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La réquisition : aspects juridiques
"Le droit, porteur d’ordre, imposé sinon accepté, fait de la réquisition un outil privilégié pour affronter de façon collective et autoritaire les désordres sociaux, telles qu’ils résulteraient le cas échéant d’une pandémie. De tels désordres pourraient accompagner une perte des points de repère et des comportements civiques, notamment lorsque fléchissent les résistances aux attitudes de panique, à la recherche de l’échappatoire individuel."
Par: Marc Dupont, Directeur d’hôpital, Direction des Affaires juridiques, AP-HP /
Publié le : 25 Mars 2009
La réquisition est contrainte. Lorsqu’elle est mise en œuvre, des personnes vont être amenées à se conduire d’une manière qu’elles n’auraient pas forcément choisi spontanément. Dans la perspective d’une pandémie mettant potentiellement en jeu la vie de nombreuses personnes, la réquisition aura pour but d’obliger des personnes, des professionnels à faire preuve de civisme, à participer à une œuvre collective, en dépit du danger, au détriment de leur intérêt individuel immédiat, ou jugé comme tel.
Dans de nombreuses circonstances, la confiance en des comportements spontanément vertueux est un élément fondateur de la vie sociale. A contrario, la réquisition intervient lorsque cette logique de confiance n’est plus suffisante, quand les défections individuelles menacent, quand les solidarités sont fragiles et quand encore l’obtention de « l’accord amiable » envisagé par la loi (art. L. 2211-1, C. défense) rencontre des obstacles. Sous peine de sanctions à caractère pénal, l’administration impose alors des actes, des engagements, la participation bon gré ou mal gré à des actions collectives.
La réquisition a aussi pour but d’organiser la réponse de la société en bon ordre, sans se suffire des initiatives individuelles et spontanées.
Recourir à la contrainte, face au risque de propagation de périls infectieux
D’une manière générale, la réquisition est un procédé permettant aux autorités publiques, moyennant indemnisation, de contraindre un particulier à lui accorder des biens et des services. Des salariés comme des fonctionnaires, au même titre d’ailleurs que les autres citoyens, peuvent faire l’objet d’une telle procédure. Un régime de sanctions découle le cas échéant de l’inexécution des demandes impératives formulées dans ce cadre.
Le particulier est contraint de se rendre disponible, de céder des biens, des meubles ou immeubles, au profit d’une cause ou d’une action collective indispensable à la société, à la Nation. L’histoire de notre pays nous renvoie ainsi à des réquisitions de chevaux, de véhicules en temps de guerre… même si dans notre contexte, ce procédé renvoie probablement à la réquisition de services. Diverses hypothèses sont précisées dans les textes normatifs. Elles figurent pour l’essentiel dans le Code de la Défense (qui regroupe les textes majeurs organisant la défense nationale : on se reportera notamment aux articles L. 1111-1 et s., L. 2211-1 et s., L. 2212-1 et s. de ce code). Ces textes énoncent ainsi que « La défense a pour objet d’œuvrer en tout temps, en toutes circonstances et contres toutes formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population » (art. L. 1111-1, C. défense). Par ailleurs, la réquisition, individuelle ou collective, est prononcée pour une durée temporaire ou permanente, les requis étant utilisés suivant leur profession et leurs compétences ou s’il y a lieu suivant leurs aptitudes en commençant par les plus jeunes et en tenant compte de leur situation de famille… Chaque individu peut être soumis à réquisition en conservant sa fonction ou son emploi, étant précisé que peut être concerné l’ensemble du personnel faisant partie d’un service ou d’une entreprise considéré comme indispensable pour assurer les besoins du pays. Enfin, l’exercice du droit de requérir est strictement encadré et relève des ministres compétents et de leurs délégataires.
L’innovation apportée par la récente loi du 5 mars 2007 (n° 2007-294, relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur) consiste en ce qu’elle a introduit des dispositions qui jettent les bases d’un régime de réquisition spécifique, établi cette fois dans la perspective d’une crise sanitaire majeure. Autres temps, autres périls… et cette organisation figure dans le code de la santé publique et non dans celui de la défense.
Ces dispositions s’intègrent dans un système de santé – le nôtre - fondé en grande partie sur des principes de liberté : liberté de choix du médecin par le patient, liberté d’installation, liberté de consentement aux soins… La contrainte est traditionnellement mal perçue en matière médicale ou sanitaire, du moins dans notre pays. Ainsi, rares sont les dispositions qui peuvent venir contraindre un patient à accepter des soins dont il ne veut pas, et les textes en ce sens relatifs aux malades vénériens, aux alcooliques dangereux ont fini par disparaître de notre droit.
Il a pourtant bien fallu envisager les inconvénients de cette situation au début des années 2000, à l’égard du risque de nouvelles maladies infectieuses : la menace d’une propagation du SRAS s’étant précisée, un certain nombre de principes ont dû être reconsidérés. Dans l’hypothèse où une personne aurait été vectrice d’un agent infectieux mortel et très contagieux, les pouvoirs publics étaient en effet juridiquement dépourvus de voies d’action. C’est ainsi que la loi du 9 août 2004 a réintroduit la possibilité de contraindre une personne à se soigner pour protéger son entourage, voire toute la société, d’une contamination. En dehors de ce cas, relevant de l’initiative des préfets sous l’autorité directe du ministre, l’obligation de se soigner demeure très circonscrite et prévue par la loi dans le code de la santé publique : les champs de la maladie mentale (art. L. 3211-1 et s.), de la vaccination obligatoire (art. L. 3111-2 et L. 3111-3), de la toxicomanie (art. L. 3412-1 et s.), des injonctions de soins aux auteurs d’infractions sexuelles (art. L. 3711-1 et s.). On peut encore citer les contrôles anti-dopage (art. L. 3525-1 et s.).
En deçà de la réquisition, l’obligation non plus de se soigner, mais de soigner, résulte “classiquement” des règles déontologiques et professionnelles, qui viennent elles-mêmes prolonger des dispositions du code pénal : l’obligation d’assistance aux personnes en péril en constitue un exemple. Certes, le Code de déontologie médicale a aménagé la possibilité pour un médecin de refuser de prodiguer des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles (art. R. 4127-47, C. santé publ.), mais le champ d’application de cette disposition est fortement restreint. Quelques médecins l’ont récemment évoqué pour refuser de prendre en charge des bénéficiaires de la CMU. Le Code de déontologie médicale précise, en tout état de cause, que le refus de soigner ne saurait concerner les cas d’urgence ou justifier un manquement au devoir d’humanité : « le médecin ne peut pas abandonner ses malades en cas de danger public, sauf ordre formel donné par une autorité qualifié, conformément à la loi ». Des dispositions comparables sont prévues notamment pour les infirmiers et les infirmières (art. R. 4312-6, C. santé publ.).
Les formes de la réquisition en droit français
Une autre forme de réquisition est bien connue des soignants : celle qui existe depuis longtemps en matière médico-légale. L’autorité administrative ou judiciaire peut ainsi adresser une injonction à un professionnel de santé. L’article R. 642-1 du code pénal sanctionne, pour tout citoyen, le fait de « refuser ou de négliger de répondre... à une réquisition émanant d'un magistrat ou d'une autorité de police judiciaire agissant dans l'exercice de ses fonctions ». Un médecin réquisitionné par l’autorité compétente, dans un cadre médico-légal, ne peut se soustraire à ses obligations sauf cas de force majeure ou d’incompétence technique.
En parcourant le Code de la Défense, on rencontrera de nombreuses dispositions qui concernent les réquisitions en situation de guerre ou de menace de guerre. L’ordonnance du 7 janvier 1959 sur l’organisation générale de la défense nationale prévoit, afin d’assurer la protection de la population et l’intégrité du territoire, que le pouvoir exécutif peut être amené à recourir à de multiples mesures. En cas de mobilisation générale, un formalisme juridique extrêmement précis encadre la mise entre parenthèses de libertés individuelles (art. L. 2221-5, C. santé publ.) : il apparaît en notamment dans les règles d’élaboration des lettres de réquisition, recommandées, qui prescrivent impérativement la conduite à tenir. Les réquisitions sont totalement encadrées dans leur objet, dans leur durée et dans leur formulation, toujours écrite. En cas de non respect des obligations de la part des destinataires, la puissance publique est en droit de recourir à la force et de lourdes sanctions pénales peuvent frapper les personnes qui par exemple ne réceptionnent pas les lettres de réquisition ou qui ne donnent pas suite aux injonctions.
La réquisition emporte droit à indemnisation même si, dans l’urgence, il n’en constitue pas l’élément majeur. En temps utile, les personnes concernées pourront demander réparation des préjudices subis du fait de réquisitions légitimées par la défense de la société.
Comment la réquisition est-elle appréhendée en manière sanitaire ? La loi du 9 août 2004 (relative à la politique de santé publique) a introduit la notion de « menace sanitaire grave ». La loi du 5 mars 2007 précise le cadre des « mesures d’urgence ». L’article L. 3110-1 du Code de la santé publique est d’une importance centrale pour les circonstances d’une pandémie. Dans l’intérêt de la santé publique, un certain nombre d’arrêtés peuvent être pris pour prévenir et limiter les conséquences de la propagation d’un agent infectieux dans la population… et pour contraindre. En vertu de l’article L. 3131-8 du Code de la santé publique : « si l'afflux de patients ou de victimes ou la situation sanitaire le justifient, le représentant de l'État dans le département peut procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services, et notamment requérir le service de tout professionnel de santé, quel que soit son mode d'exercice, et de tout établissement de santé ou établissement médico-social dans le cadre d'un dispositif dénommé plan blanc élargi. » La réquisition pourra viser un individu, un groupe ou encore un établissement. Les initiatives prises à ce titre le sont cependant sous le contrôle de la justice, les décisions arrêtées devant être immédiatement déférées au Procureur de la République. Là encore, le texte légal prévoit des modalités d’indemnisation (elle se justifie par le souci d’égalité des personnes devant les charges induites par la réquisition). Des voies de droit permettent la prise de sanctions à l’encontre de ceux qui n’ont pas respecté les obligations qui leur ont été signifiées.
Le droit, porteur d’ordre, imposé sinon accepté, fait de la réquisition un outil privilégié pour affronter de façon collective et autoritaire les désordres sociaux, telles qu’ils résulteraient le cas échéant d’une pandémie. De tels désordres pourraient accompagner une perte des points de repère et des comportements civiques, notamment lorsque fléchissent les résistances aux attitudes de panique, à la recherche de l’échappatoire individuel.
Le droit est-il un instrument de réponse adapté aux grandes peurs collectives ? L’histoire en a montré à de nombreuses reprises les limites. Il est en tout cas un élément bien nécessaire, constitué à froid dans la perspective des situations « à chaud », et permettant d’organiser de façon rationnelle et efficaces les comportements de groupe. La « culture » hospitalière fait de la solidarité et de la sollicitude des valeurs cardinales : l’autorité de la loi et des procédures qui en découlent pourra la conforter, en structurant une réponse collective et ordonnée dans des moments forcément difficiles
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