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"Pour l’aidant familial, en particulier le conjoint, passer le relais à des professionnels c’est prendre le risque de faire disparaître définitivement le lien qui l’attachait encore à son conjoint malade, même si ce lien n’existe parfois plus que dans la souffrance."
Par: Judith Mollard-Palacios, Experte psychologue, Union France Alzheimer /
Publié le : 23 Septembre 2015
Pour la personne malade, accepter l’aide dont elle a besoin c’est en même temps reconnaître le ou les handicaps qui la prive(nt) de son autonomie.
Le fait d'accepter l’aide qui lui est proposée a un coût psychique. Celui de renoncer à l’indépendance durement et progressivement acquise au cours de l’enfance puis de l’adolescence et jusqu’aux débuts de l’âge adulte. Accepter l’aide qui est proposée, c’est aussi être capable de s’en remettre à l’autre qui affirme savoir ce qui est bon pour elle alors que souvent elle n’a pas accès à cette analyse fine des besoins qui sont les siens, notamment quand la maladie la prive de certains de ses outils cognitifs.
À ce sujet Blandine Prévost l’exprimait de façon très précise lors de son allocution à l’Université d’été de l’EREMA en 2012 : « la maladie me force à développer ma confiance en l’autre. À certains moments ma réalité intérieure est différente de celle que les autres m’affirment. Perdre confiance en ma réalité, au profit de la réalité de l’autre. Partir du postulat que je fais plus confiance à l’autre qu’à moi-même. Convenons-en, il s’agit d’un exercice difficile… J’espère que les personnes qui m’entourent, et d’une manière générale l’entourage des personnes touchées par une maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée, mesurent la chance qu’elles ont, la confiance dont elles font l’objet. Qu’elles prennent conscience de cet exercice que nous faisons et s’émerveillent de cette confiance, plutôt que de se désoler d’avoir à répéter, redire et réexpliquer les choses ! »
Les professionnels, qu’ils interviennent au domicile ou en établissement, doivent en effet avoir conscience des risques énormes qu’acceptent de prendre les personnes malades quand elles s’en remettent à eux, et intégrer dans le temps du soin et de l’aide cette étape de l’approche et de la rencontre qui permet un temps de négociation et de compromis pour une relation d’aide et de soin consentie.
Pour l’aidant familial, en particulier le conjoint, passer le relais à des professionnels c’est prendre le risque de faire disparaître définitivement le lien qui l’attachait encore à son conjoint malade, même si ce lien n’existe parfois plus que dans la souffrance.
Une relation d’interdépendance pouvait préexister au sein du couple avant l’apparition de la maladie et peut se trouver renforcée quand la relation d’aide s’intensifie, renforçant les liens d’attachement et complexifiant ainsi les modalités de la séparation.
Il est alors extrêmement important que la présence de l’aidant professionnel soit un soutien à la relation entre le conjoint et son conjoint malade et non une menace, et que celui-ci soit attentif à ce qui fait l’intime du couple, comme l’utilisation du prénom, le tutoiement, les échanges d’affection.
Entrer au domicile d’une famille est un premier pas dans l’intimité de l’autre. Une intervention souvent perçue comme venant bousculer ou même « violenter » un espace privé, personnel.
Il faut faciliter cette rencontre en alliant les compétences et les sensibilités respectives de l’aidant familial et de l’aidant professionnel. En osant dire quand la sphère de l’intime se trouve menacée par l’une ou l’autre partie.
Nouer une relation de confiance, ne rien brusquer, savoir observer, être patient, pour cela le facteur temps est nécessaire pour se découvrir, s’ouvrir à l’autre, oser exprimer ce que l’on ressent, sans tomber dans le jugement ou le conseil déplacé.
Les situations sont très différentes les unes des autres, et la qualité de la relation qui préexistait à l’apparition de la maladie et donc de la dépendance très importante pour comprendre le niveau d’implication et le niveau de satisfaction ou de non satisfaction de l’aidant à procurer de l’aide. Le fait de recueillir et d’utiliser les perceptions des personnes malades et de leurs aidants familiaux permet aussi de surmonter la tendance des professionnels à appliquer leurs propres cadres d’évaluation, ce qui peut entraîner une inadéquation des propositions d’interventions aux besoins des bénéficiaires de l’aide.
Les soignants professionnels et les aidants familiaux ont souvent des objectifs et des savoirs différents qu’il faut concilier si l’on veut que des partenariats se développent. Les professionnels ont une compréhension globale et généralisée de la maladie et des besoins qui en découlent, tandis que la personne malade et son entourage familial ont une connaissance « locale », c’est-à-dire une vue unique d’un cas particulier s’inscrivant dans une histoire relationnelle qui n’a pas commencé avec le début de la maladie.