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"Une dénaturation du diagnostic de chronicité en un verdict de condamnation témoigne d’une évidente prise de distance avec l’humanisme médical qui se retrouve déstabilisé par le retour en force de la question de l’euthanasie. Cet emballement compromet l’équilibre de la loi Leonetti et son refus de l’acharnement dans toutes ses acceptions : thérapeutiques comme euthanasiques."
Par: Marc-André Ceccaldi, Avocat aux Barreaux de Marseille et Paris /
Publié le : 28 Avril 2014
Personne ne pouvait penser que le propos célèbre d’Albert Camus s’appliquerait avec autant d’acuité à la condition des personnes en état végétatif chronique ou pauci relationnel.
C’est pourtant le cas depuis que l’affaire Vincent Lambert a fait irruption dans le débat public et favorisé l’assimilation d’un handicap neurologique aigu à un état de fin de vie.
La preuve, tous les raccourcis sont permis avec l’emploi indistinct des termes de « handicap, tétraplégie, paraplégie, état végétatif » et de « fin de vie » dans un débat médiatique qui incite au manichéisme quand la nuance devrait prévaloir.
Cette dénaturation du diagnostic de chronicité en un verdict de condamnation témoigne d’une évidente prise de distance avec l’humanisme médical qui se retrouve déstabilisé par le retour en force de la question de l’euthanasie.
Cet emballement compromet l’équilibre de la loi Leonetti et son refus de l’acharnement dans toutes ses acceptions : thérapeutiques comme euthanasiques.
En légiférant sur la limitation thérapeutique, la représentation nationale n’a pas souhaité instituer un dogme du renoncement à l’égard de tous les patients déficitaires et fragilisés.
La disqualification actuelle de ces vies singulières semble pourtant le suggérer dans un glissement préoccupant qui menace le principe d’individualisation de la réponse thérapeutique.
S’indigner de ce risque de régression éthique, ce n’est pas ignorer l’épreuve qui attend les accompagnants des personnes en état végétatif chronique ou pauci relationnel
L’altérité radicale de ces patients impose de reconsidérer l’essence même du rapport à l’être cher qui est dépourvu de communication conventionnelle.
Cette forme atypique d’échanges constitue autant un défi pour les proches que pour les équipes médicales.
L’incommunicabilité inspire un fréquent sentiment d’injustice auquel se mêlent d’autres sentiments, contradictoires et variés, tantôt sur le mode de l’espoir, tantôt sur le mode du découragement.
Pourtant, les témoignages de professionnels renseignent également sur la richesse d’une prise en charge qui ne se limite plus aux seules logiques rééducatives et palliatives.
Dans l’esprit de la circulaire ministérielle du 3 mai 2002, l’émergence progressive d’une filière spécifique se profile dans le développement de protocoles de soins simplifiés centrés sur la prévention de l’inconfort et la socialisation.
Il existe donc un décalage évident entre la logique médicale qui se préoccupe de la qualité de vie et la perception médiatique qui doute du bien-fondé de la survie.
Dans cette confusion ambiante, le régime légal de l’interruption thérapeutique doit être clarifié et confronté aux spécificités d’une population que la singularité exacerbée ne prive ni de son humanité ni des droits irréductibles qui s’y rattachent.
Si l’arrêt de traitement relève in fine de la responsabilité du médecin dans le cadre d’une procédure collégiale préalable (article R 4121-37 du code de la santé publique,) les critères de décision sont de deux ordres, l’un se fonde sur l’état critique du patient (1) quand l’autre se rattache à l’expression de sa volonté (2).
Cette option est offerte aux thérapeutes pour limiter les actes de soins inutiles et disproportionnés quand le triomphe de la maladie sur le patient augure d’une fin certaine.
Le législateur considère que retarder cette échéance constitue un acharnement en ce qu’il maintient la vie de manière artificielle.
Ce qualificatif d’artificiel pose question à l’égard du statut particulier des personnes en état végétatif ou pauci relationnel.
Sont-ils des patients au crépuscule de leur existence? Leur prise en charge n’aurait-elle pour seul but que d’étirer inutilement une fin de vie dans le temps?
Répondre par l’affirmative conduirait à disqualifier la démarche des thérapeutes investis dans l’amélioration de leur devenir en opérant une confusion regrettable entre la notion de limitation irréversible et celle de disparition inéluctable.
L’inexorable peut s’appliquer à deux situations sans revêtir les mêmes enjeux.
La phase terminale témoigne d’une atténuation progressive des fonctions vitales qui sont entamées par une dégradation continue de l’état général.
Le diagnostic de chronicité recouvre quant à lui une autre réalité puisqu’il évoque une notion de stabilisation de la personne au sortir du coma.
Malgré des séquelles neurologiques extrêmes, c'est une vie nouvelle qui attend le patient, fragile et singulière mais bien réelle.
Ces personnes manifestent une présence à l’autre par des modes de communication spécifiques qui peuvent se décliner sur un registre végétatif (accélération respiratoire, sudation dilatation de pupille) ou sur un registre affectif.
Les progrès de l’imagerie fonctionnelle révèlent parfois un corrélat cognitif à ces différents degrés de consistance relationnelle.
Ces apports iconographiques récents interdisent définitivement d’assimiler absence de manifestation de conscience à absence de conscience.
De surcroît, un certain nombre de patients déjouent les seuils de chronicisation par des progrès secondaires qui viennent confirmer que le diagnostic initial ne vaut jamais verdict.
Il est donc impossible de poser un jugement général à partir d’une commodité diagnostique qui recouvre une pluralité d’histoires et des niveaux de conscience différents dans leur intensité comme dans leur évolutivité.
La consistance de ces vies singulières demeure indiscutable, trouvant aussi des manifestations dans la poursuite de besoins organiques de base.
A ce titre, l’hydratation et la nutrition relèvent d’une démarche de satisfaction de ces contingences métaboliques élémentaires.
Boire et manger sont des modalités non spécifiques de la survie qu’il serait inopportun de classer dans la catégorie des thérapeutiques actives.
Un tel raccourci trahirait le principe d’égalité entre les personnes en considérant que le maintien des fonctions vitales est forcément artificiel pour la situation de handicap quand il est naturel dans un état de plénitude fonctionnelle.
Partie intégrante du droit positif depuis sa ratification par la France, la convention relative aux droits des personnes handicapées du 30 mars 2007 qualifie de discriminatoire « le refus de fournir …des aliments ou des liquides en raison d’un handicap » (article 25.f).
En ce sens, le droit à l’hydratation et à l’alimentation sont des droits de l’homme inaliénables.
Les soins de base ne peuvent être regardés comme des composantes d’un acharnement thérapeutique car ils contribuent à l’entretien de la personne et non au combat contre sa maladie.
Parce qu’elle est une déclinaison atypique de la vie, la condition des personnes en état végétatif chronique ou pauci-relationnel n’est pas réductible à un état de fin de vie qui justifierait par principe un arrêt des traitements.
Il en serait autrement si, postérieurement à la phase de stabilisation, les patients rencontraient des complications qui engagent inéluctablement le pronostic vital.
En dehors de ces évolutions péjoratives secondaires, il parait imprudent d’élargir la question de l’acharnement à tous les patients en état végétatif chronique ou pauci-relationnel car cette généralisation ferait prévaloir la pathologie sur la personne.
Il s’agirait alors d’un ‘diagnostic-verdict’ qui surdétermine tout d’emblée sans tenir compte des problématiques personnelles du patient.
La catégorisation confinerait à une déshumanisation du patient réduit à son handicap en l’exposant plus facilement à l’arbitraire de jugements de valeur fondés sur des critères d’utilité sociale ou de coût social à connotation eugénique.
Ce risque de dérive mérite d’être combattu car une condition humaine atypique reste avant tout une condition humaine.
Aucune stratégie thérapeutique ne peut être fondée sur un nivellement a priori des existences qui reposerait sur des critères douteux.
Le critère clinique doit rester l’unique fondement de la décision éventuelle d’arrêt de traitement dans le cadre d’une prise en charge personnalisée.
L’individualisation s’impose aussi dans la recherche de la volonté du patient qui constitue le second critère de légitimation de l’interruption thérapeutique.
Prolongeant les avancées législatives du 9 juin 1999 et 4 mars 2002, la loi LEONETTI proclame, en effet, son attachement aux droits des malades et à leur capacité de décision.
Personne ne peut transiger avec la liberté du patient qui est en droit de refuser le soin au péril de sa vie.
L’article L 1111-4 du Code de la Santé Publique rappelle que « toute personne prend, avec le professionnel de santé, les décisions concernant sa santé. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans consentement libre et éclairé de la personne ».
Dans la démocratie sanitaire souhaitée par le législateur, le paternalisme médical n’a plus sa place.
Le malade est l’unique titulaire du pouvoir d’apprécier le sens de sa vie et de manifester, le cas échéant, sa volonté de l’interrompre.
Ouvert à l’ensemble des malades, cette faculté de renoncement se pose néanmoins en termes particuliers pour les personnes en état végétatif chronique ou pauci relationnel chez lesquelles la formulation du vouloir fait précisément défaut.
Le respect de leur volonté est tributaire du regard de l’environnement médical et familial.
Soignants et proches se retrouvent confrontés au défi de l’interprétation de signes que le patient manifeste sur des registres résiduels.
La fiabilité sémiologique de la démarche apparait incertaine devant la faiblesse des indices laissés par le patient et des subjectivités plurielles qu’elle requiert.
Les crispations de la famille de Vincent LAMBERT démontrent les limites de cette expression de volonté par procuration qui est forcément entravée par les convictions et les sensibilités personnelles.
Dans sa sagesse, la loi Leonetti a souhaité préserver la souveraineté du patient en autorisant la rédaction de directives anticipées ou la désignation d’une personne de confiance.
Visée aux articles L.1111-12 et L.1111- 11 du code de la santé publique, cette faculté permet d’anticiper le déclin de sa conscience en exprimant ses volontés à l’avance ou en désignant le dépositaire légitime de ses volontés.
Séduisantes dans leur principe, ces dispositions législatives apparaissent peu efficientes chez les patients en état végétatif chronique ou pauci-relationnel dont les comas sont d’apparition soudaine.
Anticiper un changement brutal de condition relève de l’utopie, contrairement aux affections neurologiques dégénératives dont les paliers d’évolution permettent aux patients d’envisager sa propre diminution de moyens.
Les exemples de ruptures brutales imprévisibles ne manquent pas dans le droit de la réparation qui traite notamment des comas de nature traumatique.
Lorsqu’une famille de victimes d’accidents ou d’agressions confie un problème de réparation à un avocat, il s’agit toujours de ruptures existentielles immédiates : perte de contrôle de véhicule, croisement fortuit avec un chauffard, violence imprévisible.
Le plus récent exemple qui vient en mémoire concerne un jeune lycéen vauclusien, qui, au sortir de la classe, participe, à l’insu de ses parents, à une escapade dans un village célèbre du Var, sur un deux roues conduit par un camarade.
Cette séquence routière improvisée, initiée pour des motifs festifs, s’interrompt dramatiquement par une collision avec un poids lourd et une atteinte cérébrale majeure chez ce passager de 17 ans.
Rien dans la vie de cet adolescent, sportif et musicien, ne l’incitait à prévoir un devenir aussi sombre.
Cette soudaineté se manifeste également dans les comas anoxiques avec des altérations de conscience imprévisible car radicale.
En dehors de maladies évolutives, l’existence ne peut s’envisager dans l’anticipation permanente du pire.
La rédaction de directives ou la désignation d’une personne de confiance revêt dès lors une dimension théorique au regard de ces changements neurologiques brutaux.
L’efficacité de la loi se heurte à cette singularité obligeant à une indispensable cohésion des accompagnants.
A défaut d’être entendue, la volonté du malade doit, en effet, être recherchée dans un échange apaisé entre soignants et familles sur la signification des signes produit depuis l’apparition du handicap.
Sans renforcement de ce dialogue, il parait difficile de dégager une vérité car la persistance d’antagonismes instaurera des interprétations concurrentes qui paralyseront l’orientation thérapeutique et justifieront un arbitrage extérieur.
Les déchirements de la famille de Vincent Lambert et ses oppositions croisées avec le médecin sont l’illustration d’une impasse que seule l’alternative du procès pouvait surmonter.
L’émoi du corps médical devant la juridicisation du soin est compréhensible car ce glissement signe la faillite du dialogue et l’échec de la relation thérapeutique.
Penser pour autant que l’intervention du juge vaudrait dépossession du médecin constitue une erreur d’appréciation.
L’élaboration d’un diagnostic est le préalable nécessaire à l’élaboration d’une réponse thérapeutique.
Pour autant, la qualification d’état végétatif chronique ou pauci-relationnel regroupe une variété de situations à l’égard desquelles une stratégie médicale préétablie et standardisée est impossible.
Certes, l’option relève de la prise de décision individuelle du médecin mais sa portée engage collectivement le malade, ses proches et la société dans leur représentation de la mort, du vivant et de l’humain.
La responsabilité d’opter ou de renoncer à une limitation de traitement s’exerce donc dans un contexte d’évidente insécurité qui pourrait déboucher sur une multiplication de contentieux voisins de celui de Vincent LAMBERT.
L’intervention du Conseil d’Etat dans cette espèce est une occasion décisive de préciser la condition de ces patients atypiques et le périmètre d’application de la loi à leur égard.
En confiant à trois experts qualifiés une mission exhaustive sur le pronostic clinique de Vincent Lambert (état de santé du patient) et sur la possibilité de déceler une adhésion ou un rejet au traitement (volonté du patient), le Haut Conseil a pris le chemin de cette salutaire clarification en couvrant les deux critères de la loi leonetti.
Seul l’avenir nous dira si la solution juridique retenue à l’issue de l’expertise favorise l’apaisement des esprits et la sérénité thérapeutique à l’égard d’une population dont l’état paroxystique ne doit pas occulter la pleine humanité.