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L’importance du Code de Nuremberg conçu pour juger les crimes commis par des médecins sur des déportés tient à ce qu’il a constitué le point de départ de la prise de conscience des dangers des progrès de la science avec les dérives qu’elle peut susciter, et de la nécessité de l’encadrer par un certain nombre de règles.
Par: Bruno Halioua, Inserm, Département de recherche en éthique Université Paris-Sud-Paris-Saclay, auteur de Le procès des médecins de Nuremberg, Toulouse, érès, 2018 (réédition) /
Publié le : 19 Mai 2014
Le procès des médecins (Medical Case) opposant le gouvernement militaire américain à un groupe de médecins - Karl Brandt, commissaire du Reich à la santé et ses coinculpés - a commencé le 9 décembre 1946 conformément à l’ordre n° 68 du gouverneur militaire américain en Allemagne du 25 octobre 1946. Très exactement 19 mois après la capitulation sans condition de l’Allemagne hitlérienne alors que le monde entier était encore sous le choc de l'ampleur et de la gravité des crimes perpétrés par les Nazis et de l'horreur de la Shoah. Ce procès dont la compétence et les pouvoirs avaient été fixés par la Loi n°10 du Conseil de Contrôle (Accord de Londres d’août 1945) faisait suite à celui très célèbre au cours duquel le Tribunal militaire international (TMI) avait jugé 22 dignitaires les plus importants du parti nazi, de l’armée et du Reich[1].
Le procès des 20 médecins et 3 scientifiques impliqués dans des expérimentations médicales est le premier des douze procès organisés en zone d’occupation américaine qui ont été conduits contre des hommes politiques, des militaires, des industriels, des médecins, des juristes et des membres du bureau des Affaires étrangères. Il s’inscrit dans la continuité de la décision de poursuivre les criminels nazis telle qu’elle avait été envisagée dans la déclaration de Saint-James Palace, le 12 janvier 1942, par les gouvernements en exil de la France, de la Norvège, de la Hollande, de la Belgique, du Luxembourg, de la Pologne, de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie et de la Grèce, conscients de la dimension inédite des atrocités commises par les dirigeants du IIIèmeReich. Les États-Unis, l'Union soviétique et la Grande-Bretagne avaient à nouveau affirmé leur détermination à châtier les criminels de guerre après la victoire en signant à Moscou, le 30 octobre 1943, une déclaration qui a abouti à la mise en place, à la fin de la guerre, de deux juridictions afin « de juger et punir de façon appropriée et sans délai, les grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe [2] ».
Au cours du procès des médecins de Nuremberg, l’accusation a mis en évidence la dimension particulièrement atroce des expérimentations médicales (“ Versuchspersonen ”) réalisées sur des êtres humains dans les camps de concentration et d’extermination par des médecins allemands[3].
Depuis des siècles, de nombreuses expériences humaines avaient été réalisées sans le consentement des sujets : mais jamais elles n’avaient atteint un tel degré dans l’horreur. C’est ce qui a conduit à une véritable prise de conscience du Ministère Public sur les dangers du développement de la recherche médicale et sur la nécessité d’un encadrement strict des expérimentations humaines avec l’élaboration de dix règles qui ont pris par la suite le nom de Code de Nuremberg. Ce procès des médecins de Nuremberg a constitué à ce titre un événement d’une portée historique fondamentale sur les plans à la fois juridique et médical. Il a contribué à l’émergence de la bioéthique moderne en fixant pour la première fois la légitimité des expériences médicales, tout en mettant en place des limites destinées à protéger les sujets qui y participent avec l’instauration du « consentement éclairé ».
Le 9 décembre 1946, le chef du conseil pour les crimes de guerre, le Brigadier-général Telford Taylor prononce le discours d’ouverture du procès des médecins à Nuremberg. Il évoque les millions de victimes inconnues, et adresse à ceux qui ne croient pas encore que ces crimes aient pu être commis des propos prophétiques : « Pour ces victimes, il est surtout important que ces incroyables événements soient clairement démontrés et prouvés en public, afin que nul jamais ne puisse mettre en doute que ce sont des faits et non des affabulations ; et que cette cour, qui représente à la fois les États-Unis et la voix de l'humanité tout entière, imprime à jamais ces actions et les idées qui l'engendrèrent du sceau du crime et de la barbarie. »[4] Il expose ensuite les quatre chefs d’accusation.
Le premier concerne l’intention commune et le complot en vue de commettre les délits constituant les deuxième et troisième chefs d’accusation.
Le deuxième chef retient les crimes de guerre dans les prisons du Reich, sur des civils ou des militaires, et sans leur consentement. Il s’agissait de « meurtres, brutalités, cruautés, tortures, atrocités et autres actes inhumains », en violation des règlements de La Haye, des conventions de Genève, des lois et coutumes de la guerre, des lois des nations civilisées et de l’article 2 de la Loi n° 10. Dix crimes commis dans le cadre de camps de concentration ont été retenus.
Le troisième chef d’inculpation concerne les crimes contre l’humanité.
Le dernier chef d’inculpation est relatif à l’appartenance à la SS après le 1er septembre 1939, en violation de l’article II de la Loi n° 10. Cette accusation concerne 10 accusés.
Le procès des médecins a constitué un modèle d’organisation juridique, 32 témoins ont été présentés par l’accusation, 53 par la défense tandis que 1471 documents ont été cités. Très rapidement, au cours du procès de Nuremberg, les juges Walter Burgers Beals, ainsi que ses assistants (Harold Leon Sebring, Johnson Grawford, Victor Clearence Swearingen) comprennent qu’ils allaient devoir établir un jugement sur des actes de barbaries réalisés non pas par des monstres mais par des médecins qui avaient puisé dans le vivier des camps de concentration les sujets pour mener leurs projets expérimentaux de recherche. Ils prennent conscience de la dimension éthique particulière de ce procès et de l’importance du jugement qu’ils allaient être amené à rendre, non seulement pour les victimes des expérimentations médicales nazies mais surtout pour les générations à venir. Ils sont ébranlés par l’aplomb et l’assurance dont vont faire preuve dans leur argumentation les 23 accusés et leurs 27 avocats[5].
Les avocats de la défense qui disposent d’une entière liberté de parole exposent avec brio une argumentation qui déstabilise à de nombreuses reprises le ministère public. Leur système de défense s’articule autour de sept axes : le caractère obsolète du serment d’Hippocrate, l’analogie avec les expériences menées aux États-Unis, la responsabilité du totalitarisme hitlérien, le caractère désintéressé des chercheurs, le souhait d’améliorer le sort de l’humanité, la limite des modèles animaux expérimentaux et l’occasion pour les détenus de se racheter pour les crimes qu’ils avaient commis.
Plus de soixante ans après, cette argumentation n’a pratiquement jamais fait l’objet d’une analyse complète, ainsi que le souligne Arthur Caplan qui évoque à ce propos le « silence relatifs » des spécialistes de l’éthique médicales : « Il est difficile d’accepter l’idée selon laquelle ceux qui sont jugés pour leurs actions soient en mesure de présenter des arguments d’ordre morale pour leur défense. Il est plus facile et moins dérangeant de rattacher les expérimentations médicales criminelles nazis à des actes de perversion menés par un petit groupe d’individus lunatiques, déviants et de second ordre. C’est plus facile, mais c’est faux. »[6]
En effet, il est important de souligner que les expériences médicales réalisées dans les camps de concentration l’ont été afin de servir l’effort de guerre allemand avec l’aval des autorités, à l’aide de crédits publics et en collaboration étroite avec les plus grandes institutions de recherche d’Allemagne. De nombreux médecins allemands prestigieux bénéficiant du fruit des recherches réalisées dans les camps n’ont jamais été inquiétés. D’illustres praticiens ont assisté à des conférences au cours desquelles étaient présentés les résultats préliminaires des expérimentations, sans émettre la moindre désapprobation sur l’utilisation d’êtres humains. Ainsi, les principaux responsables de la médecine aéronautique allemande assistaient aux “ journées du froid ”, les 26 et 27 octobre 1942, pendant lesquelles avaient été décidées des expériences sur le froid et évoquées celles sur la soif et sur les moyens de la combattre en cas de naufrage en mer[7]. Le célèbre professeur de chirurgie Ferdinand Sauerbruch et le directeur de l’Institut pharmacologique de l’université de Berlin, Wolfgang Heubner étaient présents à la conférence où ont été exposées les expérimentations sur les sulfamides réalisées à Ravensbrück.
On peut donc affirmer qu’une proportion importante du corps médical était au courant de ces expérimentations : leur silence est à rapprocher de l’adhésion de la majorité d’entre eux au National-Socialisme. Ainsi Alexander Mitscherlich écrit en 1947 que les 23 accusés du procès des médecins de Nuremberg ne représentaient « que la partie émergée de l’iceberg car le mal s’était étendu à l’ensemble du corps médical, ce qui semblait une évidence. »[8].
Les nombreuses interrogations portant sur la responsabilité des médecins impliqués dans les expériences criminelles auxquelles sont confrontés les membres du ministère public au cours de la préparation du procès, les conduisent à faire appel à trois médecins ayant des connaissances approfondies dans le domaine de l’éthique expérimentale mais dont la formation, l’origine et la religion étaient différentes.
Le premier, Leo Alexander, est professeur de neuropsychiatrie à la Duke University School of medicine depuis 1941. Issu d’une famille juive viennoise, cet ancien assistant à l’Institut de recherches sur le cerveau Wilhem Kaiser en 1928 puis à l’Institut Neurologique de Francfort[9],avait été contraint d’émigrer aux États-Unis à l’avènement du Nazisme. En tant qu’agent des services de renseignement de l’US Army, il avait été envoyé en Allemagne dès les premiers jours de la capitulation allemande afin de récupérer et d’identifier les lettres, les rapports et les documents en prévision de la préparation des procès des dignitaires nazis. À cette occasion, il s’était rendu compte de la dimension exceptionnelle des crimes commis par des médecins ayant pourtant suivi comme lui les mêmes cours dans les facultés de médecine les plus prestigieuses d’Allemagne et d’Autriche. Au cours du procès des médecins, le rôle de Leo Alexander sera de conseiller le ministère public sur les questions médicales, de coordonner les témoignages des témoins, et d'évaluer l’importance des souffrances physiques et psychiques infligées aux victimes qui sont appelés à témoigner.
Le deuxième expert, Werner Leibbrand, est un psychiatre catholique allemand, professeur d'histoire de la médecine à l'université d'Erlanger Il avait été victime du processus de Gleichschaltung médical qui s’est traduit, dès l’accession au pouvoir des Nazis, non seulement par la nomination de militants du NSDAP aux postes clés de l'administration, la ségrégation et l’expulsion des médecins juifs, mais aussi de leur conjoint, ce qui était le cas pour lui.
Le troisième protagoniste, Andrew Ivy est un prestigieux professeur américain issu d’une famille d’origine protestante, physiologiste de l’université de l’Illinois, mondialement reconnu. À ce titre, il a assuré la mise en place de nombreuses expériences menées sur des êtres humains dans le domaine de la digestion, mais aussi à propos des hautes altitudes[10].
Ces deux derniers experts interviendront tout particulièrement quand les avocats de la défense soulignent l’analogie entre les expérimentations réalisées dans les camps de concentrations et celles effectuées au même moment par les chercheurs américains dont les thématiques de recherche sont identiques. Les médecins expérimentateurs allemands n’hésitent pas à déclarer qu’ils ont manifesté un plus grand souci pour la santé des sujets d’expérimentation que leurs collègues américains…
Le 15 Avril 1947, Leo Alexander insiste au cours du procès sur le fait que les expériences relatives ai paludisme réalisées en Allemagne ne pouvaient pas être comparées à celles conduites aux États-Unis pour la simple raison qu’elles n’avaient occasionné aucun décès et que les seules protestations enregistrées émanaient de prisonniers qui n’avaient pas été retenus pour y participer.
Le professeur Andrew Ivy explique le 12 juin 1947 que les expérimentations menées aux États-Unis ont permis de déterminer les conditions de vol à haute altitude, au moyen de simulations mathématiques sans utiliser d’êtres humains. Il insiste également sur les profondes divergences qui existent entre les modes de pensée, et les méthodes expérimentales américaines et allemandes. Ainsi rappelle-t-il l’importance du principe du volontariat des sujets d’expérimentations aux Etats-Unis, ce qu’il a toujours respecté dans toutes les expériences entreprises sur les hautes altitudes et les avitaminoses sur des objecteurs de conscience : « Aucun d’entre eux ne se retira, ni ne demanda à interrompre une expérience commencée ; aucun ne mourut et ils furent constamment surveillés par un médecin. »[11]. Il explique qu’aux États-Unis les expériences respectent les critères éthiques publiés par le Journal of The American Medical Association[12] qui s’articulent autour de trois principes: la nécessité d’obtenir le consentement du sujet, l’évaluation préalable du risque sur l’animal, et la réalisation de l’expérience sous contrôle médical qualifié.
Au terme de la déposition d’Ivy, le tribunal déclare que, faute d’une loi écrite, le débat sur l’expérimentation reste ouvert.
Un des éléments les plus importants du procès des médecins de Nuremberg a donc été la prise de conscience par les juges du vide juridique dans le domaine des expérimentations menées sur l’homme [13].
Au terme des 133 jours du procès, le ministère public a jugé nécessaire de rédiger un code de droit international portant sur l’expérimentation humaine, proposant des règles précises susceptibles de prémunir l’humanité des exactions condamnées.
Les quatre juges du tribunal militaire américain élaborent un code de droit international encadrant l’expérimentation humaine. Il fixe dix principes déontologiques et repose en grande partie sur les dépositions des deux médecins experts américains cités par l’accusation, le professeur Andrew Ivy et le docteur Leo Alexander.
Ce projet avait déjà fait l’objet d’approches dès le mois de novembre 1945 par John Thompson, chargé de l’organisme assurant la collecte des résultats des travaux scientifiques et médicaux réalisés dans l’Allemagne hitlérienne[14]. Notamment dans le cadre de réunions au cours desquelles des officiers de renseignements alliés, compétents dans le domaine des questions médicales, et des spécialistes des crimes de guerre avaient longuement discuté des questions déontologiques posées par la réalisation des expérimentations humaines. La première réunion s’était tenue à Francfort en mai 1946 et la seconde à l’Institut Pasteur de Paris, le 31 juillet et le 1er août 1946. Andrew Ivy y avait exposé à cette occasion un projet de code évoquant l'obligation d'informer les sujets des risques encourus avant qu'ils ne donnent leur accord.
Cette formulation embryonnaire d’un code sur les expériences humaines avait été intitulée: « Esquisse préparatoire visant à définir les principes et les règles régissant l'expérimentation humaine »
Elle présentait les principes qui inspireront la rédaction du code :
« I) Le consentement du sujet est nécessaire: on ne peut recourir qu'aux seuls volontaires.
« a) Lorsqu'ils encourent des risques, les volontaires doivent en être informés avant de donner leur consentement.
« b) Chaque fois que cela possible, toutes les dispositions doivent être prises pour éviter tout accident.
« II) L'expérience doit être conçue sur la base des résultats obtenus par l'expérimentation animale de sorte que les résultats que l'on anticipe légitiment la réalisation de l'expérience: autrement dit, l'expérience doit être utile, et ses résultats doivent être tels qu'ils servent le bien public.
«III) L'expérience doit être réalisée:
« a) En évitant toute atteinte et souffrance inutiles qu'elles soient mentales ou physiques.
« b) Par des scientifiques qualifiés.
«c) L'expérience ne doit pas être réalisée s'il existe des raisons de penser qu'elle peut conduire à la mort ou à l'invalidité du sujet. »[15]
Deux jours avant l'ouverture du procès des médecins, le 7 décembre 1946, l'expert médical de l'accusation, Leo Alexander, adresse au procureur général, Telford Taylor, un premier rapport dans lequel il énumère les trois conditions nécessaires à la pratique des expérimentations humaines:
« 1) Le sujet de recherche doit donner son consentement en toute liberté.
2) La relation professionnelle aussi bien thérapeutique que scientifique que le médecin établit avec les hommes repose sur les principes établis par le serment d'Hippocrate. Il stipule que le médecin intervient que dans l'intérêt thérapeutique du malade tout en lui interdisant de délivrer du poison à quiconque, même si on le lui demande.
3) L'expérimentation ne peut se faire qu'après recherche physico-chimique et expérience animale. »
Le 15 avril 1947, au cours du procès, Leo Alexander remet à l’accusation un second mémorandum dans lequel il propose six règles légales et éthiques destinées à encadrer les expériences humaines :
« 1 - Consentement libre et légalement valable du sujet ; ceci implique : a) l'absence de contrainte, et, b) une explication suffisante de la part de l'expérimentateur, et une compréhension suffisante, de la part du sujet, de la nature exacte et des conséquences de l'expérience.
« 2 - La nature et le but de l'expérience doivent avoir un caractère humanitaire, avec le but final de guérir, traiter ou prévenir les maladies, et ne doit avoir rien de commun avec des méthodes d'extermination ou de stérilisation (….) Le motif et le but de l'expérience ne doivent pas avoir un caractère personnel.
« 3 - Toute expérience dont la raison d'être a priori, ou la conclusion probable, serait la mort ou un dommage durable causé au sujet, est défendue.
« 4 - Tout doit être prévu et préparé pour protéger le sujet d'expérience contre une possibilité éloignée de maladie, d'infirmité, ou de mort. Cette condition prévoit que le degré d'aptitude des expérimentateurs, et le soin qu'ils apportent à la réalisation de l'expérience, doivent être sensiblement plus élevés que l'aptitude nécessaire aux interventions médicales ou chirurgicales habituelles.
« 5 - Le degré du risque à courir ne doit jamais dépasser le degré d'importance du problème à résoudre. L'éthique ne permet à un expérimentateur de réaliser des expériences comportant un certain risque, qu'autant que la solution du problème en cause, soumise à une investigation scientifique complète, n'est pas accessible par d'autres moyens (…).
« 6 - Les expériences ne doivent être décidées qu'après la recherche approfondie d'une solution par les moyens physico-chimiques et les expériences animales, et la conviction que les résultats les justifieront. L'expérience doit être entreprise de façon à amener des résultats décisifs pour le bien de la société, et ne doit être ni laissée au hasard, ni effectuée sans nécessité absolue. »
Ces six critères permettant de définir « des expériences médicales licites » affirmaient la légitimité des expérimentations cliniques, tout en posant pour la première fois des limites destinées à protéger les sujets soumis aux expérimentations.
Andrew Ivy établit un rapport qu’il remet en décembre 1946 à l'Association Médicale Américaine (AMA) dans lequel il précise les 3 principes conformes à l'éthique médicale:
« 1) Le sujet doit être volontaire sans pression extérieure, et averti des dangers éventuels.
« 2) Les expériences doivent avoir un caractère de nécessité ; elles ne peuvent être procurées par une autre méthode, et elles doivent avoir été préparées par des expériences animales.
« 3) Elles ne doivent être effectuées que par des personnes qualifiées du point de vue scientifique, pour éviter toute souffrance ou dommage inutile ; elles ne doivent laisser envisager aucune raison de mort ou de dommage durable. »[16]
Les quatre juges du tribunal militaire américain ont donc élaboré un code sur la base des dépositions des deux médecins experts américains cités par l’accusation : il comportait dix principes déontologiques et reposait en grande partie sur les dépositions[17]. Ils ont tenu compte du fait que tous les sujets ayant été utilisés pour les expériences étaient des déportés et ont interdit toute les expérimentations sur une population carcérale. Ils ont également inclus deux principes relatifs à la liberté d’interruption de l’expérience, à la fois par le sujet et par l’expérimentateur.
L’importance du Code de Nuremberg tient à ce qu’il a constitué le point de départ de la prise de conscience des dangers des progrès de la science avec les dérives qu’elle peut susciter, et de la nécessité de l’encadrer par un certain nombre de règles. Il s’agit d’un code légal de droits humains et non un code de déontologie médicale qui devrait être appliqué seulement par des médecins[18].
1. Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne intéressée doit jouir de capacité légale totale pour consentir : qu'elle doit être laissée libre de décider, sans intervention de quelque élément de force de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d'autres formes de contraintes ou de coercition. Il faut aussi qu'elle soit suffisamment renseignée, et connaisse toute la portée de l'expérience pratiquée sur elle, afin d'être capable de mesurer l'effet de sa décision. Avant que le sujet expérimental accepte, il faut donc le renseigner exactement sur la nature, la durée, et le but de l'expérience, ainsi que sur les méthodes et moyens employés, les dangers et les risques encourus; et les conséquences pour sa santé ou sa personne, qui peuvent résulter de sa participation à cette expérience.
L'obligation et la responsabilité d'apprécier les conditions dans lesquelles le sujet donne son consentement incombent à la personne qui prend l'initiative et la direction de ces expériences ou qui y travaille. Cette obligation et cette responsabilité s'attachent à cette personne, quine peut les transmettre à nulle autre sans être poursuivie.
2. L'expérience doit avoir des résultats pratiques pour le bien de la société impossibles à obtenir par d'autres moyens : elle ne doit pas être pratiquée au hasard et sans nécessité.
3. Les fondements de l'expérience doivent résider dans les résultats d'expériences antérieures faites sur des animaux, et dans la connaissance de la genèse de la maladie ou des questions de l'étude, de façon à justifier par les résultats attendus l'exécution de l'expérience.
4. L'expérience doit être pratiquée de façon à éviter toute souffrance et out dommage physique et mental, non nécessaires.
5. L'expérience ne doit pas être tentée lorsqu'il y a une raison a priori de croire qu'elle entraînera la mort ou l'invalidité du sujet, à l'exception des cas où les médecins qui font les recherches servent eux-mêmes de sujets à l'expérience.
6. Les risques encourus ne devront jamais excéder l'importance humanitaire du problème que doit résoudre l'expérience envisagée.
7. On doit faire en sorte d'écarter du sujet expérimental toute éventualité, si mince soit-elle, susceptible de provoquer des blessures, l'invalidité ou la mort.
8. Les expériences ne doivent être pratiquées que par des personnes qualifiées. La plus grande aptitude et une extrême attention sont exigées tout au long de l'expérience, de tous ceux qui la dirigent ou y participent.
9. Le sujet humain doit être libre, pendant l'expérience, de faire interrompre l'expérience, s'il estime avoir atteint le seuil de résistance, mentale ou physique, au-delà duquel il ne peut aller.
10. Le scientifique chargé de l'expérience doit être prêt à l'interrompre à tout moment, s'il a une raison de croire que sa continuation pourrait entraîner des blessures, l'invalidité ou la mort pour le sujet expérimental.
[9] Temme LA., « Ethics in human experimentation : the two military physicians who helped develop, the Nuremberg Code » ; Aviat Space Environ Med, 2003 Dec ; 74(12):1297-300.
[10] Grossman MI., « Andrew Conway Ivy (1893--1978) » Physiologist, 1978 Apr ; 21(2):11-2
[13] Marrus MR., « The Nuremberg doctors' trial in historical context », Bull Hist Med, 1999 Spring ;73(1) : 106-23.
[14] Hazelgrove J., «The old faith and the new science: the Nuremberg Code and human experimentation ethics in Britain, 1946-73 », Soc Hist Med. 2002 Apr ; 15(1) : 109-35.
[15] Weindling P. The origins of informed consent: the International Scientific Commission on Medical War Crimes, and the Nuremburg code. Bull Hist Med. 2001 Spring;75(1):37-71
[16] Weindling P., « The origins of informed consent : the International Scientific Commission on Medical War Crimes, and the Nuremberg code », Bull Hist Med, 2001 Spring ; 75(1) : 37-71.
[17] Childress JF. « Nuremberg's legacy: some ethical reflections » Perspect Biol Med, 2000 Spring ; 43(3) : 347-61.
[18] Tiedt TN., «The Nuremberg Code, informed consent, and involuntary treatment », JAMA, 1997 Mar 5 ; 277(9) : 712-3.