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Maladie d'Alzheimer, vivre autrement, vivre différemment

"Il est certain que le changement profond auquel la personne malade et son entourage vont être soumis relève d’un défi, d’un combat héroïque qui doit être encouragé, soutenu et accompagné. Comment alors penser un soutien qui puisse étayer une identité fortement fragilisée par les pertes successives ?"

Par: Judith Mollard-Palacios, Experte psychologue, Union France Alzheimer /

Publié le : 23 Septembre 2015

« La vie n’est pas d’échapper à la tempête mais de danser sous la pluie. »
Petit manuel à l’usage des personnes jeunes qui viennent de se découvrir malades d’Alzheimer, Michèle Beucher
 
Vivre autrement, vivre différemment. Vivre sans ce que la maladie nous retire ; Vivre avec ce qui nous reste et ce qui parfois se révèle à nous quand la maladie nous confronte à nos limites et nous oblige dans un même temps à les dépasser, à aller puiser dans des ressources psychiques insoupçonnées pour faire face.
Un « faire face à la maladie » au sens de pouvoir affronter la situation de front, sans chercher à fuir une réalité douloureuse et qui va permettre le « vivre avec » la maladie. Car il ne sera possible de contourner et déjouer les limites qu’elle nous impose que si on est en mesure de les reconnaître.
Cependant ce faire face est loin d’être observé chez toutes les personnes malades et la clinique nous montre chaque jour à quel point les réactions face à la maladie divergent d’une personne à l’autre, avec le plus souvent des attitudes de déni, de dénégation ou de banalisation, notamment quand il s’agit d’une pathologie qui atteint les fonctions cognitives. Quels facteurs peuvent favoriser les phénomènes de résilience et d’acceptation ; s’agit-il de prédispositions personnelles, d’une force de caractère exceptionnelle, d’une préservation anatomo-pathologique de certaines zones du cerveau, de la capacité de l’entourage familial à soutenir cette prise en main de la maladie par la personne elle-même, d’un accompagnement professionnel ou bénévole hors pair ?
Il est certain que ce changement profond auquel la personne malade et son entourage vont être soumis relève d’un défi, d’un combat héroïque qui doit être encouragé, soutenu et accompagné. Comment alors penser un soutien qui puisse étayer une identité fortement fragilisée par les pertes successives. Une identité impactée par la maladie qui fait que la personne se sent changer tout en restant intrinsèquement la même.
Il est bien entendu nécessaire de reconnaître la douleur d’une famille frappée par l’annonce diagnostique de la maladie incurable qui inévitablement va modifier l’équilibre familial et sa capacité à se projeter. Mais il ne faut pas négliger les forces vives et créatives dont est capable le couple ou le groupe familial pour lui permettre d’intégrer ce changement, éviter les ruptures et réinventer une vie différente.
Depuis les « années Sida », les revendications portées par les patients eux-mêmes quant à leurs compétences à être acteur de leur maladie et à co-construire avec les soignants des valeurs et des connaissances relatives à leur prise en soin se sont étendues à d’autres pathologies. À côté des compétences thérapeutiques, il y a les savoirs « expérientiels » qui sont tout aussi importants pour permettre ce « faire face ». Savoirs « expérientiels » qui si ils sont reconnus, valorisés, situent la personne malade autrement, la sortent du sentiment d’inutilité et de représenter une charge pour sa famille et pour la collectivité. Ils l’autorisent à exister autrement que comme un poids mort, un fardeau éventuellement tenu comme responsable de l’épuisement de ses plus proches.
Cette appropriation de la maladie par celui qui la porte doit nous amener à repenser la place de la personne malade dans les dispositifs de soin qui lui sont proposés. Écouter ce qu’elle souhaite nous dire, même si les troubles cognitifs entravent parfois ses capacités à communiquer ou la fluidité de sa pensée ; lui laisser la possibilité de faire des choix, soutenir ses positions actives et faciliter ses expressions du vécu de la maladie.
Le tissu associatif participe depuis plusieurs années à faire bouger les lignes des représentations négatives et stigmatisantes qui influent directement le vécu de la maladie. Une lutte a été ainsi menée pour l’emploi d’un vocabulaire qui exclut les termes de démence, de détérioration, de placement. Les associations ont également un pouvoir d’inventivité qui permet de développer des propositions où la personne, malgré sa maladie, se trouve en position active et peut s’exprimer via différentes médiations. Une position active qui la met en capacité de donner, de transmettre et pas seulement de recevoir, qui lui permet de conserver sa place au sein de la cité.