Cet élargissement induit logiquement un élargissement du pathologique, de ce que signifie « aller mal » et ouvre la voie à une montée en puissance, dans les années 1970, de la présence du terme « souffrance psychique » dans les publications francophones. D’une certaine manière, l’objet-souffrance se place à l’interface entre les deux conceptions de la santé évoquées plus tôt : elle peut être un symptôme clair d’un phénomène pathologique mais aussi relever d’un fonctionnement considéré comme normal – auquel cas elle ne cesse pas pour autant d’être un frein à l’état de complet bien-être promu par l’OMS.
Ce dossier porte sur les usages du concept de souffrance psychique dans une perspective éthique. L’objectif n’est pas seulement d’en pointer les mauvais usages, de décrire et de critiquer la psychiatrisation ou la « santé-mentalisation du monde » mais d’interroger son utilité. À quoi nous sert le concept de souffrance psychique ? Qu’est-ce que ce terme nous permet d’accomplir, en termes de compréhension des phénomènes, d’action médicale ou d’action publique ? Peut-il être un simple concept descriptif, à utilité scientifique, ou bien charrie-t-il inévitablement son lot de considérations normatives qu’il conviendrait d’interroger sur le plan éthique et politique ?