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"Bouleversées, attaquées, ces valeurs partagées ont plus que jamais, aujourd’hui, besoin de se traduire en actes : ainsi, chacun ouvre sa porte aux victimes durant les attentats, ainsi, on revendique l’esprit français comme acte de résistance face au terrorisme, ainsi, on nous appelle à être tous unis."
Par: Franck Rolland, Étudiant en 6ème année de médecine, faculté de médecine Paris-Sud / Paris-Saclay, président de l’association Les Penseurs de Plaies /
Publié le : 09 Décembre 2015
Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.
La violence et la peur se sont à nouveau rappelées à nous, explosant à la mi-novembre de l’année 2015. La mort, les blessures, le choc n’ont pas seulement frappé nos concitoyennes et concitoyens. Ils ont atteint le cœur d’une nation, la France, terre des Lumières, et des valeurs à l’origine des Droits de l’Homme et de la République. Bouleversées, attaquées, ces valeurs partagées ont plus que jamais, aujourd’hui, besoin de se traduire en actes : ainsi, chacun ouvre sa porte aux victimes durant les attentats, ainsi, on revendique l’esprit français comme acte de résistance face au terrorisme, ainsi, on nous appelle à être tous unis. Les couleurs du drapeau ont alors brillé dans les villes du monde entier. « Liberté, Egalité, Fraternité ».
« Indignez-vous ! » écrivait Stéphane Hessel. L’indignation est le terreau de l’esprit de résistance au sein duquel grandit une France dessinée par ces valeurs partagées et défendues par un peuple uni. Mais quelles sont-elles, précisément, ces valeurs en lesquelles chacun croit ?
La France, corps social et nation, se trouve blessée au sortir de ces événements traumatiques. Face à ces blessures, chaque Français envers sa propre nation se trouve dans une situation comparable à celle du soignant, empreint d’attention, de solidarité et d’accompagnement réciproque. Chacun de nous fait l’expérience de la nécessité morale du « prendre soin », d’être au plus près de ses semblables, ses blessés et de venir en aide aux plus vulnérables afin que se transcrivent en acte ces valeurs atteintes.
Or la relation de soin est complexe, lorsqu’elle s’établit entre un soignant et un soigné, et d’autant plus lorsqu’elle concerne des individualités et un corps social. Seule une réaffirmation de l’unité, de la communauté partagée, du « nous » face au « je et au « on », peut donner sens à une telle relation. Lorsque chaque Français, dans ses actes, s’engage dans une relation similaire à une relation de soin avec la France elle-même, il devient évident qu’en parlant de tous, nous parlons de chacun. Dans la reconquête de nos valeurs, par l’exemple du soin, nous saisissons d’emblée l’importance du singulier au sein d’un collectif.
Soigner s’apprend, tout étudiant médecin, aide-soignant ou infirmier, le sait. Cet apprentissage passe par l’expérience du face à face avec la douleur, la vulnérabilité, la peur et la mort. Dans ces situations parfois désespérées, j’ai compris que le soin n’était pas simplement guérir, mais qu’il relevait d’autre chose de bien plus complexe et de bien plus subtil. Même confronté au pire, le moral et le vital conjointement nous indiquent qu’il y a toujours quelque chose à faire.
Aujourd’hui, la France fait face à un obscurantisme violent nous poussant à remobiliser la philosophie des lumières qui, dans le contexte de la France au XVIIIe siècle, luttait contre le fanatisme religieux par l’éclat de la raison. Ils y ont vu un prisme moderne redéfinissant l’humanité. Ils ont forgé à partir de l’entendement et de la raison une philosophie des Droits de l’Homme et du Citoyen à la base de notre République.
Aujourd’hui, la révolte à l’origine des travaux des philosophes des Lumières semble s’être endormie dans son institutionnalisation. Réveillée si brutalement, elle est confuse, recherche ses fondements. La froide raison, poussée par un monde toujours plus systématisé, toujours plus protocolisé, toujours plus chiffrable, est sollicitée. Mais est-ce là la solution ? Pouvons-nous penser les valeurs de la République uniquement sous l’illusion d’objectivité que nous offre cette raison « pure » ?
On ne peut s’affranchir de nos émotions pour apprécier le particulier. C’est ainsi que dans le soin, une relation peut s’installer entre un soignant particulier et un soigné particulier. Sans se couper de l’entendement, le soin opère aussi grâce aux émotions humaines. C’est ainsi que l’empathie a un sens, que l’on « écoute toujours » dirait Pasteur, et que l’on accompagne au mieux. Les soignants, les citoyens, les humains ne sont pas de « pure raison, pure[s] machine[s] intellectuelles[s] à constater, calculer et rendre des compte », comme dirait Georges Canguilhem : ils reconnaissent par la raison et par le cœur les autres qu’ils côtoient, la société qu’ils constituent, et les valeurs qu’ils défendent.
C’est peut-être par-là que nous pouvons voir dans le soin une piste valable pour retrouver les mots à poser sur nos valeurs. Afin de savoir saisir le singulier dans le général. Sans faire de la raison une froide pensée calculante, sans exclure l’émotion de notre conception du monde. Au travers l’expérience du soin, on vit la nécessité d’adapter les principes au contexte, d’adjoindre le cœur à l’esprit, et de transformer cette réflexion en action. Ce qui pousse le soignant à réagir face à la détresse du soigné ne peut relever que de la raison. La raison nous laisse parfois indifférents ; ce qui éveille en nous l’inspiration d’agir, n’est-ce pas l’émotion ? Pasteur n’écrivait-il pas « la grandeur des actions humaines se mesure à l’inspiration qui les fait naitre » ? De quoi relève l’inspiration ? Aussi artistique que logique, elle est aussi le juste milieu, la vertu, entre la réflexion et l’action. Elle préserve parfois de l’erreur, inaugure parfois un changement. Ainsi, pour retrouver nos valeurs, ne faudrait-il pas recourir à une Raison plus contextuelle, une Raison plus émotionnelle, une Raison plus humaine : une éthique ?