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editorial
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 07 Mai 2009
L’évolution des circonstances semble le justifier. Il convient désormais de faire valoir les enjeux humains et sociétaux des stratégies de lutte contre la pandémie de grippe annoncée. Comment préserver les valeurs de démocratie dans la gestion d’une crise internationale nécessairement vécue en direct et dans un contexte favorable à la transmission des virus au même titre qu’à la diffusion des peurs et discriminations de toute nature ?
Dans les prises de positions actuelles, ces questions délicates qui conditionnent pourtant la mobilisation de la société dans son ensemble n’apparaissent pas aussi dignes de considération que les procédures opérationnelles et les argumentations scientifiques en matière d’options préventives. Il en va pourtant de leur acceptabilité et donc de leur efficience. Les personnes doivent être reconnues et respectées dans leurs besoins fondamentaux et leurs droits afin que dans la réciprocité d’un rapport de confiance elles acceptent les règles de solidarité parfois contraignantes en situation extrême. Ces principes sont affirmés notamment par l’OMS et les quelques instances d’éthique ayant consacré un travail approfondi à l’évaluation des impacts sociaux d’une pandémie. La vie démocratique doit être en capacité de surmonter le cumul de défis qui sollicitent à la fois la force de nos convictions et les compétences requises pour assurer la meilleure gouvernance possible dans un contexte incertain.
Équité dans l’accès aux soins, justice dans la répartition des traitements disponibles, attention portée aux plus vulnérables, respect des principes d’humanité y compris dans des circonstances où les impératifs de la quarantaine pourraient s’imposer au même titre que des choix tragiques : de telles questions souvent inédites représentent autant de dilemmes à identifier afin d’anticiper les réponses pertinentes quand les pratiques sociales et les activités médicales risquent d’être « dégradées ». La réflexion éthique est convoquée là où les réalités immédiates en appellent à des arbitrages fondés, à des décisions justes et recevables, fussent-elles adoptées dans l’urgence.
Il paraît également évident qu’on ne peut lutter en solitaire contre une menace pandémique planétaire et que l’attention éthique engage à comprendre le champ des responsabilités au-delà de nos priorités nationales et de nos frontières. La cause des personnes vivant dans des pays dépourvus des ressources et des moyens indispensables aux politiques de santé publique ne saurait être négligée. Les vulnérabilités en appellent à d’autres obligations : il convient d’en saisir la portée.
Les instances gouvernementales qui œuvrent avec efficacité à la préparation du pays à une pandémie possible démontrent qu’elles ont conscience de tels enjeux : « veiller à maintenir un consensus social autour de principes éthiques. » Pourtant, ce souci accordé à l’éthique ne fait l’objet d’aucun développement précis dans le Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale ». Il convient donc désormais d’identifier et de clarifier publiquement ces principes, de les expliciter en fixant un cadre et des règles favorables à un consensus responsable, voire courageux lorsqu’il s’agira de se refuser aux tentations individualistes. Ainsi, s’agissant de la question de l’établissement de priorités, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) recommande que l’on informe « des critères fondant ces priorités et des règles d’éthique qui auront été prises en compte. » Est-on convaincu que cette exigence de communication et donc de responsabilisation est perceptible dans le discours actuellement tenu par les autorités compétentes ? L’approche démocratique, transparente et loyale est rappelée comme un impératif dans l’ensemble des réflexions développées par les instances d’éthique dans leur anticipation de la crise : la mobilisation de la société en dépend.
Rien ne doit donc être négligé ou ignoré de ce qui concerne la part humaine et l’impact social d’une pandémie. Ses conséquences ne se limitent pas à nos facultés de circonscrire un phénomène global et complexe par le seul recours au stock d’antiviraux. D’autres impératifs nous contraignent, ne seraient-ce que ceux qui conditionnent la vie démocratique quand les libertés publiques risquent d’une confrontation à des mesures d’exception.
Que l’actuel H1N1 soit ou non à l’origine d’une pandémie de grippe, envisager avec lucidité et transparence les aspects éthiques de la lutte à mener contre une menace sanitaire d’une telle ampleur constitue aujourd’hui notre urgence.