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Si la perte de la capacité d’action n’est pas synonyme de perte d’autonomie, il faut néanmoins, pour retrouver une autonomie, s’accrocher à des liens et codes subtils, codes que les soignants, en dépit de leur professionnalisme, ne peuvent connaître avec autant de finesse qu’un proche.
Par: Serge Duperret, Praticien hospitalier, Service de réanimation chirurgicale, HCL, Lyon, docteur en éthique, Université Paris-Sud - Paris-Saclay /
Publié le : 03 Septembre 2009
Alors que la dépendance s’installe brutalement, l’autonomie du patient semble s’effacer dans ces services où l’hospitalisation n’était pas prévue ou du moins redoutée. Pour le proche cet univers inconnu est paralysant et le parent ou l’ami devient inapprochable, les longues visites peuvent tourner au rituel dénué de sens pour le malade et son visiteur. Dans cette configuration ce n’est pas seulement le malade mais aussi le proche qui est privé de sa « capacité narrative » et donc de son autonomie.
La première tache du soignant en direction du proche est donc pédagogique : expliquer les outils de suppléances, les appareils de surveillance, leur utilité et leurs limites. Cette phase permet de comprendre la logique du lieu et d’éviter de fausses représentations, notamment de mort, qui sont rattachées à la réanimation, surtout en début d’hospitalisation. En effet comment ne pas se représenter la mort quand les seuls signes de vie sont des chiffres ou des courbes défilant sur un écran. Le proche doit accepter un être différent, nouveau, qui peut ou pourra communiquer mais souvent différemment. De plus, la personne de confiance ou plus simplement le proche ne pourront pas représenter le patient, en cas de nécessité, sans ces nouvelles compétences. C’est au soignant de les octroyer par ces explications.
Faire ensuite passer le message suivant : la perte de la capacité d’action n’est pas synonyme de perte d’autonomie. Mais pour retrouver une autonomie, même infime chez un patient de réanimation, il faut s’accrocher à des liens subtils, savoir accéder à certains « codes » que les soignants, en dépit de leur professionnalisme, ne peuvent connaître avec autant de finesse qu’un proche. Il est donc nécessaire de valoriser cette nouvelle relation avec ce parent, cet ami, que tous les efforts sont utiles à la restauration de l’autonomie. La difficulté de ce nouveau langage nécessite un accompagnement par l’équipe. Le patient peut apparaître fragmenté. Un jeune patient revenu nous voir dans le service après une hospitalisation marquée par des accès de panique nous confiait que les seuls moments où il reprenait confiance étaient ceux passés avec sa famille ou alors quand les soignants le massaient. Son univers ? Celui du prisonnier d’un labyrinthe dont nous étions les geôliers… Les proches ont permis au malade de se raccrocher à un vague espoir mais surtout de communiquer, ce dont nous étions incapables. L’intimité des mots nécessaires à son autonomie, même fugace, nous était étrangère. Parfois les proches détenteurs d’un outil de communication singulier deviennent nos « complices » pour faire accepter à un patient d’être mis au fauteuil, par exemple. Ainsi il est possible de redonner du sens à la relation entre le proche et ce nouvel « autre ». En effet si ce dernier se considère comme le garant de la qualité des soins, il s’écarte de la relation intime avec le malade et s’approprie une partie de son autonomie. S’approprier n’est pas une expérience de l’altérité qui est une recherche « désintéressée », sans retour, sans projection de soi. Si le proche ne fait que passer, marquant son attachement par une seule présence formelle, que peut-il générer sinon une sensation d’isolement encore plus marquée pour le malade ?
Enfin, redéfinir une nouvelle temporalité. En effet, la réanimation est le lieu de l’imprévu, du désenchantement comme de l’espoir. Quand l’avenir est bien connu, souvent le malade est sortant… ce n’est déjà plus un malade de réanimation. Il existe donc un état d’esprit particulier à acquérir. Les professionnels le savent bien : pour « tenir » il faut vivre chaque moment dans son intensité et ne pas se projeter vers un avenir plus qu’incertain. On retrouve cette nécessité de changement de temporalité en unité de soins palliatifs, mais en réanimation elle doit être celle du proche et non celle du malade. De la même façon qu’il faut accepter de rechercher un lien de communication ténu chez cet être fragmenté, il faut vivre dans l’instant sans se projeter dans le futur, même si cela peut paraître dérisoire. Ainsi ce patient qui est mort en attente de greffe hépatique après trois mois d’hospitalisation. C’est quand l’issue a été admise par les parents que ces derniers ont vraiment pris leur place de proches. Il n’était plus dans le projet, l’espoir, ils étaient dans le présent et ont vraiment accompagné leur fils. Ils en ont ressenti l’urgence. Auparavant, ils étaient en représentation de leur fils, une interface entre lui et nous.
En somme la réanimation n’est pas ce lieu de désolation où le proche n’a de présence que formelle. Grâce aux soignants, il peut très vite se familiariser avec ce milieu inconnu et ainsi renouer un lien authentique avec le malade. Cette place donnée au proche n’est pas qu’affective, elle est ce qui manque au soignant pour comprendre vraiment son patient et l’aider à restaurer ce qui peut l’être de son autonomie. Ce lieu de soins si particulier, où le temps et l’espace sont restreints, les conditions d’hospitalisations et le pronostic souvent méconnus, oblige à redéfinir la véritable place du proche, celle qui devrait être commune à toutes les unités de soins, c'est-à-dire avec le malade et non entre le soignant et ce dernier.