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Pour un amendement éthique et légitime
"Pour que le « qui n’a pas refusé officiellement consent » soit juste, il faudrait que la totalité des personnes soumises à la loi en ait connaissance. Le principe suivant lequel nul n’est sensé ignorer la loi, ne me semble pouvoir s’appliquer ici, dans une problématique aussi privée et délicate."
Par: Philippe Barrier, Professeur de philosophie, Lauréat de l'Académie de Médecine, docteur en sciences de l’éducation, enseignant associé au Département de recherche en éthique, université Paris Sud /
Publié le : 31 Mars 2015
Enseignant l’éthique médicale dans plusieurs facultés de médecine et diverses institutions, moi-même greffé (rein-pancréas) depuis vingt ans, je me sens particulièrement concerné par l’amendement à la loi relative aux prélèvements d’organes adopté en Commission des Affaires sociales de l’assemblée nationale le 19 mars dernier.
Cet amendement, sans faire renoncer au consentement présumé, en ne retenant comme légitimes que les refus exprimés sur le registre informatisé des refus, introduit de fait la notion de « refus explicite ». Il supprime ainsi le flou, dans sa définition et son application, concernant l’obligation de recueil du témoignage des proches dans une situation de prélèvement d’organes potentiel, psychologiquement et humainement très difficile. Il est susceptible d’entraîner une baisse du pourcentage des refus de don, permettant de sortir de la situation de « pénurie de greffons » qui a pu orienter le prélèvement vers des solutions sanitairement et éthiquement peut-être discutables (prélèvements sur cœurs arrêtés, catégories de Maastricht, extension du don entre vivants…).
Néanmoins, il me semble qu’il lui manque actuellement un dispositif complémentaire pour qu’il soit à la fois éthique et légitime. On sait en effet que seul un nombre très restreint de Français (moins de 5 %) connaissent les termes de la loi relative aux prélèvements d’organes, et encore moins le « consentement présumé ». Pour que le « qui n’a pas refusé officiellement consent » soit juste, il faudrait que la totalité des personnes soumises à la loi en ait connaissance. Le principe suivant lequel nul n’est sensé ignorer la loi, ne me semble pouvoir s’appliquer ici, dans une problématique aussi privée et délicate.
On ne peut pas non plus se contenter d’une promesse des pouvoirs publics de faire un effort de communication supplémentaire sur la question. Les différentes campagnes officielles sur le don montrent peu d’effets positifs, même au simple niveau de l’information. Il faut pouvoir s’assurer que personne ne puisse échapper à la connaissance des dispositions légales concernant le consentement présumé.
C’est pourquoi je propose, par exemple, qu’à la première demande de carte vitale par un individu majeur, soit joint le texte de la loi, dans une version simplifiée et très claire, sur les dispositions légales concernant le consentement présumé et la possibilité d’opposer officiellement un refus au don d’organes. Pour obtenir la carte vitale, celui qui en fait la demande devra signer un document portant la mention : « J’ai pris connaissance de la loi… ».
Sur ce document, il n’est nullement demandé à la personne de faire figurer son choix concernant le don d’organes, elle manifeste seulement le fait qu’elle a pris connaissance de la possibilité que lui offre la loi d’exprimer son refus au prélèvement d’organes, celui-ci étant automatique en cas de non expression du refus sur le registre informatisé chargé de les recueillir. On reste ainsi dans le consentement présumé, mais il est plus juste et légitime – et devrait donc souffrir de moins de difficultés dans son application – dans la mesure où il repose sur une connaissance effective de ce principe par l’ensemble de la population. Pour s’en assurer, il faudrait mettre au point des dispositifs pratiques qui restent à étudier : mise en contact avec le texte de loi à chaque renouvellement ou remise à jour de la carte vitale, lecture par un tiers officiel (médecin, pharmacien, etc.) pour les personnes illettrées par exemple.
On peut néanmoins se demander, en tenant compte de l’évolution actuelle des mentalités, si le nombre de personnes décidant de s’inscrire sur le registre des refus sera notablement inférieur au taux actuel de refus constaté.
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