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Notre droit apparaît singulièrement démuni contre les actes de maltraitance envers les personnes vulnérables. Il existe certes une nébuleuse d’infractions diverses pouvant trouver à s’appliquer mais elles saisissent difficilement la réalité de ce type d'abus, et un grand décalage existe entre la loi d’une part et les Recommandations de bonnes pratiques et chartes éthiques.
Par: Benjamin Pitcho, Avocat à la Cour (Paris), ancien membre du Conseil de l'Ordre, Cabinet Benjamin Pitcho / Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /
Publié le : 12 Décembre 2011
Dans son édition du 16 septembre 2011, Le Figaro rapportait qu’un directeur de maison de retraite avait porté plainte contre deux de ses salariées, exerçant depuis 20 ans dans l'établissement, pour différents actes de maltraitance commis sur les résidents.
L’article citait le procureur interviewé : celles-ci auraient simplement reconnu « une gifle et un poing mis dans la bouche pour faire cesser les cris », tous louant par ailleurs leur dévouement. » Et le procureur d’ajouter : « certes il y a eu des violences corporelles sur personnes vulnérables, mais les faits sont d'une gravité toute relative… Les victimes ont été examinées par un médecin et elles ne présentaient pas d'ecchymoses ni de plaies... » Le procureur retenait surtout des bousculades, des pressions psychologiques, des humiliations et des négligences.
Notre droit apparaît en effet singulièrement démuni contre de tels comportements. Il existe certes une nébuleuse d’infractions diverses pouvant trouver à s’appliquer mais elles saisissent difficilement la réalité de la maltraitance. Elles concernent davantage ses effets que l’action elle-même. Un grand décalage existe ainsi entre la loi d’une part et les Recommandations de bonnes pratiques proclamées par les autorités compétentes ou autres chartes éthiques d’autre part, et qui ne s’imposent in fine que d’un point de vue moral.
La loi distingue par exemple les violences légères, les violences ayant entraîné un dommage juridiquement qualifié, des violences particulières habituelles, ou encore le lien de dépendance et la vulnérabilité de la victime afin de saisir les actes de maltraitance.
Ainsi des violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ne sont-elles punies que d’une contravention de 5ème catégorie. C’est de même le cas de la contention systématique et de longue durée de personnes âgées, associée à la fermeture à clef de la chambre qui reçoivent la qualification de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail ne dépassant pas huit jours.
Si les violences entraînent en revanche une incapacité totale de travail dépassant huit jours, elles deviennent alors un délit puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. A été ainsi qualifié de délit le cas d’un médecin qui avait agressé une patiente de 71 ans par derrière, avait tenté de l’étrangler et lui avait porté des coups à la tête… Excusez du peu !
Par-delà les brutalités physiques, la violence psychologique n’est pas totalement étrangère à notre Code pénal. La menace demeure en effet un moyen de contrainte fréquemment utilisé pour impressionner un individu ou réduire sa résistance afin de l’obliger à se conformer à ce qu’on attend de lui. Il faut, pour pouvoir entraîner une condamnation, que celles-ci soient cependant réitérées et matérialisées, permettant au contraire d’affirmer que la simple brusquerie voire la pression morale, sort du champ répressif. Ce type de comportement demeure cependant, et hélas, relativement commun face à des personnes démunies.
Dire à une personne âgée malade en établissement d’accueil que les aliments qu’elle a involontairement renversés lui seront resservis le soir, ou la forcer à manger une nourriture non voulue, peut être ainsi éventuellement qualifié de violence légère sanctionnée par une contravention de 4ème catégorie.
Quant aux injures et atteintes à l’honneur, elles ne seront sanctionnées que dès lors qu’elles revêtent un caractère public. Ainsi, contre des personnes accueillies en établissement, l’injure ne peut-elle exister… qu’aux heures d’ouverture de l’établissement et hors le colloque singulier si cher à la prise en charge du malade ? Proférées de nuit dans le silence de la chambre, elles deviennent « confidentielles » et échappent à toute sanction ou ne sont punies que par une banale contravention de 38 €. Comme un mauvais stationnement en somme.
Ces quelques exemples éclairants, relevés dans l’ouvrage Vieillesse et vulnérabilité de Clémence Lacour (PUAM, Aix-Marseille, 2007) et récompensé par le Prix de la Fondation Médéric Alzheimer en 2007, montrent combien notre vision éthique des droits de la personne âgée malade, tout particulièrement lorsqu’elle souffre d’une pathologie de type Alzheimer, demeure bien éloignée de la protection juridique qui devrait lui être garantie.
Sensibilisée par la pyramide des âges d’une part et par la progression de la prise en charge des malades d’autre part, il semblerait pourtant que la jurisprudence durcisse les sanctions envers les comportements maltraitants sur personnes vulnérables. Est-il aujourd’hui acceptable de constater que les mêmes faits peuvent être sanctionnés d’une façon bien différente selon la juridiction dont relève la victime, selon le regard d’un procureur ou du juge qui minimise les conséquences d’actes maltraitants physiquement ou moralement ? Pascal finalement n’est pas si loin de nous et l’antienne est connue en matière pénale.
Doit-on surtout affirmer qu’une modification de la loi s’impose pour répondre à cette nécessité de traiter, enfin, avec toute la dignité requise les personnes âgées malades, celles atteintes d’une pathologie de type Alzheimer pouvant en quelque sorte cumuler différentes vulnérabilités ? Car, et nous devons bien entendu réserver notre appréciation du cas révélé par le quotidien national en l’absence de connaissance des éléments factuels, c’est surtout une forme d’habitude qui surprend dans ce type de cas.
Les faits cités pourraient apparaître à chacun relativement anodins et là demeure le danger : la banalisation d’une maltraitance dans laquelle il semblerait presque naturel de pouvoir rudoyer des personnes vulnérables et, partant, refuser d’agir et de sanctionner dès lors qu’aucune violence physique grave n’est constatée.
Comme si la violence était ressentie de la même manière par toutes les personnes et qu’un « poing mis dans la bouche pour faire taire » quelqu’un, dés lors qu’il s’agit d’une personne âgée et malade, constitue un acte permis ou encore « d’une gravité toute relative ».
Ne négligeons pas la difficulté de la tâche qui incombe au personnel soignant qui, dans son immense majorité, réalise un travail admirable. N’omettons cependant pas de nous demander si nous accepterions, nous tous, aujourd’hui, sur notre lieu de travail, dans nos écoles, dans nos familles, de subir ce genre de traitement.
Pourquoi devrait-il en être autrement pour les personnes âgées malades ? La maltraitance prospère exactement dans la banalité du regard que chacun porte sur ces actes. C’est sur cette banalité qu’il est désormais impératif de braquer notre projecteur, pour les personnels soignants comme les juristes, puisque l’atteinte au respect dû à un tiers n’est jamais anodine.