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"Jouer derrière soi pour aller de l’avant"

"Penser la République à l’aune du soin, c’est donc lui permettre de se redécouvrir pleinement réconciliée avec elle-même et ainsi rendue plus disponible à l’Autre : notre République ne saurait grandir en assujettissant les libertés, mais en proposant à chacun une liberté qui le dépasse."

Par: Thierry Calvat, Conseil en communication /

Publié le : 14 Décembre 2015

Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.

En codifiant pour la première fois les règles du rugby il y a plus d’un siècle, les anglais ne s’y sont pas trompés. Un sport qui oblige à jouer derrière soi pour aller de l’avant constitue le plus parfait moyen d’enseigner dès le plus jeune âge le fondement même de ce qu’est le lien social : un double mouvement où d’une part seule la solidarité des lignes arrières évite d’ « en prendre plein les dents », et où d’autre part l’attention portée à celui qui est derrière vous constitue l’unique moyen d’atteindre la victoire.
Sans doute en va-t-il de même s’agissant de la République. Et si la sortie prématurée du XV de France en Angleterre aura su démontrer qu’un ensemble d’individus ne suffit pas à faire une équipe, les événements dramatiques que nous avons connus quelques semaines plus tard nous invitent à en tirer les enseignements qui s’imposent. Et pour cela savoir aller au-delà d’un primat sécuritaire se présentant comme le nouvel horizon infranchissable du vivre ensemble.
 

Un tout petit problème avec le sens de la vie

S’interroger aujourd’hui sur les valeurs de la République, du soin et de l’accompagnement revient ainsi à vouloir rassembler en une même main ce qui doit concourir à résoudre ce qu’Emmanuel Todd appelle pudiquement « un petit problème avec le sens de la vie ». En d’autres termes, investiguer ce qui nous rallie plutôt que ce qui nous oppose et qui est au cœur – même de l’acte de soin.
Le soin et l’accompagnement procède assurément de l’esprit d’Ellis[1] : à travers le care dont il fait preuve auprès du souffrant, le soignant lui évite le risque d’être définitivement relégué à l’arrière. Ce faisant, il lui réserve une place pleine et entière au sein de la communauté républicaine. On pourrait presque dire qu’il prépare à bas bruit la passe finale qui le mettra sur orbite avant de filer à l’essai.
 

Le soin est d’abord une affaire d’interdépendance

L’activité de milliers d’acteurs du soin nous en administre quotidiennement la preuve : l’humilité du puissant s’intéressant au faible fait la force de l’ensemble. Soigner enrichit autant celui qui reçoit que celui qui donne, impliquant de mourir à soi pour se recevoir de l’Autre, dans une communauté de destins désormais liés. Le soin est donc avant tout interdépendance : en une étrange symétrie, la dépendance de la personne âgée, malade ou handicapée devient aussi la dépendance de celui qui l’accompagne et pour qui elle est devenue un souci de tous les instants conditionnant pour partie sa vie.
Penser la République à l’aune du soin, c’est donc lui permettre de se redécouvrir pleinement réconciliée avec elle-même et ainsi rendue plus disponible à l’Autre : notre République ne saurait grandir en assujettissant les libertés, mais en proposant à chacun une liberté qui le dépasse, un projet qui lui permette de se voir plus grand qu’il ne se pense, et dont l’essor vital ne se limite ni à éviter le chômage, ni à travailler le dimanche.
Penser la République à l’aune de l’accompagnement, c’est aussi la rendre pleinement à sa nature démocratique, en permettant à tous de s’élever, non pas contre, mais avec les autres, en gardant toujours à l’esprit que l’on n’est jamais aussi grand que lorsqu’on s’efface devant plus fragile que soi.

 
[1] Dont la légende raconte qu’il serait l’inventeur du rugby

Dans ce dossier

Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement