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Appel à contribution : Vivre et penser un avenir ouvert - Enjeux pratiques, éthiques et politiques

La Revue Française d’Éthique Appliquée (RFEA) porte l’ambition d’une réflexion éthique impliquée, transversale et interdisciplinaire. Pour son numéro 10, la revue lance un appel à contribution sur l’idée d’un « avenir ouvert », sa désirabilité, ses conditions de possibilité, ses multiples définitions et ses enjeux, dans les champs disciplinaires de l’éducation, de la médecine, de l’intelligence artificielle, de l’écologie, de la philosophie politique, ou encore de la génétique.

Par: Espace éthique/IDF /

Publié le : 28 Février 2020

Il s’agira d’étudier les contours de ce que pourrait être un « avenir ouvert » dans ces champs d’application, et en quoi cette conception de l’avenir est désirable.

Les développements récents de la génomique nous promettent de révéler nos prédispositions à développer une pathologie, la modélisation informatique de systèmes complexes nous permet de prévoir l’évolution du climat dans cent ans, les études démographiques nous incitent à anticiper sur le vieillissement de la population à l’horizon 2050. En découlent des projets de vie ou des scénarios politiques et économiques qui nous projettent dans dix ans, cinquante ans ou même cent ans. Ces projections, issues des recherches scientifiques, des statistiques, de l’économie ou de la médecine, partagent un point commun : elles nous invitent à calculer et à simuler pour planifier et anticiper les évolutions à venir à partir des tendances inscrites dans le présent, selon une modalité de l’anticipation que l’on pourra dire « prédictive » (Coutellec, Jolivet, Moser, Weil-Dubuc, 2019).

Une crise de l’avenir

Nous pourrions nous féliciter de pouvoir ainsi nous préparer au changement climatique ou au vieillissement de la population et, de cette manière, nous rendre davantage maîtres de nos destins individuels et collectifs. Si ce n’est que cette fièvre de l’anticipation cohabite aujourd’hui avec une crise de l’avenir. Et cela va au-delà des annonces catastrophistes de la « collapsologie » et du débat autour de sa scientificité ou de sa pertinence pour ouvrir des perspectives constructives (Lecomte, 2019). Plus profondément, à trop vouloir prévoir – et à confondre nos prévisions avec des prophéties ou une destinée –, l’avenir semble étouffer sous le poids d’un futur qui semble toujours déjà-là. Un futur qui hante notre présent et influence nos choix. En ramenant notre avenir au présent et en réduisant le champ des possibles au probable, c’est un avenir fermé que nous construisons. Un avenir implacable, un avenir inhabitable dans lequel nous ne pouvons pas nous projeter. Pour l’historien François Hartog (2003), ce futur sans avenir[1], doublé d’un « passé qui ne passe pas », est typique du nouveau régime d’historicité dans lequel nous nous sommes installés dans la seconde moitié du XXème siècle : le « présentisme ».
C’est ce nouveau rapport au temps que nous aimerions questionner dans le numéro 10 de la Revue française d’éthique appliquée car il pose, de manière aiguë, la question de notre avenir, sa désirabilité et ses conditions de possibilité. Comme le rappelle Bernard Stiegler, « la possibilité de l’avenir est fragile : c’est pourquoi la fin de l’avenir est possible, beaucoup plus probable que la fin du devenir » (Stiegler, 2003). Or, cette possibilité même de l’avenir est devenue, depuis Hans Jonas, une question d’éthique à travers la responsabilité qui nous incombe vis-à-vis des générations présentes et futures de préserver la possibilité d’une « vie authentiquement humaine sur terre » (Jonas, 2013). Mais au-delà de cet appel en creux à ne pas détruire, cette idée d’un « avenir ouvert » trouve écho aujourd’hui dans des appels positifs à « changer d’avenir » (Economistes atterrés, 2017), à renouveler nos imaginaires (Zanzibar, 2020),  et à changer de paradigme (Internationale convivialiste, 2020). Toutes ces initiatives semblent avoir un point commun : l’idée de dépasser le célèbre « There is no alternative »[2] et de promouvoir une vision ouverte de l’avenir. Très souvent, nous nous en tenons là. C’est pourquoi nous voulons aller plus loin et discuter de perspectives concrètes, de manière pluridisciplinaire.

Questionner la notion d’« avenir ouvert »

En effet, pour intégrer dans nos réflexions éthiques ce soin que nous devons porter à l’avenir pour le laisser « ouvert » – c’est-à-dire ouvert à la possibilité qu’advienne ce qui n’est pas encore là, non pas comme processus « naturel », comme futur qui pourrait très bien se dérouler sans nous (Joy, 2000) mais comme création humaine –, encore faut-il déterminer les contours  de ce que nous voudrions préserver ou restaurer. C’est en cela qu’il faudrait d’abord questionner l’idée même d’un « avenir ouvert ».
Puisque l’« avenir » a nécessairement une dimension « ouverte » en ce qu’il est une construction individuelle et sociale, pourrait-on penser que l’avenir « fermé » serait un avenir livré aux déterminismes économiques, sociaux et culturels ? Ou bien un avenir construit pour nous, mais sans nous par des experts – médecins, politiques, économistes… –dans une logique autoritaire ou paternaliste (notre tribune) ? Ces réflexions nous interrogent sur les dimensions sociales et politiques de la notion d’« avenir ouvert » – Qui décide de l’avenir de qui ? Peut-on décider pour un enfant ? Comment ? –, mais aussi sur les dimensions culturelles. En effet, penser un « avenir ouvert », n’est-ce pas occulter, en quelque sorte, nos déterminismes et notre interdépendance ? N’est-ce pas une volonté de contrôle de sa vie, des autres, et des processus naturels qui confine à l’hubris de l’homme  qui se veut « comme maître et possesseur de la nature » (Descartes, 2000)? D’autre part, penser un « avenir ouvert » qui échappe aux prédictions, aux prévisions et aux déterminismes, ne serait-ce pas nous mettre en insécurité, et nous rendre irresponsables par rapport à nos actions sur les autres et sur la nature ? L’« avenir ouvert » a donc aussi à voir avec les notions de responsabilité, de démocratie, de contrôle, et de limite, voire d’autolimitation. Un « avenir ouvert » qui aboutirait à la destruction de cet avenir même pourrait-il être considéré comme « ouvert » ? Enfin, l’« avenir ouvert » ne pourrait-il pas n’être qu’une manière de papillonner dans jamais creuser son sillon, en laissant toutes les possibilités ouvertes et sans jamais les réaliser pleinement (Mills, 2003 ; Kierkegaard, 1984) ? Quelle humanité cela pourrait-il façonner ? Et comment évaluer ce qu’est une possibilité ouverte ou non ?

Comment penser l’« avenir ouvert » dans sa pluralité ?

Quel est donc cet « avenir » auquel nous aspirons et qui s’opposerait au simple « devenir » naturel ? Pouvons-nous penser l’« avenir ouvert » en creux, à la manière de Hans Jonas, comme la boussole qui nous permet d’éviter tous les écueils qui mettraient en danger la permanence « d’une vie authentiquement humaine sur terre » (Jonas, 2013) ? Est-ce la perpétuation possible du « monde », comme Joan Tronto le suggère dans son éthique du care[3] ? Est-ce qu’il est alors question de préserver le potentiel évolutif de notre environnement social et écologique[4] ? S’agit-il plutôt, comme l’envisage Ernst Bloch, de préserver nos capacités à créer des utopies comme horizon pour explorer « les possibilités objectives du réel et le combat pour leur concrétisation » (Bloch, 1976) ? Ou bien, avec Joel Feinberg (1980), comme la préservation du maximum de possibilités et d’opportunités offertes à venir à l’individu ? Dans ce cas, peut-on penser l’avenir ouvert comme un nouvel avatar de l’égalité des chances ? Ne faudrait-il pas plutôt considérer que ce « droit » réside davantage dans l’autonomie présente de l’individu (Mills, 2003) qui lui permet de choisir ce qu’il croit être le mieux pour lui, ou la préservation de cette capacité à l’avenir (Habermas, 2002) ? Et est-ce qu’un avenir ouvert ne pourrait pas également être un « droit à l’ignorance » ou à l’insouciance ? Ne pourrait-on pas, alors, penser que l’« avenir ouvert » serait un avenir volontairement incertain ? Pour aller plus loin, cette conception d’un avenir volontairement incertain ne serait-elle pas irresponsable au regard des enjeux sociaux, environnementaux et politiques du temps présent et au soin que nous devons apporter aux générations futures ?
On le voit, la notion d’« avenir ouvert » est plurielle. Elle pourrait être synthétisée comme la préservation du potentiel évolutif de la nature, de la société ou de l’homme, comme une fonction utopique, comme un principe d’égalité des chances, ou encore comme un principe d’ignorance ou d’insouciance.

Vivre un « avenir ouvert » : quel statut politique, éthique et juridique de cette notion ?

Dans toute sa diversité, la notion d’« avenir ouvert » a été utilisée pour nourrir les réflexions dans de nombreux champs de recherches et de pratiques : dans l’éducation, en médecine[5], en génétique (Weil-Dubuc, 2014), en écologie, en politique, en informatique, ou encore en bioéthique[6]. Qu’en est-il de l’inscription de l’« avenir ouvert » dans ces différentes pratiques, des questions qu’il permet de soulever et de sa mise en œuvre ? Devons-nous parler de l’« avenir ouvert » en termes de droit – le « droit à un avenir ouvert », comme le suggère Joel Feinberg –, comme d’un principe d’équité pour éviter la perte de chances, comme d’une règle de déontologie, comme d’un soin, ou encore comme d’un fondement de notre vie politique ? Peut-on parler de cet « avenir ouvert » comme dépendant uniquement de nous-mêmes, comme semble nous l’intimer la littérature de développement personnel – « ton avenir ne dépend que de toi ! » – ou bien ne peut-il être défini, à un certain niveau, que collectivement, comme auto-détermination dans un cadre démocratique ? En corollaire, quelle est la dialectique que nous pouvons définir entre l’avenir de l’individu et celui de la société dans son ensemble ?
L’ambition de ce numéro 10 de la Revue française d’éthique appliquée sera de questionner la pertinence de cette notion, sa définition et ses implications pour faire entrer la notion d’avenir ouvert de manière plus large et argumentée dans les débats contemporains.

Mots-clés 

Avenir ouvert, futur, devenir, éthique, présentisme, éducation, égalité des chances, diagnostic, prédiction, algorithme, gouvernance, développement personnel

Modalités de soumission

Les propositions d’article sont à envoyer à l’adresse revue@espace-ethique.org avant le 10 avril 2020 et doivent compter environ 5000 signes (espaces compris, times new roman, 11). Anonymes, elles comporteront un titre, trois mots-clés, des références bibliographiques. Un document distinct et joint présentera le ou les auteurs (Nom, prénom, institution, laboratoire, adresse mail). Les propositions seront évaluées par le comité éditorial de la revue.
Les articles devront ensuite être rédigés et envoyés à la même adresse pour fin juin et devront compter environ 30 000 signes (espace compris). Nous vous invitons à consulter le document de présentation de la revue et de recommandation aux auteurs.
Appel à contribution : 2 mars 2020
Date limite pour l’envoi des propositions : 10 avril 2020
Retour évaluation : 4 mai 2020
Remise du texte complet (30 000 signes maximum) : fin juillet 2020
Publication du N°10 de la revue : décembre 2020

Références bibliographiques

Affdal, AO ; Ravitsky, V. 2019. « Chapitre 9. Oncofertilité et jeunes filles prépubères : Un « droit à un avenir ouvert » ? », Journal international de bioéthique et d'éthique des sciences, vol. vol. 30, no. 3, pp. 159-177, https://www.cairn.info/revue-journal-international-de-bioethique-et-d-et..., consulté le 25 février 2020
Bloch, E. 1976. Le Principe Espérance, t. 1, Paris, Gallimard
Conseil d’éthique allemand. 2012. Avis « Intersexualité », https://www.ethikrat.org/fileadmin/Publikationen/Stellungnahmen/franzoes..., consulté le 25 février 202
Coutellec, L. ; Jolivet, A. ; Moser, S.J. ; Weil-Dubuc, P-L. (sous la direction de), 2019. Le futur de la santé. Pour une éthique de l'anticipation, Paris, Editions de la Maison des sciences de l'homme.
Descartes, R. 2000. Discours de la méthode, Paris, Garnier Flammarion
Économistes atterrés. 2017. Changer d'avenir. Réinventer le travail et le modèle économique, Paris, Les Liens qui Libèrent
Feinberg, J. 1980. « The Child’s Right to an Open Future », in Whose Child? Children’s Rights, Parental Authority, and State Power, dir. William Aiken et Hugh LaFollette, Totowa,  Rowman & Littlefield
Gislain, J-J. 2017. « Futurité, la temporalité économique chez J. R. Commons », Œconomia, mis en ligne le 01 juin 2017, http://journals.openedition.org/oeconomia/2696, consulté le 25 février 2020
Habermas, J. 2002 L’avenir de la nature humaine. Vers une eugénisme libéral ?, Paris, Gallimard
Hartog, F. 2003. Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil
Internationale convivialiste. 2020. Second Manifeste Convivialiste, Paris, Actes Sud
Jonas, H. 2013. Le Principe responsabilité, Paris, Champs essais
Joy, B. 2000. « Why the Future Doesn't Need Us », Wired, https://www.wired.com/2000/04/joy-2/, consulté le 18 février 2020
Kierkegaard, 1984. S. Ou bien... Ou bien..., Paris, Gallimard
Lecomte, J. 2019. « Comment communiquer sur l’environnement ? Par la peur ou par l’espoir ? », Psychologies.com, 10 juillet, https://www.psychologies.com/Planete/Eco-attitude/Agir/Articles-et-Dossiers/Comment-communiquer-sur-l-environnement-par-la-peur-ou-par-l-espoir, consulté le 19 février 2020
Mills, C. 2003. « The Child’s Right to an Open Future ? », Journal of Social Philosophy, Vol. 34 N°4
Stiegler, B. 2003. Aimer, s’aimer, nous aimer. Du 11 septembre au 21 avril, Paris, Galilée
Tronto, J. 2009. Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte
Weil-Dubuc, P-L. 2014. « Dépasser l'incertitude. Le pari hasardeux de la médecine prédictive », Esprit, 2014/7 (Juillet), p. 20-29, https://www.cairn.info/revue-esprit-2014-7-page-20.htm, consulté le 25 février 2020
Zanzibar (collectif). 2020. « Zone de rêve collectif », Le Monde Diplomatique, février, https://www.monde-diplomatique.fr/2020/02/ZANZIBAR/61351, consulté le 18 février 2020