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Dans le domaine de la maladie rare, la dictature du diagnostic est immense. Les malades en attendent la confirmation de leur maladie qui, tant qu’elle n’est pas objectivable dans leur corps est toujours entachée du soupçon de siéger dans leur âme.
Par: Olivia Gross, Présidente de l'association française des dysplasies ectodermiques, présidente de la Fédération des Maladies Orphelines (2005 à 2009) /
Publié le : 09 Septembre 2010
Extrait de : Traité de bioéthique, tome 1, à paraître Éditions Érés, novembre 2010
Une maladie commence par des symptômes épars qu’il faut relier. C’est d’abord aux parents (puisque la plupart des maladies rares commencent dans l’enfance) d’avoir suffisamment de lucidité pour admettre que quelque chose ne va pas. S’ensuit trop souvent une longue période de nomadisme médical pour obtenir la validation de ce constat.
La dictature du diagnostic est immense. Les malades en attendent la confirmation de leur maladie qui, tant qu’elle n’est pas objectivable dans leur corps est toujours entachée du soupçon de siéger dans leur âme.
Les médecins, eux, l’érigeant en victoire suprême, n’hésitent jamais à asséner, lorsqu’ils le tiennent, des phrases aux conséquences désastreuses : « sans aucun doute, au premier regard, compte tenu de votre dysmorphie faciale… ».
Il faut dire que le rapport du médecin au doute est trouble. S’il faut mettre en doute pour se poser en scientifique, le doute signe aussi dans l’imaginaire le mauvais médecin. Et pourtant que de diagnostics assassins ou erronés auraient pu être temporisés par un peu de doute !
Le milieu associatif des maladies rares parle d’ailleurs de la nécessité à communiquer sur la pédagogie du doute afin que les médecins n’hésitent plus à orienter ailleurs leurs malades.
L’errance diagnostique est si douloureuse que lorsque le diagnostic est clair, certains parents sont presque soulagés. Non par le pronostic, car les maladies rares sont, pour l’immense majorité d’entre elles, très graves, mais par le fait que détenir enfin un diagnostic ouvre la porte à un possible prise en charge.
La maladie enfin nommée, c’est aussi une identité clairement définie. C’est pouvoir expliquer autour de soi ce qui se passe, c’est pouvoir entrer dans le logos, dans le rationnel.
La communication avec les proches comme avec le corps médical est déterminante. Mais les maladies étant rares, les experts le sont aussi, et le droit au libre choix du praticien n’existe pas dans la pratique puisque dans la plupart des cas il est imposé de fait. La socialisation forcée qui s’ensuit, et ce pour des années, est une violence supplémentaire lorsque la relation n’est pas satisfaisante. Or, les réponses ne sont pas à la hauteur des attentes, par manque de connaissances, voire de mobilisation du corps médical, démuni, car trop peu souvent sollicité par ces maladies trop rares. La médecine qui s’est fixé comme objectif la guérison se sent prise en défaut et rares sont les médecins qui se rappellent simplement leur devoir d’humanité.
Sans possibilité de cure, les patients et leurs familles cherchent du care : ils souhaitent que leur soit consacré du temps, à être accompagnés. Que leur souffrance trouve une écoute. Et ne la trouvent que trop rarement à leur goût, le corps médical cultivant le mythe de la bonne distance. Les malades, eux, ne veulent pas de la distance mais au contraire de la présence !
Le Plan maladies rares 2005-2008 a apporté une réponse au manque de connaissances des médecins en exceptant les maladies rares à l’obligation de soins dans le CHU le plus proche du domicile, afin de regrouper les malades atteints d’une même pathologie dans un centre unique. En augmentant de ce fait les cohortes de malades, les médecins s’impliquent davantage, les connaissances de l’histoire naturelle de la maladie s’améliorent, connaissances qui font à ce jour encore trop largement défaut. Notons toutefois que, bien qu’elle en ait été au fondement, cette nouvelle organisation n’a pas apporté de réponse à l’errance diagnostique : il faut forcément savoir de quelle maladie on souffre pour être correctement aiguillé.
Les solutions palliatives existent parfois mais il arrive trop souvent que les prises en charge sociales s’avèrent ne pas fonctionner. Car ces maladies sont hors normes et les besoins qu’elles génèrent le sont aussi et ne répondent pas aux critères habituellement prévus. Crèmes solaires, dentiers, air conditionné, implants dentaires… ne font pas partie de l’usuel panier de soins. Les handicaps qu’elles génèrent sont rares eux aussi et les faire reconnaître est un combat long et hasardeux.
Les personnes concernées ont le sentiment d’avoir été dupées. Bien que participant aux obligations sociales qui leur incombent, elles n’en voient pas le retour qu’elles seraient en droit d’attendre. La solidarité nationale les exclut de fait d’une certaine partie de leurs droits. Les limites de la recherche sont ce qu’elles sont et il y a là un fatum à accepter, en revanche, les limites administratives, politiques et économiques sont insupportables. Le principe d’équité ne fonctionne pas : ce n’est pas la même chose d’être malade d’une maladie courante, dont la prise en charge est balisée et reconnue et d’être atteint d’une maladie pour laquelle il faut toujours revendiquer, expliquer, batailler, afin d’obtenir sa prise en charge.
La grande mobilisation des malades au sein des associations stimule certes la recherche, obtient ponctuellement que des crédits lui soient dédiés, mais de la « proof of concept » aux traitements les sommes nécessaires sont telles, le savoir-faire si pointu, que le service public peine à y aller. Les firmes, sollicitées pour prendre le relais sont rares à le faire par manque de savoir-faire, par calcul économique ou par crainte : ces futurs essais concernant des enfants, elles hésitent à prendre des risques.
Rien n’est actuellement prévu pour se substituer aux carences de l’industrie et de trop nombreuses pistes prometteuses ont ainsi été abandonnées. Pourtant des partenariats évidents pourraient être mis en place avec le service public qui aurait là un rôle à sa taille. Et les brevets pourraient être exploités conjointement.
Des aides sont accordées pour les médicaments orphelins mais les dispositifs médicaux sont négligés. Rien n’est encore prévu pour faciliter la mise en œuvre d’innovations technologiques, qui pourtant sont nécessaires à l’amélioration de la qualité de vie des malades pour qui les dispositifs médicaux sont indispensables. En attendant, les piles intracérébrales ont une durée de vie limitée, les alarmes qui doivent alerter en cas d’apnée du sommeil ne sont pas assez efficaces, les gilets réfrigérants ne sont pas suffisamment adaptés…
La recherche peine à devenir efficace et pose de vraies questions éthiques. Ces maladies sont causées par le dysfonctionnement des gènes et leur utilité est grande pour comprendre l’organisme normal. La curiosité qui les entoure est donc majeure. Mais trop rarement dans une perspective thérapeutique.
Souvent, les médicaments prescrits le sont hors du cadre de l’AMM et par conséquent leurs effets sont méconnus.
Par manque de nombre statistiquement parlant, quand les essais cliniques existent, il est impossible de démontrer une totale innocuité, les effets indésirables pouvant toujours survenir sur le prochain malade traité.
Les nouvelles thérapies sont chères et le sont de surcroît quand elles concernent une petite population. Si chacun sait que sur le long terme les découvertes liées aux maladies rares serviront le plus grand nombre (raisonnement utilitariste contre lequel personne ne s’élève), certaines voix s’élèvent et dans le contexte actuel de crise économique, on peut craindre que cela s’accentue encore. Pourtant, pour d’autres maladies, ces calculs n’interviennent jamais. […]