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Fin de vie : les termes du débat

Premier épisode du parcours de réflexion « Fin de vie, éthique et société » proposé par l’Espace éthique Île-de-France

Par: Virginie Ponelle, Co-directrice de l'Espace éthique/IDF / Nicolas Castoldi, Co-directeur de l'Espace éthique/IDF / Fabrice Gzil, codirecteur de l'Espace éthique/IDF /

Publié le : 09 Février 2023

La fin de vie… ou des fins de vie (toujours singulières) ?

La locution « fin de vie » n’appartient pas au langage courant. Dans nos conversations usuelles, nous parlons plus volontiers de « la fin de la vie ».
La notion de « fin de vie » désigne une période déterminée de notre existence, sa période ultime, celle qui précède directement la mort.
Cependant, on ne parle pas de « fin de vie » lorsqu’une mort survient brutalement, de manière imprévisible, par exemple suite à un accident de la route. On en parle lorsque la mort est, d’une certaine façon, prévisible, par exemple lorsqu’une personne est en phase avancée d’une maladie incurable,
La « fin de vie » englobe, mais ne se réduit ni à ce que l’on appelle la « phase terminale » d’une maladie, ni à « l’agonie ». Le médecin Jean-Marie Gomas, par exemple, estime que dans l’évolution de certaines maladies, « la fin de vie, c’est des semaines ; la phase terminale, c’est des jours ; et l’agonie, c’est des heures ». L’on peut donc être « en fin de vie » sans « être mourant » : les deux expressions ne coïncident pas tout à fait.
Elles coïncident d’autant moins que, comme le note le CCNE dans son avis n°139, la temporalité de la fin de vie paraît s’être allongée au cours des dernières années. Alors qu’il y a quelques temps encore, l’on ne parlait de « fin de vie » que lorsque le décès était prévisible à court terme (dans un délai allant de quelques jours à quelques semaines), la notion tend aujourd’hui à désigner une période plus longue, au cours de laquelle la mort n’est pas prévisible à court mais à moyen terme (par exemple dans un délai de quelques mois).

Deux raisons paraissent expliquer qu’actuellement, l’on s’intéresse davantage à cette période de la vie, qui tend à s’allonger.
La première est que, du fait des progrès de la médecine, on observe un recul des maladies infectieuses, une chronicisation de certaines maladies (comme les cancers) et un maintien en vie de personnes (comme les victimes d’accident vasculaire cérébral) qui décédaient plus souvent par le passé. Dans ces situations, la période au cours de laquelle le décès est prévisible (du fait de l’évolution de la maladie ou de la récurrence du problème de santé), mais ne survient pas immédiatement, a tendance à s’allonger.
La deuxième raison de la focalisation sur la « fin de vie » est l’allongement de l’espérance de vie qui peut s’accompagner, à partir d’un certain âge, de la survenue d’un certain nombre de pathologies, de comorbidités et/ou d’incapacités. Dans ce cas, la « fin de vie » paraît désigner la période de l’existence au cours de laquelle ces problèmes de santé fragilisent tellement la personne qu’elles rendent son décès prévisible, sans pour autant que celui-ci survienne nécessairement à court terme.
L’on devine, grâce à l’analyse des usages de cette locution, que la notion de « fin de vie » peut faire l’objet de discussions, qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer si une personne donnée est ou non,« en fin de vie », et que cette appréciation – sans être arbitraire – n’est pas purement objective et recèle un jugement sur la prévisibilité ou non du décès.

Plutôt que de parler de la fin de vie, il conviendrait sans doute de parler des fins de vie.
À la suite des travaux de Scott Murray (2005), les spécialistes distinguent souvent trois « trajectoires de fin de vie », selon la rapidité de la dégradation de l’état de santé (Observatoire national de la fin de vie, 2013) :
- le déclin rapide (en quelques mois), avec une évolution progressive et une phase terminale bien définie, typique notamment de certains cancers ;
- le déclin graduel (en deux à cinq ans), ponctué par des épisodes de détérioration et de récupération, avec un décès parfois soudain, typique de ce que l’on appelle les « maladies d’organes » (cœur, poumon, foie, rein…) ;
- le déclin lent (en six à huit ans), observé notamment dans certaines maladies liées au vieillissement, comme certaines maladies neurologiques évolutives, caractérisées par une fragilité croissante et une perte progressive des capacités fonctionnelles et cognitives.
Cependant, au-delà de ces trois trajectoires-types, il existe de nombreuses situations de fin de vie, qui dépendent notamment du problème de santé précis qui est celui de la personne. Le site parlons-fin-de-vie, par exemple, décrit comment peut se passer la fin de vie d’une personne selon qu’elle souffre d’un cancer ou qu’elle a subi un AVC ; selon qu’elle est atteinte d’une maladie d’Alzheimer, de Parkinson, ou d’une sclérose latérale amyotrophique ; quand elle souffre d’une défaillance d’organe ; quand elle est en réanimation ou dans un état de conscience minimale… (www.parlons-fin-de-vie.fr/les-situations-de-fin-de-vie/ )
Au-delà de ces grandes situations, soulignons que chaque fin de vie est unique et que chaque mort est éminemment singulière.
Les conditions de la fin de vie dépendent certes des problèmes de santé qui sont ceux de la personne. Mais elles dépendent aussi fortement de son âge (en particulier quand il s’agit d’une personne très âgée ou à l’inverse d’un enfant ou d’un adolescent), du lieu dans lequel prend place la fin de vie, des ressources et des soutiens dont la personne peut bénéficier, de l’accompagnement qui lui est prodigué. C’est ce que montrent, par exemple, les récits rassemblés par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (2022) en exergue du corpus documentaire qu’il a élaboré en vue de la convention citoyenne : chaque fin de vie est éminemment singulière.
Ajoutons que d’un point de vue philosophique, la mort n’est pas seulement la fin d’une vie ; c’est la fin d’une existence, la disparition d’une personne unique et irremplaçable.

Mourir en France aujourd’hui

En 2022, 673 000 personnes sont décédées en France selon l’INSEE
Les cancers sont la première cause de décès, la seconde étant les maladies cardio-vasculaires. Ces deux causes représentent à elles seules plus de la moitié des décès.
Plus des deux-tiers des personnes décédées en 2022 avaient plus de 75 ans. Au cours des dernières décennies, la part relative des décès survenues chez des personnes jeunes a nettement reculé.
Selon l’INED, alors que jusqu’au milieu des années 1970, les décès survenaient majoritairement à domicile, aujourd’hui, environ trois personnes sur cinq meurent à l’hôpital, un quart meurent à domicile et environ 15% en EHPAD.
Parmi les personnes qui meurent à l’hôpital, moins de la moitié y passent les quatre dernières semaines de leur vie. Un quart ne s’y rendent que durant la dernière semaine.
Environ 150 000 résidents d’EHPAD décèdent chaque année, ce qui représente près d’un quart des décès en France. Environ un quart d’entre eux décèdent à l’hôpital suite à une hospitalisation dans les derniers jours de leur vie.

Débattre de la fin de vie en 2023

Débattre des enjeux de la fin de vie aujourd’hui nécessite de tenir compte du triple contexte dans lequel cette réflexion s’inscrit.

Le débat intervient, en premier lieu, dans un contexte de crise profonde du système de santé, qui touche aussi bien l’hôpital que les soins de ville, la profession médicale que les autres métiers de la santé et de l’autonomie. Cette crise, dont les causes sont multiples, entraîne à l’heure actuelle des difficultés parfois importantes en termes de prise en charge et d’accompagnement. Selon l’avis n°139 CCNE, « la qualité et la sécurité des soins sont altérés par le manque de personnels et de matériels, l’extension des "déserts médicaux" et l’organisation insuffisante des parcours de soins ». Le volet "santé" du Conseil national de la refondation vise précisément à apporter des réponses à ces enjeux, en particulier en réfléchissant aux voies et moyens pour améliorer l’accès aux soins et permettre au système de santé de faire face aux nouveaux défis auxquels il doit faire face, comme l’allongement de l’espérance de vie.

Le débat intervient, en deuxième lieu, au terme d’une pandémie au cours de laquelle les fins de vie et les morts ont parfois été vécus de manière traumatique. D’abord parce que le décompte quotidien des décès, au moment de la "première vague", a soudainement redonné au phénomène de la mort, qui avait été profondément invisibilisé, une place très importante dans notre univers mental. Ensuite parce que certaines mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie, comme la restriction des visites et la mise en bière immédiate, ont empêché certaines familles d’adresser à leurs proches un dernier adieu et ont entravé la réalisation d’un certain nombre de rites, occasionnant une souffrance morale majeure. Enfin parce que du fait de l’afflux considérable de malades, certaines personnes – atteintes ou non du Covid-19 – n’ont pas pu recevoir tous les soins dont elles auraient eu besoin.

Le débat intervient, en troisième lieu, dans un contexte sociétal particulier, que le sociologue Norbert Elias a décrit comme « la société des individus ». On y observe une valorisation forte de la santé et de l’autonomie individuelle, une dévalorisation de toutes les formes de vulnérabilité et de dépendance, et un amoindrissement des liens et des solidarités. Parallèlement se développe, comme le souligne l’avis n°139 du CCNE, « un certain fantasme du "bien mourir" », alors qu’ « aucune mort n’est à proprement parler douce, qu’elle survienne naturellement ou à la suite d’une aide active à mourir ». Dans ce contexte, « la fin de vie n’est plus perçue comme un temps essentiel de l’expérience humaine » et l’on observe parfois « une tentation de la mort pressée », « le sentiment d’une "urgence du mourir" ». Par ailleurs, « la maladie, le handicap et le vieillissement sont sources de marginalisation », ce qui occasionne « une extension des situations de solitude et d’isolement, en particulier chez les personnes âgées ». Enfin, certaines formes de vie qui (parfois du fait des progrès de la médecine elle-même) s’accompagnent de déficiences, d’incapacités fonctionnelles – et parfois de souffrances – importantes et durables, suscitent des interrogations voire des incompréhensions, car du point de vue d’individus en bonne santé, le sens de ces vies, et la qualité de vie qui leur est associée, peuvent être difficiles à percevoir et à appréhender.

Une Convention citoyenne organisée sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

  • 185 citoyens tirés au sort en fonction de six critères : sexe, âge, région, type d’aire urbaine, niveau de diplôme, catégorie socioprofessionnelle
  • Une question : « Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux diffé-rentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »
  • Un objectif : « Consolider le processus démocratique en éclairant le législateur dans l’hypothèse d’une évolution du cadre de la fin de vie en France »
  • Neuf week-ends de trois jours: une phase d’appropriation (décembre 2022) ; une phase de délibération (janvier-février 2023) ; une phase d’harmonisation et de restitution (mars 2023)
  • Des débats à suivre sur le site du CESE: https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr   

Un débat qui nécessite une vigilance éthique

La complexité du sujet de la fin de vie, et le contexte particulier dans lequel il prend place, doivent nous inciter à faire preuve de vigilance dans la façon de l’aborder.

D’abord, s’agissant de questions aussi délicates, qui confrontent chacun de nous à sa propre finitude, et qui peuvent de ce fait générer des débats passionnés et des oppositions tranchées et parfois manichéennes, il importe de garantir la possibilité d’un dialogue éclairé, nuancé et respectueux. Les réflexions devraient se baser sur des informations aussi neutres et sur des constats aussi partagés que possible. Les expressions simplistes et outrancières devraient être bannies. Et au lieu de polémiques et de positions tranchées, un dialogue argumenté devrait être possible entre les tenants de positions différentes, afin de permettre à chacun de progresser dans sa réflexion.

Ensuite, même si le sujet mérite évidemment d’être débattu, il ne paraît pas légitime de réduire les enjeux de la fin de vie à la seule question de savoir si, comme d’autres pays, la France devrait dépénaliser demain une forme ou une autre d’aide à mourir. De nombreuses questions se posent, au-delà d’une éventuelle légalisation de l’euthanasie ou de l’assistance au suicide. Par exemple, quelles conditions sont requises pour que chacun d’entre nous, notamment les plus vulnérables, les plus fragiles, ceux qui sont en situation de handicap, ou qui sont dans une situation de précarité, puissent vivre dignement jusqu’au terme de leur existence et avoir accès aux aides, aux soins et aux soutiens dont ils ont besoin ? Et comment faire en sorte pour que soient reconnus tout à la fois le rôle des proches dans l’accompagnement des personnes à l’approche de la mort – afin que même en période de crise, personne ne soit condamné à mourir seul – et le besoin des proches d’être eux-mêmes soutenus et accompagnés, aussi bien pendant la fin de vie qu’après le décès ?

Enfin, s’agissant de la façon de problématiser le débat, il convient d’être vigilant quant à la tendance consistant à assimiler tous les questions liées à la fin de vie à des enjeux de dignité. Dans son avis n°139, le Comité consultatif national d’éthique le souligne :
« Le dilemme éthique qui caractérise la complexité des situations de fin de vie ne porte pas sur la question de la dignité […]. Toute évolution […] qui laisserait penser que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ou sauvées […] serait inacceptable ».
La dignité est un attribut de la personne, elle est consubstantielle à son humanité : toute personne humaine est digne, quels que soient son statut, sa condition, son degré d’indépendance fonctionnelle ou ses capacités de discernement. Quelles que soient les conditions de sa fin de vie, la dignité de la personne ne saurait être remise en cause. Il convient donc d’être particulièrement vigilant à ne pas stigmatiser certaines pathologies ou conditions, en suggérant que les personnes qui en sont atteintes devraient nécessairement se poser la question du sens de leur existence, ou souhaiter abréger leur vie. 

C’est dans cet esprit que l’équipe de l’Espace éthique Île-de-France aborde le débat national à venir : son rôle n’est pas de prendre parti, mais de contribuer, au côté des nombreux acteurs et institutions engagés dans cette démarche, à apporter les éléments d’information et de réflexion nécessaires pour permettre au débat de se dérouler dans des conditions permettant à chacun de se forger une opinion et de la confronter à d’autres dans un cadre respectueux de la diversité des positions sur un sujet qui nous engage tous de manière intime.
Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour le deuxième épisode de ce parcours de réflexion.

Pour aller plus loin

Bibliographie sélective
CENTRE NATIONAL FIN DE VIE - SOINS PALLIATIFS (2022) Parcours d’information sur la fin de vie, Convention citoyenne CESE sur la fin de vie, 102 p. < www.parlons-fin-de-vie.fr/wp-content/uploads/2022/12/Ressourcedocumentaireconventioncitoyenne-1.pdf >
ELIAS Norbert (1982), La solitude des mourants, suivi de Vieillir et mourir : quelques problèmes sociologiques, Paris, Christian Bourgois, 1998, 120 p.
KENTISH-BARNES Nancy (2008) Mourir à l’hôpital. Décisions de fin de vue en réanimation, Paris, Seuil, 242 p.
LACAMBRE Mathieu & HANON Cécile (dir.) (2021) Vouloir mourir au 21ème siècle, Arcueil, Doin, 138 p.
OBSERVATOIRE NATIONAL DE LA FIN DE VIE (2013) Fin de vie des personnes âgées. Synthèse, 32 pages.
SICARD Didier (2012 13) Penser solidairement la fin de vie, Rapport au président de la République, La Documentation française, 198 p.
VINCENT Catherine (2022) La mort à vivre : quatorze récits intimes, Paris, Seuil, 272 p.

L'Espace éthique dans la concertation Fin de vie

Afin de donner à chacun l’opportunité de réfléchir aux enjeux du débat, d’en appréhender peu à peu la complexité, avant de se faire progressivement sa propre idée sur le sujet, l’Espace éthique Île-de-France prend plusieurs initiatives dont fait parti ce Parcours. Retrouvez toutes les ressources via le lien suivant.