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"Il existe évidemment un cercle vertueux entre de bonnes conditions d’exercice professionnel et des soins de qualité. De nombreuses initiatives sont prises autour du mieux-être au travail dans l’hospitalisation privée : mise en place d’actions ciblées (troubles musculo-squelettiques, prévention des risques psychosociaux), prévention de la pénibilité au travail par des études de postes, accompagnement de salariés en difficulté…"
Par: Béatrice Noëllec, Conseillère, Fédération Hospitalière Privée /
Publié le : 11 Janvier 2016
Dans son ouvrage « Le moment du soin », le philosophe Frédéric Worms nous rappelle combien le soin est un pan vital des relations entre les êtres : « Le soin est deux fois premier : il n'est pas seulement soin de quelque chose, réponse à des besoins, condition de la vie ; il est aussi soin de quelqu'un, comportement adressé, constitution d'un sujet. » [1].
Pour les établissements de santé privés, cette dimension de « soin adressé » est une composante fondamentale de la bientraitance.
Nous accueillons des femmes, des hommes, des enfants dont la richesse des parcours singuliers doit guider l’acte de soin. Une prise en charge réellement personnalisée permet de gagner tant en sécurité qu’en efficience, et un patient qui se sent reconnu et respecté sera bien plus disposé à entrer dans une relation de soin confiante et propice au rétablissement de sa santé. Les études d’opinion illustrent le besoin de reconnaissance qu’expriment les citoyens. Il n’en est pas autrement dans la sphère du soin où, du fait de la maladie, l’impression d’une identité affaiblie, morcelée, est encore plus forte.
Tous les secteurs du soin sont concernés : à titre d’illustration, l’hospitalisation privée pratique près de 66 % de la chirurgie ambulatoire en France. Les patients passent peu de temps dans l’établissement, souvent pour des actes qui nécessitent une grande technicité. L’attention à l’autre dans la relation de soin y requiert d’autant plus d’exigence : les pratiques bientraitantes en ambulatoire font donc l’objet d’une attention toute particulière.
Ne pas réduire l’individu à sa maladie, c’est aussi prendre en considération ses équilibres comme ses contraintes de vie, proposer par exemple des délais courts de rendez-vous. Un établissement a mis en place une palette de choix pour ses patients dialysés, dont une dialyse longue de nuit, susceptible d’être mieux conciliable avec une activité professionnelle. Un autre travaille sur la généralisation de la chirurgie ambulatoire dans la prise en charge des patientes atteintes d’un cancer du sein, pour diminuer l’angoisse, préserver un certain confort de vie et maintenir les liens familiaux et professionnels.
Enfin, ne pas être réduit à sa maladie, c’est aussi être reconnu dans sa capacité à poser une réflexion tant sur celle-ci que sur les pratiques soignantes. L’attention personnalisée à l’autre dans la relation de soin suppose d’être réceptif aux mots que le patient pose sur sa pathologie. La philosophe Claire Marin, dans son ouvrage « Hors de moi », apporte un témoignage saisissant : alors qu’elle vit depuis toujours avec une maladie auto-immune dont elle connait les moindres retentissements dans tout son être, elle vit un jour une situation de soin de véritable maltraitance : une infirmière s’obstine à lui faire une piqure sur une parcelle très desséchée de sa peau, malgré ses avertissements. « Mon savoir-intime ne vaut rien. Les mises en garde contre les faiblesses et les résistances de mon corps ne sont pas entendues » [2].
Toutes les initiatives visant à permettre au patient de mettre quelques temps sa maladie à distance, de renouer avec des centres d’intérêt mis entre parenthèses par obligation, de restaurer une image valorisante de soi, de se réapproprier la direction de son existence, relèvent fondamentalement de la bientraitance.
De nombreux établissements de l’hospitalisation privée proposent des espaces d’accueil et d’écoute, ou encore des lieux d’expression artistique, des soins culturels. Ces initiatives permettent d’entrer en relation autrement et, face à des difficultés pouvant surgir avec un patient, de trouver un autre cadre où la notion de « soin relationnel » trouve tout son sens. Certaines activités culturelles ont un effet antalgique sur la douleur physique, mais aussi sur le poids psychologique parfois intolérable de la maladie. Un des adhérents de la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) a mis en place des ateliers d’écriture animés par une écrivaine à destination tant des patients intéressés que de leurs proches, mais aussi des soignants. Au fil des séances, les écrits, pesants, douloureux au début, se font plus légers et renouent avec des bribes de « la vie d’avant ». Le postulat de base de cette démarche est qu’un établissement de santé n’est pas qu’un lieu de traitement, mais aussi un lieu qui maintient les individus dans une dynamique vitale. Y contribuent notamment les soins socio-esthétiques, destinés à procurer un bien-être physique, psychologique, mais aussi social : il s’agit de maintenir le lien avec l’environnement extérieur, les codes sociaux qui y sont requis, mais surtout de restaurer l’estime de soi à travers le regard appréciateur de l’autre.
Un établissement de santé qui ne prendrait pas les proches en considération ne peut pas être véritablement bientraitant. Ouvrir par exemple les ateliers d’écriture aux proches, c’est reconnaître leur besoin d’écoute et d’expression. Une clinique a créé un groupe d’échange intitulé « paroles d’enfants », où les enfants de parents atteints d’un cancer peuvent se rencontrer, échanger et confronter leurs vécus. Des établissements psychiatriques travaillent aussi beaucoup avec les proches, en élaborant des groupes de soutien aux familles et en leur expliquant mieux la maladie : c’est aussi un enjeu important pour le patient, que de pouvoir ainsi reconquérir la considération d’autrui parfois mise à mal par le désarroi que provoque une pathologie mentale.
La bientraitance est une démarche de considération d’autrui dans toutes les composantes de son être. Pour mieux comprendre ce que vit le patient, une clinique a lancé une initiative baptisée « Prends ma place d’être patient » : pendant 24 heures, un membre du personnel de l’établissement, volontaire, - soignant ou non - vit en position de patient dépendant, avec une pathologie fictive. Les enseignements que toute l’équipe retire de cette expérience sont très riches.
De nombreux établissements associent les patients à l’élaboration de leurs documents, chartes, formations sur la bientraitance. Le savoir qu’ils ont sur leur maladie, leur ressenti sur les soins sont des enseignements très précieux pour ces démarches. Un établissement a mis en place, en complément du questionnaire d’évaluation classique, un dispositif baptisé « sécurimètre » qui permet aux patients de donner, à chaque étape de leur prise en charge, leur perception sur la sécurité des soins mis en œuvre et de communiquer sur l’impact émotionnel de ces soins et leur niveau d’anxiété. Autre initiative, celle d’un support multimédia à destination de patients souffrant d’un syndrome coronarien aigu : ce support présente une vision exhaustive, professionnelle et rassurante des services, de manière très interactive. Donnant au patient des repères, notamment spatiaux, précis et réconfortants, ce support lui permet de sentir qu’il n’est pas dépossédé de toute compétence, qu’il peut anticiper les étapes du processus de soin et ainsi garder une certaine maitrise de la situation. Autre initiative encore, l’élaboration d’un guide de la bientraitance de nuit, relatif au sommeil, à l’environnement sonore et lumineux, à l’apaisement des angoisses, etc.
Pour les professionnels des établissements, le recul par rapport aux pratiques est une dimension essentielle : donner aux équipes l’opportunité de la réflexion sur les actes de soins, le temps de poser ce regard en surplomb - qui peut être suscité par l’intermédiaire d’un philosophe, d’un éthicien - soutient, donne du sens et valorise. Cela permet de restituer toute la force et la grandeur de l’acte soignant, que les contraintes du quotidien font parfois perdre de vue. Cela suppose de valoriser toutes celles et ceux qui sont acteurs du soin, et qui contribuent de manière essentielle à « maintenir, perpétuer et réparer notre monde, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible » (Joan Tronto [3]).
Un établissement a mis en place un groupe de réflexion sur les valeurs éthiques de l’entreprise et a mené un travail sur les situations de maltraitance entre collègues : irrespect, médisance, etc. divers comportements ont été mis en scène, filmés, et surtout illustrés par l’intermédiaire de figurines. Cette approche résolument ludique désamorce les tensions et favorise la prise de conscience du caractère inapproprié de certaines attitudes. Sur cette base a été réalisée une Charte de bientraitance entre collègues. D’autres établissements ont choisi l’expression théâtrale pour faire vivre et promouvoir les valeurs du soin, autour de la notion de bientraitance, de respect, de vivre-ensemble. Un établissement psychiatrique a organisé un jeu de rôle avec des acteurs de théâtre sur différents scenarii de maltraitance, notamment sur le thème de la distance thérapeutique en psychiatrie. L’intérêt de la démarche réside dans la cohésion favorisée par la collaboration artistique, alliée à la représentation tangible et incarnée de concepts abstraits. Une clinique a développé un outil visant à mieux prendre la mesure, à intervalles réguliers, du plaisir à travailler ensemble, le « Team spirit quizz ». Enfin, un groupe de l’hospitalisation privée a lancé un grand concours de films courts intitulé « Promouvoir la bientraitance en établissements », destiné à valoriser toutes les initiatives concourant à la bientraitance du patient d’une part et optimisant le bien-être des professionnels d’autre part.
Parfois il faut aussi savoir changer les perspectives, ouvrir des horizons renouvelés, susciter des regards décalés. Un établissement a pris la décision de louer pour tous les personnels un grand jardin ouvrier, ouvert tous les jours 24 heures sur 24. Lieu de rencontre, de détente, de ressourcement, cette démarche originale a rencontré un grand succès. Ainsi la bientraitance prend vie au sein d’un établissement et en irrigue chacune des pratiques.
Il existe évidemment un cercle vertueux entre de bonnes conditions d’exercice professionnel et des soins de qualité. De nombreuses initiatives sont prises autour du mieux-être au travail dans l’hospitalisation privée : mise en place d’actions ciblées (troubles musculo-squelettiques, prévention des risques psychosociaux), prévention de la pénibilité au travail par des études de postes, accompagnement de salariés en difficulté… Un groupe a mis en place une plate-forme d’assistance psychologique via une hotline ouverte en continu à destination de ses personnels.
Mais l’hospitalisation privée considère aussi que la valorisation des compétences, les opportunités de formation, les perspectives d’évolution professionnelle et d’ascenseur social, constituent des déterminants majeurs de la qualité de vie au travail. Les politiques Relations Humaines (RH) des établissements de santé privés sont guidées par ces exigences. Par ailleurs, se préoccuper de la qualité de vie des professionnels nécessite aussi d’être attentif aux évolutions de la société, aux nouvelles attentes qui s’expriment, par exemple en termes de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. C’est la raison pour laquelle la FHP a souhaité, dans son Plan Stratégique, adopté en avril 2014 [4, 5], mettre le sujet du soutien à la fonction parentale dans le cadre professionnel, à l’agenda de ses réflexions et actions en matière d’enjeux RH.
La considération du contexte sociétal est un enjeu majeur pour mieux répondre aux attentes des patients et constitue un vrai facteur de bientraitance. En effet, au-delà de sa subjectivité, des composantes de sa vie propre, de la logique de son existence, le patient s’inscrit dans un contexte social et sociétal donné qui, pendant longtemps, est resté aux portes des établissements de santé. Pourtant, les déterminants sociaux des individus ont des répercussions réelles sur leur état de santé. La bientraitance réside aussi dans un travail sur les représentations, voire les idées préconçues à l’égard des patients, et une lutte contre toutes les pratiques discriminatoires, plus ou moins conscientes, qui peuvent affecter l’accueil ou la prise en charge. L’hospitalisation privée mène, ou va mener, des expérimentations avec plusieurs associations autour de l’accès aux soins et du recours aux droits des personnes en situation de précarité, de la sensibilisation des professionnels aux enjeux de la précarité, de la question des barrières linguistiques.
Ouvrir les établissements de santé à la société civile constitue une vraie source d’inspiration. De nombreuses maternités de l’hospitalisation privée s’efforcent de s’adapter aux évolutions sociétales et d’accueillir toujours mieux les familles dans leur diversité, de soutenir les futurs et jeunes parents, d’améliorer la place et la considération accordée aux nouveaux pères. La montée des violences intrafamiliales est un phénomène préoccupant qui doit être pris en compte dans les établissements de santé, notamment les services d’urgence, pour améliorer la prévention, le repérage et la prise en charge des violences.
La bientraitance et le soin donnent une unité à tous ces enjeux. De telles prises en charge nécessitent des pratiques bientraitantes particulièrement sensibles et exigeantes, pour accueillir de la manière la plus juste toutes les formes de vulnérabilité. C’est sans doute là que résident les développements les plus fructueux et opérationnels du concept de bientraitance : dans cette ouverture de l’établissement de santé vers la société et la cité, en tant qu’acteur remplissant pleinement des missions tant sanitaires que sociales, au service de l’intérêt général. Un de nos établissements a fait sienne la citation de Saint-Exupéry : « La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir les hommes : il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines » [6]. La FHP la reprend volontiers à son compte, tant cet enseignement doit guider toutes les pratiques soignantes.
Bibliographie
[1] Worms F, Le moment du soin : à quoi tenons-nous ? « Ethique et philosophie morale », Paris : PUF, 2010
[2] Marin c, Hors de moi, Paris : Allia, 2008
[3]Tronto j, Un monde vulnérable, Paris : La Découverte, 2009
[4] http://www.hospitalia.fr/La-FHP-a-devoile-son-Plan-Triennal-Strategique_...
[5] http://www.fhpmco.fr/2014/06/05/question-de-confiance/
[6] Saint-Exupéry (de) A, Terre des hommes, Paris : Le Livre de Poche, 1939, p. 42