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Forum #4 : Que doit-on partager pour décider ? (mercredi 11 mai)

Un forum organisé le 11 mail 2016, de 18h30 à 20h30, à la Mairie du 4ème arrondissement de Paris, 2 place Baudoyer.

Publié le : 05 Avril 2016

Que la décision doive être partagée, qui en douterait dans une société démocratique ? Encore faut-il prendre garde à l’ambiguïté du mot « partage ». Partage peut signifier démultiplication, tronçonnement, voire dissolution. Lorsque la décision se transforme en petites décisions dont personne n’est responsable et dont personne ne voit le sens ni la finalité, elle est tout sauf démocratique… C’est le risque auquel expose le fonctionnement bureaucratique, mais aussi l’excès de procédures dans la décision.
Dès lors, mettre en partage la décision devrait plutôt correspondre à un mouvement de rassemblement, de réunion, de réunification.
Mais que doit-on partager pour décider ? Quels temps, quels lieux, quels savoirs ?  
Et n’y a-t-il pas, dans toute décision, même collective, un moment intime et ultime qui ne se partage pas ?

Grands témoins : 

  • Laurent Beaugerie, Professeur de gastro-entérologie, CHU Saint-Antoine, AP-HP
  • Corinne Lamouche, Responsable mission vunérabilités - Direction des Patients, des Usagers, et des Associations, AP-HP
Le forum #4 en vidéo : "Que doit-on partager pour décider ?"

Synthèse des débats (Paul-Loup Weil-Dubuc)

Pour commencer j’aimerais attirer notre attention sur le mot « partage » plutôt que sur le mot « décision ». Partager un gâteau peut signifier deux choses : qu’on le mange ensemble ou alors qu’on le divise en autant de parts qu’il y a d’invités, lesquels invités ne sont pas obligés de le manger ensemble.

Dans le premier sens – au sens d’un partage qui découpe – le partage conduit à ce que chaque décideur revendique un domaine souverain de décision. Le médecin décide pour le médical, le juriste pour l’application de la loi, etc. Et au final la décision sera partagée et chacun aura sa part de pouvoir et de reconnaissance.

Alors, le partage de la décision peut conduire à une dilution de la responsabilité. C’est ce qui peut se passer dans une organisation bureaucratique où le séquençage en petites décisions peut aboutir à ce qu’on perde de vue le cap, la finalité à laquelle contribuent toutes les petites décisions. Ce séquençage peut aussi faire le lit de décisions monarchiques ou oligarchiques quand une personne ou un petit groupe est chargée des décisions importantes et que les autres disposent d’une marge de décision très restreinte pour les exécuter.

Le partage de la décision peut supposer, à rebours de ce découpage de la décision en plusieurs sphères distinctes de décision, que la décision soit préparée, prise et assumée par les différentes parties prenantes. Dans ce cas la décision est véritablement collective.

Ce qui nous conduit à la question : que partage-t-on dans une décision ? La décision n’est pas un acte monolithique. Elle n’est pas réductible à l’acte décisif, à l’acte qui tranche. Le processus décisionnel est fait de rebondissements, de retournements, d’imprévus. C’est aussi ce que montre le sociologue Pierre Vidal-Naquet dans un bel article intitulé « Enfermer maman ». Les points de vue des protagonistes évoluent sur une décision, la signification d’une décision évolue avec le temps.

On peut dire que le processus décisionnel est lui-même constituée de plusieurs phases de décision.

1. La phase de problématisation

La décision intervient toujours quand ceux qui la prennent pensent qu’il faut décider quelque chose, autrement dit lorsque la situation présente pose problème à ceux qui la prennent sans qu’il soit encore décidé de l’issue qu’on voudra lui donner (la décision « on ne change rien » reste à ce stade encore possible). Le premier acte de la décision est ce diagnostic posé sur une situation dont on décide qu’elle est problématique qui s’apparente à une décision-avant-la-décision : « il y a problème et il faut décider quelque chose ».

Si cette décision doit être partagée, elle ne doit bien sûr être partagée qu’entre personnes qui sont concernées par elle, par ce qu’on appelle une communauté d’intérêts. Ma décision d’aller courir le matin ne concerne personne d’autre que moi a priori. La décision pour un service de changer les horaires de visite concerne toutes les personnes du service. Le « devoir de partage » peut s’avérer gênant.

Mais même si le cadre de la décision est de facto délimité, localisé, situé dans le temps, contraint par des ressources limitées, il n’est toutefois pas toujours aisé de délimiter la communauté légitime des personnes concernées par le problème. On tend à réduire le périmètre des personnes concernées au cercle étroit des personnes dites compétentes – l’économie serait une affaire d’économistes, la décision dite « médicale » serait une affaire de médecins ; ou à ceux qu’il implique directement.

Ici l’éthique peut jouer un rôle comme travail réflexif par lequel nous élargissons à une communauté d’intérêts et de responsabilités des problèmes  qui semblent relever de la décision de quelques-uns. Un problème particulier est toujours enchevêtré dans une série de problèmes et donc dans une série de décisions. Par exemple, une décision concernant la prise ou non d’un médicament implique des décisions politiques sur la mise sur le marché d’un médicament. L’éthique peut être définie comme un travail de problématisation qui donne une résonance et une intelligibilité à des problèmes et à des conflits situés dans le temps et dans l’espace.

Sitôt que cette première phase de la décision est  le problème est posé, sitôt qu’il y a quelque chose à décider, on est embarqué – on effectue une décision. On ne peut pas ne pas décider car ne pas décider c’est décider.

2. L’acte décisif

La grande question est ici de savoir si le fait d’être concerné par un problème donne un droit à décider de l’issue qu’on donnera à ce problème. On peut résumer les choses en disant que le paternalisme répond « non » à cette question.

En tout état de cause, il me semble que si on parle d’une décision véritablement partagée, cela n’implique pas seulement un partage de la délibération mais aussi un partage de la décision qui la suit.

L’acte décisionnel est indissociable de la délibération qui le précède. Aristote écrivait dans l’Ethique à Nicomaque que toute action est la conclusion d’un raisonnement qui implique successivement le choix d’une fin, une phase de délibération et enfin l’action. On ne délibère pas de la même façon lorsqu’on est embarqué dans un processus où il faut trancher que lorsque la délibération est un conseil, un éclairage dont le décideur peut ou non tenir compte. C’est ce qui distingue les décisions monarchiques des décisions démocratiques ou partagées (cf l’article de Jean-Pierre Cléro dans le premier numéro de la Revue française d’éthique appliquée). Dans la décision monarchique, la délibération s’apparente à une aide à la décision, un conseil, un éclairage. Et lorsqu’on dit : « Le patient décide de faire confiance et participe à la délibération ; et le médecin décide du traitement », la décision du médecin est bien plus « monarchique » que partagée ».

Aujourd’hui c’est la délégation de l’éclairage à des outils techniques qui pourrait mettre en cause la décision partagée. On peut se référer à l’exemple du logiciel Adjuvant ! Online – logiciel d’aide à la décision en cancérologie qui décide si une femme doit recevoir un traitement adjuvant après une mastectomie - décrit dans le numéro 1 de la Revue Française d’Ethique Appliquée (E. Kempf et A. Kempf). Le problème n’est pas tant, selon les auteurs, la fin de la présence physique du médecin ou du soignant que la présentation par le logiciel de solutions « évidentes » à un problème et la tentation offerte d’un court-circuitage de la délibération.

3. L’après-décision fait encore partie de la décision.

Une décision ne prend jamais vraiment fin car toute décision crée un précédent, modifie les décisions qui seront prises après elle. En ce sens la décision est certes irréversible mais elle s’inscrit aussi dans un enchaînement d’actions qui la dépassent largement. C’est aussi pour cette raison que la délibération est un moment fondamental de la décision puisqu’elle n’élimine pas dans l’esprit de ceux qui décident la possibilité que d’autres décisions auraient pu être prises. De sorte que la phase délibérative peut être rétroactive et refaire surface après la décision.

En conclusion : le partage de la décision ne doit pas s’interpréter comme un droit à revendiquer une parcelle de décision (partage comme division) mais comme un droit à participer à un travail collectif de la décision (partage comme co-décision). À l’idée que tous doivent pouvoir décider un peu, on pourrait opposer l’idée que les personnes concernées par une décision (et non tout le monde) doivent pouvoir y participer intégralement.

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