Notre Newsletter

texte

article

Récit d’une lutte pour un arrêt de dialyse

"Ici, qu’il s’agisse du médecin traitant plutôt passif devant la demande mais surtout ignorant de ces questions ou des néphrologues refusant la discussion, aucun d’entre eux n’a été en mesure de délivrer au patient « une information loyale, claire et appropriée » prévue par l’article 35 du code de déontologie. En raison d’un déficit de formation ?"

Par: Nathalie Nisenbaum, Médecin coordinateur en EHPAD, Paris /

Publié le : 09 Mars 2017

Alors que la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 réaffirme le droit pour « toute personne de refuser ou de ne pas recevoir un traitement », l’arrêt de dialyse semble échapper à ce cadre. Nous nous attacherons à partir d’un récit clinique, à en saisir les principaux enjeux.
 
Interpellée directement par son épouse, l’équipe du réseau de soins palliatifs s’est rendue au domicile de M. R début novembre 2016 pour une demande d’arrêt de dialyse. Elle rencontre, en présence de sa femme et de sa fille, un patient épuisé, dont les sorties se résument aux déplacements en ambulance trois fois par semaine au centre de dialyse. Il présente de lourds antécédents médicaux dont une anémie pour laquelle il est régulièrement transfusé, des épisodes récurrents de surcharge pulmonaire en lien avec une insuffisance cardiaque et une dépression chronique sévère avec de nombreuses tentatives de suicide. Ses séances de dialyse sont rendues pénibles par une fistule dysfonctionnelle.

Âgé de 78 ans, il déclare qu’il veut « en finir », que sa vie n’a plus de sens pour lui puisqu’il ne peut plus rien faire seul, même pas « aller chercher son courrier à la boite aux lettres ». Il souhaite suspendre sa dialyse mais a peur de souffrir et notamment d’étouffer. Il a parfaitement compris que cet arrêt entraînerait sa mort. Son épouse explique qu’ils en ont parlé à différentes reprises aux trois néphrologues du centre de dialyse, sans que cela ait été entendu.
 
Cette demande s’inscrit clairement dans la loi sus-citée. Interpellée par la souffrance exprimée par M. R et la détresse de ses proches, l’équipe du réseau s’engage à les accompagner, en lien avec les professionnels impliqués. Mme a évoqué à plusieurs reprises son sentiment de culpabilité d’accompagner son mari dans cette démarche dont l’issue est une mort annoncée, sentiment accentué par l’hostilité manifestée par les néphrologues lorsque cette question est abordée.
Le médecin traitant contacté après la visite témoigne de cette demande récurrente et ancienne à laquelle il n’a pas donné suite et appuie la démarche. Le contact avec un des néphrologues est extrêmement violent. Reprochant au réseau de ne pas l’avoir contacté avant la visite, il positionne d’emblée la dialyse comme soin de confort et non pas comme un traitement, évoque le risque de détresse respiratoire en cas d’arrêt et s’étonne du fait que M. R n’exprime jamais spontanément cette hypothèse. Il estime qu’il est sous l'influence d’une épouse « particulière ».
 
La proposition d’une réunion de concertation avec les néphrologues en présence de M. R et de son épouse ne sera jamais retenue malgré des demandes répétées. Toutefois, les dialyses sont adaptées, étiquetées « de confort », raccourcies et réduites à deux par semaine. La demande de limitation semble donc avoir été prise en compte et il apparait raisonnable de se donner le temps d’apprécier si ces modifications ont rendu la poursuite de la dialyse acceptable par M. R.
Un mois plus tard, son épouse reprend contact avec le réseau et explique que son mari est hospitalisé depuis trois semaines suite à un problème cardiaque. Extrêmement fatigué, il est devenu totalement dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne, sous oxygène en continu. Les néphrologues ne remettent toujours pas en cause la poursuite de la dialyse malgré les sollicitations réitérées de son épouse.
 
L’équipe du réseau utilise le transfert de M. R dans un établissement de soins de suite pour organiser une réunion de concertation avec Mme, Mr, leur fille, le médecin, la cadre et une infirmière du service. En pleine possession de ses moyens intellectuels, M. réitère son souhait d’arrêt de dialyse, lucide sur les conséquences. Un document reprenant ces éléments est signé par tous les participants à la réunion. Transféré à l’unité de soins palliatifs de proximité, M. R décèdera confortablement 4 jours plus tard, deux mois après la première rencontre avec le réseau. Son épouse remercie les équipes qui ont su entendre la demande de son mari.
 

Information et autonomie

Cette situation soulève des enjeux cruciaux, dans le contexte de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 sur le droit des malades en fin de vie modifiée en 2016.
 
Le premier, et peut-être le plus important, est celui du droit à l’information. Cette famille est allée la chercher sur internet mais sans trouver toutes les réponses à leurs questions. L’arrêt de traitement était-il envisageable ? Quelle était la place des directives anticipées ? Comment être sûr qu’il ne souffre pas ? Qui solliciter ? Qui prend la décision?
Il est clair que les médecins devraient être les meilleurs interlocuteurs des familles face à ces questions. Ici, qu’il s’agisse du médecin traitant plutôt passif devant la demande mais surtout ignorant de ces questions ou des néphrologues refusant la discussion, aucun d’entre eux n’a été en mesure de délivrer au patient « une information loyale, claire et appropriée » prévue par l’article 35 du code de déontologie. En raison d’un déficit de formation ?
Pour des raisons idéologiques ? Le débat sur la qualification de la dialyse comme traitement ou comme soin se rapproche de celui mené pendant des années sur l’hydratation artificielle : il a fallu du temps et de la réflexion pour finalement l’inscrire dans la loi en tant que traitement pouvant par conséquent être arrêté contrairement au soin dont nul ne doit être privé. Il appartient sans doute, dans ce contexte, qu’une recherche de consensus soit menée.
 
Enfin, et ce n’est pas le moindre enjeu, sont questionnés ici la place du sujet autonome dans la capacité d’expression de ses choix et le devoir du médecin de l’accompagner humainement dans une volonté de non-abandon. L’équipe de soins palliatifs, positionnée en tant que tiers, a pu réaliser cette exigence grâce à la collaboration avec d’autres équipes soignantes porteuses des mêmes valeurs du soin. Une vraie note d’espoir qui conclut ce récit dramatique.