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L’identité à l’épreuve du temps dans la maladie neurologique dégénérative
"La maladie d’Alzheimer provoquant d’importants troubles de la mémoire, ceux-ci entraînent-t-ils inévitablement des répercussions sur l’identité et sur le sentiment d’identité du patient ? Peut-on espérer rester soi-même lorsque notre mémoire tombe malade ?"
Par: Marie-Loup Eustache-Vallée, Philosophe, enseignante et membre de l’unité de recherche U1077, Inserm - EPHE – université de Caen/Basse-Normandie /
Publié le : 05 Septembre 2014
Ce qui nous caractérise
L’identité est ce qui caractérise un sujet, elle permet à un Homme d’être cette personne et non une autre à travers le temps et sa prise de maturité. Si Pierre est une personne de nature calme et solitaire, son identité intègre ces dimensions. L’identité est aussi une instance modulable, puisque si Pierre était parisien d’origine, qu’il est actuellement marseillais, son identité le suit et s’adapte à ce qu’il vit. L’identité est à la fois toujours la même (on parle en philosophie de mêmeté), permettant à Pierre de se reconnaître, et aux autres de le reconnaître ou d’apprendre à le connaître ; et en même temps, l’identité est dynamique et modulable (on parle alors d’ipséité). La phénoménologie allemande de Husserl, notamment, a contribué à insister sur le caractère linéaire de la construction de l'identité permettant le Soi en soi. Nietzsche, au contraire, insista sur le renouveau permanent du soi faisant penser à plusieurs sois en soi. La cohérence de notre Self naîtrait, d’après nous, de ces sois en constructions et d'une mémoire identificatrice, à la fois continue et sélective.
Si l’identité définit le Soi, qu’est-ce exactement que l’on entend par Soi (ou ce qui est habituellement nommé par les scientifiques : le Self). Le Soi n’apparaît pas si facile à définir, lorsque l’on s’aperçoit qu’il est sans cesse remis à jour par le sujet et ce qu’il vit, consciemment ou inconsciemment. Si le Soi est défini par son identité, il n’y est pas réductible puisque le sujet est aussi celui qui influence et forge son identité. Il naît d’elle et la précède. Cette dualité constructive (à la fois même et autre) est permise par le temps et, par conséquent, par la mémoire.
Un sentiment d’identité préservé
Si la mémoire contribue au maintien du Soi dans une cohérence et une unité dans le temps, que la mémoire permet une modulation constante de l’identité du sujet et sa mise à jour, qu’advient-il de l’identité du sujet lorsque la mémoire n’est plus accessible comme avant, que les mémoires sont fragilisées par une maladie ? La maladie d’Alzheimer provoquant d’importants troubles de la mémoire, ceux-ci entraînent-t-ils inévitablement des répercussions sur l’identité et sur le sentiment d’identité du patient ? Peut-on espérer rester soi-même lorsque notre mémoire tombe malade ?
Récemment et en ce sens, une étude menée au sein du laboratoire Inserm U1077 de Neuropsychologie de Basse-Normandie (Caen), a révélé une préservation du sentiment d’identité chez des patients atteints de maladie d’Alzheimer (aux stades modérés à sévères de l’évolution). 16 patients et 16 sujets contrôles ont tous été examinés individuellement dans la même institution où ils résident, deux fois, à 15 jours d’intervalle. Cette étude conclut à une préservation du sentiment d’identité dans la maladie d’Alzheimer, aux stades modérés à sévères de la maladie, et suggère une cohérence de l’idée que les patients ont d’eux-mêmes selon ce qu’ils sont au moment présent (et non selon ce qu’ils étaient avant la maladie).
Reconnaître une certaine préservation de l’identité, chez une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer à un stade modéré à sévère, fait réfléchir à une ambition nouvelle de personnaliser les soins dans l’optique d’une meilleure qualité de vie. Quelqu'un qui ne sait plus se raconter ne devient pas pour autant un étranger pour lui-même et pour les autres, mais pour cela, il faut que son environnement sache y contribuer. Si la structure dans laquelle s'insèrent les professionnels insiste sur la dimension de la personne pour laquelle il faudra prendre soin, elle valorise les patients mais aussi les professionnels travaillant au sein de l'institution. La question éthique est de ce fait primordiale : elle donne un sens à ceux qui travaillent avec des personnes faisant face à l'angoisse de vivre une maladie neurodégénérative et donne une valeur au soin qui existe en dehors de l'espoir de guérison. Enfin, elle permet d'insister sur les capacités préservées, et cette préservation est de taille lorsqu'il s'agit de la représentation de soi-même, de notre sentiment d'identité.
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