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Comment prendre la bonne ou la juste décision dans un contexte où se cumulent les incertitudes et tant de déterminants peu maîtrisables ?
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 03 Décembre 2013
La Haute Autorité de Santé (HAS) vient de publier un « état des lieux » sous l’intitulé « Patient et professionnels de santé : décider ensemble » (consultable via le lien situé à droite). L’Espace éthique AP-HP/IDF organisera pour sa part son premier colloque d’éthique appliquée ‘Décision médicale, processus décisionnels : une nouvelle approche de la personne malade dans le parcours de soins’ (inscription à cette adresse), le 16 décembre 2013 à Paris. La convergence de cette actualité fait apparaître tout l’intérêt d’une approche à la fois réaliste et constructive de ce point déterminant dans la relation de soin que constitue l’accord des points de vue sur une option thérapeutique assumée ensemble.
Le principe de consentement solennellement institué dans le code de Nuremberg (1947) procède du souci porté au libre choix de la personne : il convient de la reconnaître dans sa faculté de contribuer de manière déterminante à une délibération qui vise, avant toute autre considération, son intérêt direct. La décision médicale relève d’un processus complexe qui doit intégrer la position d’une personne confrontée, dans bien des circonstances de la maladie, à des dilemmes complexes dont il convient de prendre la mesure. Cela d’autant plus que le temps propice à la prise de décision n’est pas toujours compatible avec l’urgence d’intervenir dans un contexte soumis à nombre de contraintes. S’ajoutent à ce constat assez évident les nombreux facteurs inhérents aux évolutions des connaissances scientifiques et l’atomisation de la pratique médicale en spécialités qui en découle). De telle sorte que la détermination d’un protocole cohérent et adapté justifie des processus innovants qui se sont imposés ces dernières années, comme par exemple les réunions de concertation pluridisciplinaire, voire dans certains cas les systèmes d’aide à la décision.
La loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé témoigne d’évolutions dans les pratiques médicales désormais attentives à la concertation, idée que l’on retrouve dans la notion de « partenariat » dans le soin. Le partage de l’information, dès l’annonce de la maladie et par la suite dans la proposition d’une approche thérapeutique, procède d’une exigence éthique qui modifie profondément les conditions d’arbitrage de la prise de décision. Toutefois, au-delà de ces considérations très générales, peut-on affirmer que l’accès à l’information, la faculté de se l’approprier, la disponibilité des professionnels de santé constituent (de manière homogène) un acquis certain ? Les critères mêmes de la décision justifieraient des approfondissements et une transparence qui fait trop habituellement défaut, au point de donner l’impression de choix aléatoires ou alors quelques fois discriminants.
C’est dire l’enjeu démocratique d’une plus juste approche des modalités de la prise de décision dans le contexte de la maladie, la nécessité d’interroger l’effectivité des principes tout autant que leur pertinence dans des contextes toujours spécifiques. Il convient ainsi de satisfaire à deux exigences compatibles : concevoir la décision comme un processus dynamique qui engage un réajustement des positions initiales et qui tient compte des évolutions du parcours de soin ; prendre en considération les conséquences pratiques de ce réajustement du point du vue de ce que vivent au quotidien la personne malade mais aussi ses proches. L’évaluation des justifications d’une prise de décision médicale est conditionnée par son acceptabilité, tout particulièrement lorsqu’elle concerne une maladie chronique.
La question demeure : comment prendre la bonne ou la juste décision dans un contexte où se cumulent les incertitudes et tant de déterminants peu maîtrisables ? Confrontés à des risques ou à des conséquences qu’ils estiment insupportables, certains préfèrent renoncer à un traitement, voire, dans des circonstances extrêmes, revendiquer une mort anticipée. D’autres s’en remettent en toute confiance à l’avis du médecin qu’ils estiment seul compétent pour décider du préférable s’agissant de leur santé ; ils lui délèguent en quelque sorte une totale responsabilité face à laquelle ils se sentent démunis. Une position médiane semble néanmoins plus conforme aux évolutions actuelles en ce qu’elle contribue à inscrire la relation de soin dans un cadre plus respectueux des droits et des obligations impartis à chacun dans le cadre d’un partenariat véritable. Confronter ses exigences, savoirs, expertises, expériences, représentations, appréhensions dans le cadre d’un échange qui engage réciproquement, permet de mieux saisir le sens d’une décision comprise comme relevant d’un « commun accord ». Le processus décisionnel pourrait donc se fixer comme objectif premier de privilégier les arbitrages favorables à cet accord confiant permettant à chacun d’assumer ensemble ainsi la responsabilité de choix complexes.