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Identité et Mémoire, perception et représentations de la maladie neuro-dégénérative
"Cette patiente exprime bienle sentiment de perte de contrôle quand elle parle de son mari : « Je le sens aux aguets, il m’épie pour voir si je peux, si je réponds bien, si j’ai compris… »"
Par: Agnès Michon, Neurologue, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP /
Publié le : 28 Septembre 2015
« C’est toujours Richard qui est là. »
En ouvrant la revue de presse de la Fondation Médéric Alzheimer, j’apprends que Richard Taylor est mort. Richard Taylor est un psychologue américain, atteint de maladie d’Alzheimer, qui a fait entendre sa voix et celle de tous ceux atteints de la maladie d’Alzheimer, sur un blog qu’il a tenu.
« C’est toujours Richard qui est là. » Fabrice Gzil souligne que cette phrase de Richard Taylor renvoie à la peur de la perte d’identité au-delà de la peur de perdre la mémoire. Elle renvoie à la crainte profonde de devenir étranger à soi-même et à son entourage, renforcée par les préjugés et idées reçues qui sont à combattre car « chaque personne reste et demeure une personne unique, singulière, substituable à aucune autre » souligne-t-il. Il nous rappelle que la notion d’identité en philosophie repose sur le phénomène de conscience et les facultés de mémoire. Mais l’identité se construit également sur les relations intersubjectives et c’est peut-être sur cette modification de la relation à l’autre qu’il faut nous interroger dans la maladie chronique et plus particulièrement dans la maladie d’Alzheimer. En effet, si l’on écoute ce que nous disent les patients, au-delà des troubles, c’est l’impact des oublis sur la relation à l’autre qui entraîne le plus de souffrance. C’est la modification et la peur du regard de l’autre.
Les patients se sentent pris en faute, dévalorisés par rapport à ce qu’ils étaient avant la maladie et par rapport aux autres : « Je fais des bêtises, je deviens nul… » (ce que d’ailleurs leur renvoie leur entourage). Ils expriment le sentiment de perdre le contrôle de leur existence, que tout leur échappe, que leur parole ne compte plus et perçoivent la prise de contrôle de leur entourage. Cette patiente l’exprime très bien quand elle parle de son mari : « Je le sens aux aguets, il m’épie pour voir si je peux, si je réponds bien, si j’ai compris… »
Ainsi, la perte de confiance, les tensions, la peur ressentie par l’autre sont perçues : « Il m’a dit, qu’est-ce que tu vas devenir ? Je lui ai dit, écoute je ne suis pas encore devenue et si ça se trouve, tu seras encore plus mal que moi. Il a peur et ça se transmet sur moi forcément, alors je perds les pédales… »
Perdre ses moyens, être en dehors de soi : ces termes renvoient à la perte de contrôle, mais pas seulement. Être en dehors de soi, est-ce aussi devenir étranger à soi-même et à l’autre ? « C’est plus que la mémoire, c’est la pensée immédiate qui fiche le camp. » Et plus que la pensée, c’est la personne qui est touchée : « C’est quand même un trouble de ma personne ça, la mémoire, la tête, ça fait partie de mon être… ».
Ainsi, le regard de l’autre ne peut que raviver cette blessure si l’on n’y prend pas garde. « On m’a dit pour ces gens-là il y a des maisons. On m’a dit avec ces gens-là, que voulez-vous qu’on fasse. Parce que vous croyez en l’humain vous ? »
Et c’est cette vision évoluée de la maladie, la peur de l’avenir qui pèsent sur le présent, la peur de perdre la conscience de soi : « J’ai peur de ne pas m’en rendre compte plus que de faire une mauvaise bêtise, j’ai peur de moi… »
Alors est-il possible de bâtir un projet de vie, avec la maladie ? Comment accompagner celui qui est happé par la maladie, se tenir debout à côté de lui sans s’effondrer ? Accueillir et respecter cette parole est essentiel car cela en signe la valeur et bien plus : cela signe la valeur de la personne en tant que sujet dans toute sa singularité. Ne pas se laisser réduire ou réduire l’autre à la maladie, comprendre que l’on continue à se construire au travers de cette expérience de la maladie et, oui, croire en l’humain sont autant de moteurs du soin dont nous devons prendre soin au risque qu’ils ne s’érodent avec l’usure de la chronicité.
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