Un autre problème majeur souligné lors du workshop est le manque de coordination des prises en soin des personnes malades au domicile et l’absence de référent (exception faite des situations complexes gérées par les MAIA). Les participants regrettent notamment le manque d’assistantes sociales de circonscription et la superposition de couches de coordination engendrée par la multiplicité des acteurs au domicile. Ces dynamiques participent à la déstructuration du système ambulatoire.
Les participants ont également rapporté une grande variabilité de qualité des prises en soin s’expliquant en partie par le manque de régulations, des formations nombreuses et de qualité variée, des acteurs multiples sur le terrain. Ils notent aussi l’absence de recours pour dénoncer les situations de maltraitance et de danger.
La formation des intervenants au domicile a également été largement interrogée pendant le workshop sous l’angle de l’éthique et des compétences médicales. En effet de nombreuses situations spécifiques au domicile requièrent que les intervenants et les proches aient des compétences médicales et puissent questionner leurs pratiques, mener une réflexion éthique. Pour autant les formations existantes n’intègrent pas ces dimensions.
Le workshop a aussi été l’occasion de se demander si les droits de la personne au domicile étaient différents des personnes suivies d’en d’autres contextes et de rappeler les droits revendiqués par les personnes concernées par la maladie au domicile : le droit de recevoir, de pouvoir s’évader de son état de santé ; le doit au respect de l’intimité (pas d’allers et venus sans prévenir) ; le droit au respect de leurs corps ainsi que le droit au respect de la vie de famille, de la vie conjugale et professionnelle. Ces droits questionnent les positions de force dont les professionnels du domicile peuvent abuser ainsi que les zones de conflit présentes autour, par exemple, des contraintes horaires dues à la gestion des plannings des aides à domicile, du choix du matériel médical, de la méfiance des professionnels concernant les prises de risque.
Lors des discussions, les acteurs du domicile ont été invités à parler d’habitat plutôt que de domicile, et à prendre en compte l’écosystème sociodémographique et sociotechnique de la personne malade. Ceci pour ne pas réduire la personne à son état pathologique, pour participer à développer l’identité narrative de la personne au domicile et identifier les ressources globales disponibles.
Ils ont également été conviés à identifier les privilèges épistémiques relatifs au domicile. L’espace national de réflexion éthique MND proposera une charte des droits de la personne malade au domicile à l’issu des travaux qu’il mène dans ce domaine.