Notre Newsletter

texte

article

États végétatifs prolongés : Accepter la révolte, soutenir l'acceptation

Témoignage d'une cadre socio-éducatif spécialisée dans l'accompagnement des personne en état végétatif prolongé. Quelle spécificité de l'accompagnement, quel entourage créer, pour la personne, avec les proches et l'équipe ?

Par: Catherine Lys-Cousin, Cadre socio-éducatif, hôpital Maritime de Berck, AP-HP /

Publié le : 17 juin 2003

Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.

 

Entendre ce qui est dit et ce qui ne l'est pas

Peu après l'arrivée du patient, le service social prend contact par courrier avec l'entourage proche. Ce courrier lui indique que nous sommes à sa disposition. Un questionnaire d'une dizaine de pages est joint dans lequel tous les aspects administratifs, sociaux, juridiques et autres sont abordés. Chaque paragraphe est complété par des informations qui explicitent le sens des questions posées. Cette démarche initiale facilite ensuite la relation puisqu'on aborde ainsi des problèmes concrets qui n'ont pas été traités en amont ou que l'entourage n'osait pas évoquer, souvent par peur du jugement (lorsqu'il s'agit par exemple de considérations financières).

Une des première démarche effectuée vise à la protection de la personne : l'ouverture d'une mesure de tutelle. Généralement c'est le conjoint qui se voit confier cette mission. En l'absence de conjoint, il est fréquent que soit nommé l'un des parents, souvent la mère ou un membre de la fratrie. Une association tutélaire est désignée pour des personnes sans famille.

Comme pour tout service social hospitalier, nous intervenons dans tous les domaines de la vie sociale, plus particulièrement pour le maintien ou le recouvrement des droits sociaux.

Au delà de l'aspect technique de notre fonction, nous sommes également à l'écoute des familles qui viennent souvent nous rencontrer au début du séjour afin de partager leur douleur, leur colère, leur incompréhension, leurs espoirs. Il est primordial d'entendre ce qui est dit et ce qui ne l'est pas, afin de proposer un accompagnement adapté et d'orienter la personne selon ses besoins.
Nous recevons souvent des personnes qui ont mal vécu le séjour précédent : elles en conservent alors une rancœur. Elles ont le sentiment de ne pas avoir été entendues, de ne pas avoir été comprises, d'avoir été abandonnées, d'avoir été maltraitées, le plus souvent par manque d'information. De plus, elles n'ont pas vraiment eu le choix du transfert qui s'est imposé à elles.

Auprès de ces personnes plus que fragilisées, le service social apporte une écoute bienveillante, facilite l'expression des sentiments et tente d'être rassurant, notamment face à la culpabilité, à la peur. La relation d'aide est ici indispensable pour accompagner l'entourage et lui permettre d'évoluer dans ses sentiments. Nous avons pu parfois constater le besoin qu'ont certains de rechercher un "coupable", une "erreur". Recherche légitime ou non, il serait vain d'aller à l'encontre de leurs positions en tentant de leur expliquer qu'il n'y a pas de responsable. Cette étape semble leur être nécessaire dans le processus de cicatrisation qui leur permettra d'avancer. L'équipe entourant ces familles doit accepter d'entendre sans jamais s'impliquer, sans prendre position ou conseiller à titre personnel, ce qui est tentant lorsque l'accompagnement s'effectue sur de longs mois, voire des années.

 

L'injustice, leur colère et notre respect

Injustice. Ce terme est très souvent répété par ses proches. C'est injuste que leur parent soit dans cet état : "Il n'a pas mérité cela…" ou encore "Il n'a pas bénéficié de soins adaptés…", "On ne lui a pas donné sa chance", "Ils sont responsables…", "Ceux qui se sont acharnés sur lui…" À ce sentiment d'injustice s'ajoute souvent la colère.

Les familles ont besoin d'évacuer toutes ces impressions mêlées, et l'équipe, au sens large, de soit à un devoir d'écoute sans pour autant qu'il soit nécessaire de répondre. Il faut éviter les réponses malheureuses qui contribueraient au doute ou à la méfiance.

La souffrance des familles est difficilement supportable. Nul ne peut ressentir à la place d'un autre, mais nous pouvons faire un effort de compassion. Cette souffrance est d'ailleurs source d'échange et de communication.

Le respect est le maître mot qui doit les accompagner durant tout le séjour. La famille, lorsqu'elle a acquis la certitude de ne pas être jugée, de ne pas être incomprise, pourra dès lors développer des capacités de " survie " indispensables à son évolution. Au fil du temps, elle pourra se reconstituer, avec et autour du patient, bouleversant l'ordre auparavant établi, parfois au détriment voire au sacrifice d'autres membres de la famille. Nous pourrons ainsi observer les diverses attitudes des proches, qu'il nous faudra accepter sans jamais émettre le moindre jugement, que ce doit par nos réflexions ou dans nos actes. Certains adoptent une attitude d'éloignement, un conjoint peut envisager de refaire sa vie, une famille espace les visites jusqu'à ne plus venir, se forgeant un équilibre ailleurs… D'autres, à l'inverse, se rapprochent au point de tout abandonner, famille, conjoint, parfois enfants, travail afin d'être présent au chevet de leur patient tous les jours ou presque. Ils ne peuvent se résoudre à " l'abandonner " (ce sentiment d'abandon étant très fortement nourri par celui de la culpabilité).

Celui qui n'a pas encore choisi sur quelle berge échouer

La ré-appropriation du corps est souvent source de conflit. Les relations sont parfois difficiles entre mère et belle-fille, ou mère et gendre par exemple, concernant la place que chacun devra trouver au chevet du patient. Parfois, le chemin est long à parcourir avant de s'accepter et de partager. Dans ce domaine également, l'équipe devra veiller à ne pas juger, à ne pas prendre position, afin d'être la plus aidante possible face à des personnes en grande souffrance.

Lors d'un conflit de ce type, la mère d'un patient a demandé une inhumation en cas de décès alors que l'épouse souhaitait une incinération. La mère, retraitée, disponible, venait régulièrement au chevet de son fils, tandis que l'épouse adoptant une attitude d'éloignement, téléphonait rarement. Le jour du décès, la décision est revenue à l'épouse contre la volonté d'une mère usée par les pleurs et les sacrifices…Nous devons aider ces femmes, autant l'une que l'autre, et si la réconciliation est manifestement impossible, les accompagner individuellement. Car elles souffrent.

L'absence totale d'environnement familial ou amical est difficile à supporter dans la prise en charge du patient, et l'on se demande parfois ce qu'a bien pu vivre cette femme ou cet homme pour être aujourd'hui délaissé, abandonné de tous. L'issue fatale de ces patients isolés est toujours difficile à vivre car elle nous renvoie à notre propre mort et à des questions existentielles délicates, douloureuses et angoissantes.

La famille, l'entourage d'un patient en état végétatif prolongé apparaissent comme les conservateurs de l'histoire et de la mémoire. C'est cet entourage qui recréera un environnement dans la chambre, par des photos, de la musique… Dès lors, cette personne allongée dans ce lit devient l'infirmière que je suis. Cette femme souriante sur la photo, muette dans son lit, est la mère que je suis.

Ces personnes aujourd'hui présentes au 1er étage de l'hôpital Maritime de Berck dont bien plus que de simples patients. C'est un père ou une mère, un fils ou une fille, semblable à nous. Un corps qui voyage entre la vie et la mort, n'ayant pas encore choisi sur quelle berge échouer.

Si vous deviez vivre un jour cette situation, pensez dès à présent à tout ce que l'on peut dire à ces familles et qu'elles n'ont pas envie d'entendre, tout ce que vous n'aimeriez pas entendre. Et quand, après le décès, une femme s'adressera à vous pour demander si ce qu'elle a vu et ressenti tout ce temps très long passé au chevet de son mari, si ces signes constituaient la preuve d'un contact conscient, une présence sentie…, par pitié ne lui ricanez pas au nez en lui répondant qu'il ne s'agissait que de réflexes primaires. Soyez plus humbles et plus compatissants !

Il y a quelques années cette femme était ma mère, cet homme était mon père.