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"Lorsqu’il s’agit d’objets, on les range, on les pose, on les place et déplace à sa guise. Mais pour les personnes, la même chose ne nous dit rien de bon. On ne parle de placement qu’en vue d’une institution, en quarantaine, en garde à vue."
Par: Armelle Debru, Professeur d’histoire de la médecine, université Paris Descartes, Espace éthique/IDF /
Publié le : 27 Février 2014
Le mot est sombre, il implique de la souffrance, de la force, de la contrainte. Celui qui se résout à un placement ne le choisit jamais de gaité de cœur.
Quant à celui qui est l’objet d’un placement, que dire d’autre sinon qu’il en est, en effet, l’objet. Ce n’est pas celui qui décide pour soi. On ne se place pas soi-même. Même autrefois pour les jeunes apprentis, les employés de maison, tous ceux qui, issus de familles acculées par la pauvreté, passaient par les bureaux des placements. Aujourd’hui c’est un enfant en danger, un cas social, une personne handicapée, un malade d’Alzheimer. Dans tous les cas la notion de placement exclut l’auto-placement.
Pour cette personne, être placé est en réalité être déplacé. De la place qu’on occupait dans une autre place qu’on vous assigne. Le placé est un déplacé. On appelle ainsi « des individus qui sont contraints d’aller vivre dans une autre région de leur pays… à cause de la guerre, des persécutions ou d’une catastrophe écologique ». On peut être déplacé individuellement pour une autre raison, sanitaire ou sociale. Mais il en résulte la même chose : on perd sa place, on est sans place, et ce sera bien difficile désormais de trouver sa place
Mais qu’est ce que la place ? Retour à l’étymologie, qui nous surprend. Le latin placamentum signifie geste d’apaisement, du verbe placare, plaire. Fausse piste. Retournons à « place », qui a donné placer et placement. Comme piazza, plaza, place vient du latin platea : un espace ouvert, où l’on se rencontre, libre, terrain public – le contraire d’enfermement, de cellule, de couloir.
Un placement devrait dès lors s’attacher à procurer sa place propre, c’est à dire son espace, au déplacé. Pour cela, le véritable accueil ne se limite pas à la porte. Il s‘enfonce profondément dans l’intérieur, se poursuit dans le temps. Il retourne l’enfermement vers le monde. Il est compagnie, conversation, considération pour donner à chacun, et au déplacé en particulier, sa place.