Notre Newsletter

texte

article

La mort périnatale : accompagnement à l'hôpital des familles endeuillées

"L’accompagnement des parents confrontés à un décès périnatal consiste pour nous en une suite de propositions envisagées dans un cadre fait de repères, et non en une série d’obligations à remplir selon un protocole préétabli. Envisagé ainsi, il permet un cheminement parental par étapes successives et laisse une grande autonomie aux parents quant aux décisions à prendre tout au long de ce difficile parcours. "

Par: Maryse Dumoulin, Médecin en pathologie maternelle et fœtale à la Maternité Jeanne de Flandre au CHRU de Lille (59), maître de conférences à la Faculté de Lille II en Ethique et Santé Publique, Présidente de l’association « Nos Tout-Petits » /

Publié le : 17 juin 2003

Texte extrait du dossier thématique de 2005 « Face à la mort périnatale et au deuil : d’autres enjeux », disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.

Ce texte a également été publié dans Face aux fins de vie et à la mort. Éthique et pratiques professionnelles au cœur du débat, Sous la direction de Emmanuel Hirsch, Paris, Espace éthique/Vuibert, 2004.

 

Ces dernières décennies, les travaux de nombreux psychiatres et psychanalystes ont montré que le décès d’un nouveau-né en maternité entraîne la nécessité d’un véritable travail de deuil. Afin de prévenir les deuils compliqués ou pathologiques et pour engager ce travail de deuil, les parents, la famille mais aussi l’équipe soignante doivent prendre conscience de la réalité de la perte d’un enfant que souvent, ni la loi, ni la société ne reconnaissent. Donner une réalité au nouveau-né décédé implique pour les soignants de s'occuper du corps de cet enfant, de son devenir et de l’accompagner jusqu’au bout selon un rituel propre à chacun.

 

L'enfant décédé en période périnatale : une réalité médicale

Classiquement, l’embryologiste parle d’embryon de la conception jusqu’à 12 semaines d’aménorrhée (seuil limite de l’IVG), de fœtus ensuite. Suivant les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (1977) et celles du directeur général de la Santé (1993), le médecin parle d'une naissance, et donc d'un enfant, à partir de 4 mois 1/2 de grossesse (22 semaines d’aménorrhée) ou d'un poids de naissance d'au moins 500 grammes. Avant, il s'agit d'un avortement ou d'une fausse couche.
La mort de l'enfant, qu'elle se produise in utero ou juste après la naissance, peut être spontanée ou provoquée. Quand elle est spontanée, l'enfant mort-né ou né vivant, décède du fait soit de sa très grande prématurité, soit de pathologie ou de malformation létales. Quand elle est provoquée, il s'agit d'une interruption volontaire de grossesse d'indication médicale (IMG), légalisée par la loi Neyrinck de 1975 et réalisée le plus souvent pour une indication fœtale à la suite d'un diagnostic anténatal de malformation ou de maladie grave du fœtus. Dans ce contexte, la mort fœtale survient soit par accouchement provoqué d'un fœtus non viable parce que prématurissime ou atteint d'une pathologie létale, soit après injection d'une substance « fœticide » si le fœtus est viable.

 

Le fœtus décédé : un être juridiquement reconnu ?

En langage juridique, le mot fœtus n’existe pas. Le juriste parle soit d’embryon, soit d’enfant. De plus, pour la loi française, il ne suffit pas à un enfant de naître pour exister. Actuellement encore et malgré la modification du code civil de janvier 1993, un grand nombre des nouveau-nés de notre pays (plus de 30 %) n'ont pas d'existence juridique ni administrative.

Depuis la loi de janvier 1993, les circonstances de survenue d'un décès périnatal donnent lieu à trois situations juridiques différentes :

  • l'enfant aura un acte de naissance et un acte de décès s'il naît vivant à l'issue d'une grossesse d'au moins 22 semaines d’aménorrhée ou avec un poids d'au moins 500 grammes. Les inscriptions de sa naissance et de son décès sur les registres d'état civil sont obligatoires. Ses nom et prénom devront figurer obligatoirement sur le livret de famille de ses parents. Il est une personne au sens juridique du terme. Les examens autopsiques et les prélèvements réalisés sur son corps, son transport avant et après mise en bière sont soumis à réglementation. Ses funérailles sont obligatoires ;
  • l'enfant aura un acte « d'enfant déclaré sans vie », s'il naît mort à l'issue d'une grossesse d'au moins 22 semaines d’aménorrhée ou avec un poids d’au moins 500 grammes ou s'il naît vivant à moins de 22 semaines d’aménorrhée et qu'il pèse moins de 500 grammes ce qui est rarissime. Son inscription est impossible sur les registres de naissance, obligatoire sur les registres de décès, possible mais non obligatoire sur le livret de famille de ses parents. Il pourra y figurer, si ses parents le souhaitent et si le livret de famille existe préalablement à sa naissance (si ses parents sont mariés ou s’ils ont déjà eu un enfant vivant). La dotation d'un prénom n'est pas obligatoire. Pour la loi, il s'agit d'un enfant qui est mort sans jamais être né. Il n'est pas une personne au sens juridique du terme et donc les « opérations » effectuées sur son corps ne sont pas soumises à réglementation. Ses funérailles sont possibles, mais non obligatoires ;
  • pour les enfants nés morts à moins de 22 semaines d’aménorrhée et pesant moins de 500 grammes, aucun acte ne pourra être dressé pour eux. Au regard de la loi, ils n'existent pas, leurs corps non plus. Juridiquement, ce sont des « pièces anatomiques aisément indentifiables ». Leurs funérailles ne sont qu'exceptionnellement réalisables.

Qu'en est-il du devenir du corps de ces enfants non déclarés et non déclarables ainsi que de celui des enfants déclarés sans vie dont les parents n'assurent pas les funérailles ? Laissés à l’hôpital, ces corps deviennent des « pièces anatomiques aisément indentifiables » destinées à l’abandon. C’est « l’établissement qui les produit qui doit pourvoir à leur élimination dans les meilleures conditions ». Actuellement, il s’agit d’une incinération collective en crématorium. Il reste possible, pour les familles qui le souhaitent et en accord avec le maire de la commune, d’organiser des funérailles y compris par inhumation.
La situation administrative particulière des enfants nés à l’issue d’une interruption médicale de grossesse mérite réflexion. En interrompant une grossesse, le soignant se doit d’être conscient des conséquences de son geste sur la déclaration à l’état civil de l’enfant et sur les droits civils et sociaux des familles. Un geste fœticide et/ou un déclenchement d’accouchement effectués avant 22 semaines d’aménorrhée conduit, pour la juridiction sociale et civile, à l’avortement d’un « produit innomé ». Un geste fœticide réalisé après 22 semaines d’aménorrhée chez un enfant porteur d’une maladie ou d’une malformation létale, lui ôte définitivement tout accès à la personnalité juridique. Compte tenu de ces réflexions il nous paraît impensable, dans ces cas d’interruptions de grossesse ou de décès « programmés », de ne pas informer les parents sur les possibilités de déclaration et leurs conséquences avant leur prise de décision.

En droit social, les conséquences sont lourdes pour les familles concernées. Les droits sociaux, en particulier pour les femmes qui travaillent, sont subordonnés à l'existence d'un acte d'état civil (qu'il soit d'enfant sans vie ou de naissance et de décès). N'ont droit aux remboursements des frais de transport et d'hospitalisation en risque maternité à 100 %, à la protection vis-à-vis du risque de licenciement, à un congé de maternité postnatal, aux « onze jours » de congé de paternité, à la parité supplémentaire, que les parents d'enfants déclarés à l'état civil. Quand l'enfant n'a pas d'acte d'état civil (exception faite des enfants nés vivants mais non viables), il s'agit, pour le droit social, non pas d'une mère qui accouche d'un enfant mort ou qui va rapidement mourir, mais d'une femme malade hospitalisée en gynécologie.
Ainsi, pour bon nombre des nouveau-nés décédés en période périnatale et leurs parents, tout se passe comme s’il n’y avait pas eu d’enfant. La femme n’a pas accouché, elle n’est pas mère, elle sort de la maternité avec un certificat médical d’avortement tardif. L’enfant n’a pas de prénom, il n’est inscrit ni sur les registres de l’état civil, ni sur le livret de famille. Il n’a pas sa place dans la famille ; l’enfant puîné prendra sa place, son rang dans la fratrie. Les parents qui le désirent ne peuvent qu’exceptionnellement inhumer leur enfant, lui donner une tombe et effectuer les rites funéraires. Il n’existe pas de trace tangible de son existence, si courte soit-elle. Pour les parents, au traumatisme du décès périnatal s’ajoute celui de la non reconnaissance civile et sociale de leur enfant décédé et par là même la non reconnaissance de leur douleur.

Rites et pratiques autour du corps de l’enfant décédé en maternité

Certaines équipes soignantes de maternité ont modifié leurs pratiques de prise en charge des familles lors d'un décès périnatal afin de prévenir les deuils compliqués ou pathologiques. Il s'agit pour les soignants de maternité d'amener les parents à accueillir leur nouvel enfant, même s'il est mort ou s'il va mourir, pour l'inscrire dans l'histoire de sa famille et d'entamer le deuil. Cet accompagnement débute dès l’annonce avant l’hospitalisation et se poursuit jusqu’aux funérailles de l’enfant, voire jusqu’à la grossesse et la naissance de l’enfant suivant.

 

Avant l'accouchement

Il s'agit pour le soignant, dès l'annonce de la mort effective ou prochaine d'un fœtus, de restaurer d'emblée l'existence d'un enfant, d'aider le couple à admettre la réalité et de le préparer à accueillir cet enfant qu'il va falloir mettre au monde. Cette période avant l'accouchement est un temps privilégié pour parler de l'enfant, envisager son aspect qui peut être préoccupant pour ses parents, demander le prénom prévu ou proposer d'en rechercher un pour l'inscrire sur le bracelet de naissance et prévoir les habits. Le soignant prévient les parents qu'à la naissance il leur sera proposé de rencontrer leur enfant.

 

L'accouchement

C'est le moment de la confrontation à la réalité : réalité du diagnostic et réalité du corps de l'enfant. La présentation de l'enfant est toujours proposée, sans jamais être une obligation. Il s'agit d'une présentation humanisée d'un fœtus qui devient effectivement un enfant quand il est prénommé, nettoyé, habillé, présenté dans les bras d'un soignant. Les parents sont invités à prendre leur enfant dans les bras, à le bercer, et à passer s'ils le désirent un temps d'intimité avec lui.
La présence d'un pédiatre est capitale à cette étape. Dans l'équipe soignante, il représente l'enfant. Il est le soignant privilégié, celui qui épargne toute souffrance à l'enfant pendant sa courte vie. Il est le seul à pouvoir réaliser un examen clinique complet et compétent de l'enfant décédé.

 

Après l'accouchement

C'est le temps, pour l'enfant, de la réalisation éventuelle d'un examen fœtopathologique. Cet examen contribue à donner une réalité à l'enfant : « On ne peut autopsier un rien. » Sa réalisation doit être respectueuse, l'intégrité physique de l'enfant préservée et sa restauration assurée. Il est demandé systématiquement aux parents une autorisation écrite de cet examen même si elle n'est pas nécessaire légalement, quel que soit l’âge gestationnel de l’enfant. Après l'examen, le corps de l'enfant n'est pas « abandonné » au laboratoire de fœtopathologie, ni à la morgue de l'hôpital mais revient dans la chambre funéraire de la maternité.
C'est également le temps de la présentation de l'enfant à ses parents, s'ils n'ont pas pu encore le voir ou s'ils veulent le revoir, ainsi qu’aux autres membres de la famille qui le désirent. C’est ce qui impose à l'équipe soignante de connaître à tout moment où se trouve le corps de l'enfant.
Des souvenirs de l'enfant (échographies, bracelet de naissance, etc.), preuves tangibles de son existence, sont remis aux parents qui le souhaitent. De belles photographies de l'enfant dans sa présentation « humanisée » sont réalisées. La remise de ces photos aux parents qui les réclament, après le retour à la maison, sont souvent l’occasion pour les familles de parler de leur enfant mort, de la fratrie et de leurs préoccupations, et nous permet ainsi d’amorcer un suivi s’il semble nécessaire.

Rituel d’adieu et funérailles

Les funérailles constituent, avec les rites qui les entourent, le dernier moment autour du corps de l'enfant. Il nous est apparu impensable, en tant que soignant, d’abandonner les parents pour cette ultime étape. Toutefois, permettre et aider à la libre expression des rites funéraires à l’hôpital exige des soignants et des administratifs concernés une formation aux textes qui régissent les opérations funéraires. Une collaboration intelligente avec les agents de la morgue de l’hôpital, les représentants du culte, les employés municipaux des cimetières et les entreprises de pompes funèbres est également indispensable.

Quand l'enfant a été déclaré et que la famille a choisi d'assurer elle-même les funérailles, l'aide de soignants et d'administratifs de la maternité est nécessaire. Il est en effet difficile pour les parents d'assumer les formalités de naissance et de décès alors que la mère est encore hospitalisée. Cette aide consiste à présenter, au père ou à un membre de la famille, la liste des entreprises de pompes funèbres habilitées et à les soutenir pendant leurs appels téléphoniques à ces sociétés, lors des demandes de devis et dans les décisions à prendre (choix du cercueil, du cimetière ou crématorium, du devenir des cendres, etc.) Nous conseillons aussi aux parents de prendre contact avec leurs mutuelles : Nombreuses sont celles qui prévoient un forfait « obsèques », et rares sont les parents qui y pensent spontanément.

Le cercueil peut être fourni par une entreprise de pompes funèbres ou être fabriqué par un membre de l'entourage. La mise en bière est effectuée par un soignant, un agent administratif ou un parent selon les souhaits de la famille. Elle constitue la première étape d'un rituel d'adieu religieux ou profane. Dans notre expérience, ce rituel d'adieu s'exprime de façons très diverses selon les familles et les cultures. Certaines toilettes mortuaires sont ritualisées. Les habits « mortuaires » peuvent être rapportés par la famille (robe de baptême, habits confectionnés ou achetés spécialement). Ils peuvent aussi être fournis par l'hôpital. Ce peut être un simple linceul. Les objets rituels, déposés dans le cercueil par les parents, frères et sœurs, grands parents, parrains et marraines, voire les amis, sont d'expressions très diverses : fleurs, médailles, lettre ou poème à l'enfant, dessins d'enfants aînés, photos de familles, jouets achetés pour l'enfant, l'ours en peluche d'enfance de la maman, mouchoir parfumé de la mère... La durée du rituel d’adieu est courte, de dix à trente minutes. L’enfant repose dans son cercueil ouvert ou fermé, il peut être aussi dans les bras de ses parents. La cérémonie se déroule dans une pièce de la morgue ou dans le lieu multicultuel, en présence des parents et/ou de la famille élargie, des amis. Certains adieux réunissent plus de trente personnes. Les membres de l’équipe soignante qui le désirent assistent à cet adieu.

Pour les funérailles des enfants mort-nés non repris par leur famille et celles des enfants non déclarés, certains hôpitaux ont pris des dispositions plus éthiquement respectables que l'incinération comme et avec les pièces anatomiques. Dans notre maternité, une démarche collaborative de l'équipe soignante et des responsables administratifs du Centre hospitalier régional et universitaire auprès de l'administration municipale de la ville de Lille, après vote du conseil municipal, a permis en novembre 1994 la création d'un lieu d'inhumation au cimetière de Lille-sud pour les enfants mort-nés entre 4 mois 1/2 et 6 mois de grossesse et pour les enfants mort-nés de plus de 6 mois de grossesse non repris par leurs parents (leur inhumation n'étant pas obligatoire). Le personnel de la maternité se charge de la mise en bière et de l’organisation éventuelle d’un rituel d’adieu, dans les mêmes conditions que celles décrites ci-dessus pour les enfants déclarés. Le CHRU prend en charge le cercueil et le transfert du corps jusqu'au cimetière, la mairie offre le terrain. Un permis d'inhumer est délivré et l'enfant est inscrit sur les registres du cimetière. Accueilli en « service ordinaire », chaque enfant a un petit lopin où reposer avec une plaque portant son nom, son prénom et la date de son décès. Après 5 ans, les « restes » sont recueillis et placés dans l'ossuaire du cimetière. Plusieurs familles qui n'avaient pu prendre en charge les funérailles au moment du décès, ont demandé quelques mois après, l'exhumation et le transfert de l'enfant dans un caveau de famille ou dans le cimetière proche de leur domicile. L’existence de ce cimetière se révèle très importante pour beaucoup de familles qui nous racontent leurs visites régulières à l’enfant.

Pour les enfants nés à moins de 22 semaines d’aménorrhée (4 mois de grossesse), rien n’est proposé spontanément par les soignants et nous n’intervenons qu’à la suite d’une demande parentale. Nous veillons cependant à respecter l’investissement parental et à assurer un devenir également respectueux à ces « êtres » en devenir. Dans quelques cas et pour des termes proches du seuil des 22 semaines d’aménorrhée, la famille prévoit des funérailles et arrive, surtout dans les villages et petites villes à inhumer l’enfant dans un caveau de famille ou dans un coin du cimetière. Pour les autres, les corps sont conduits collectivement en cercueil au crématorium pour y être incinérés, leurs cendres sont ensuite déposées au pied des arbres du crématorium.

 

Vers plus d’humanité

L’accompagnement des parents confrontés à un décès périnatal consiste pour nous en une suite de propositions envisagées dans un cadre fait de repères, et non en une série d’obligations à remplir selon un protocole préétabli. Envisagé ainsi, il permet un cheminement parental par étapes successives et laisse une grande autonomie aux parents quant aux décisions à prendre tout au long de ce difficile parcours. Une relation parents/soignants basée sur une confiance mutuelle peut ainsi s’installer et permettre d’aller plus loin que la loi dans le respect du corps de l’enfant et dans le respect de l’investissement parental quel que soit l’âge gestationnel de cet enfant.
Ce type d’accompagnement exige de la part des soignants et des administratifs concernés une compétence professionnelle, mais aussi humaine — écoute, disponibilité et respect — qui nécessite une réflexion, une formation, une volonté spécifique et un travail d’équipe. Ce travail autour de la mort, bien que souvent difficile pour des soignants, toujours douloureux pour les parents est source d'un enrichissement mutuel et d’un progrès vers plus d'humanité.

Dans ce dossier

Accompagner un proche : Enjeux éthiques