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Maladie d’Alzheimer et approche éthique de la fin de vie en institution

"Une démarche éthique qui permet d’affiner l’analyse de la situation est indispensable lors des prises de décision difficiles en fin de vie. Celles-ci surviennent lorsqu’il est difficile de trouver ce qu’il serait juste de faire « pour bien faire », tant les valeurs habituelles de référence que sont les principes de bienfaisance, de non malfaisance, de justice et d’autonomie peuvent parfois s’opposer."

Par: Elisabeth Quignard, Médecin en gériatrie et soins palliatifs, Réseau régional Champagne Ardenne RéGéCAP /

Publié le : 28 Juillet 2014

Tournés vers la qualité de vie des personnes âgées en institution, les  soignants souhaitent privilégier — au-delà des nécessaires soins de confort et des réponses adaptées aux différents symptômes et notamment à la douleur — une relation soignante de qualité, en maintenant la personne malade dans son environnement habituel, si possible jusqu’au bout.
Pour cela, ils ont tout avantage à solliciter l’aide d’une équipe mobile de soins palliatifs ou encore de l’HAD qui peut apporter une expertise complémentaire, un regard extérieur, une écoute du patient comme des membres de l’entourage professionnel et familial qui peinent à trouver du sens dans une période de fin de vie souvent longue et en semblant totalement dénuée. L’approche palliative peut aider à respecter l’autre jusque dans son dénuement et à l’accompagner sur son chemin en cherchant à valoriser son humanité et sa dignité.
La place laissée aux membres de la famille pour entourer le malade d’Alzheimer autant qu’ils le souhaitent, en les aidant au besoin à investir l’espace relationnel, est certainement primordiale pour rendre moins douloureuse la séparation à venir ; ils sont en effet confrontés à la perte d’identité de celui qui est devenu autre et à un douloureux sentiment d’impuissance. Mais on peut leur rappeler que l’émotion et le désir permettent encore des relations privilégiées, où l’affectivité peut s’exprimer, où l’amour garde sa place.
L’accompagnement s’attache alors en priorité à satisfaire autant que possible les désirs et les attentes de la personne malade, dans ce qu’elle a pu exprimer auparavant, y compris dans ses éventuelles directives anticipées qu’on aura pu l’encourager à écrire.
 
Chez les malades d’Alzheimer, une des difficultés rencontrées provient des troubles fréquents de la communication verbale à un stade avancé de la maladie qui rendent difficile l’évaluation des symptômes et empêchent l’expression des souhaits de la personne. Il convient donc de tenter de les déchiffrer dans l’attitude du patient selon qu’il se montre opposant aux soins, démissionnaire ou bien coopérant, car la communication n’est pas seulement verbale, mais passe aussi par le toucher, l’observation du visage et de la posture…                                                                                                         
D’autres difficultés proviennent des troubles du comportement souvent associés et d’un mélange, souvent complexe à décoder, de douleur et d’anxiété étroitement mêlées. La formation des différents intervenants à des méthodes de communication non verbale est donc un enjeu important pour améliorer les soins relationnels.
 
Et puis, dans l’accompagnement, l’aspect spirituel ne doit pas être négligé. Tous les intervenants, médecins et soignants, sont concernés ; nul besoin de spécialiste pour entendre les questions, les souffrances, écouter avec bienveillance lors des consultations ou des soins ce que le patient veut nous dire… On parvient progressivement, si l’on est attentif, à déchiffrer les signes d’une souffrance existentielle dans la peur de l’inconnu, dans le sentiment de solitude et d’abandon, dans la détresse liée à la finitude, dans le besoin de reconnaissance, dans  l’exigence d’être entouré, rassuré, aimé dans sa fragilité même.
Par ailleurs, dans les situations complexes de fin de vie, il arrive que les professionnels manquent de repères, notamment dans les processus décisionnels. Les personnes âgées souffrant de démence confrontent souvent les équipes médicales aux questions d’acharnement ou au contraire d’abandon thérapeutique, à la souffrance morale liée à une dépendance importante et à une perte d’autonomie majeure, aux tentations d’euthanasie enfin. C’est alors que l’éthique de la discussion prend toute sa place et que les rencontres entre l’équipe référente et d’autres intervenants permettent d’exposer différents avis et de croiser des compétences utiles.
 
Une démarche éthique qui permet d’affiner l’analyse de la situation est indispensable lors des prises de décision difficiles en fin de vie. Celles-ci surviennent lorsqu’il est difficile de trouver ce qu’il serait juste de faire « pour bien faire », tant les valeurs habituelles de référence que sont les principes de bienfaisance, de non malfaisance, de justice et d’autonomie peuvent parfois s’opposer : faut-il poser une sonde d’alimentation entérale à un patient dénutri et qui montre une opposition aux soins et un syndrome de glissement ? Faut-il poursuivre des séances de dialyse épuisantes et qui semblent disproportionnées au regard de l’état général altéré du patient ? Faut-il poursuivre telle série de transfusions sanguines ? Faut-il réaliser une amputation d’un membre ou laisser évoluer une artérite des membres inférieurs à un stade avancé ?
L’éthique soignante, on le voit, ne peut être simplement une réponse à la question « que faire ? », mais relève d’une interrogation permanente : comment l’aider à vivre avec cela et à construire du sens ? Il convient aussi de se rappeler que l’on soigne un patient dont la vie s’approche du terme et non une maladie. Que, malgré des troubles cognitifs même importants, ce patient peut et doit être sollicité afin de donner son avis pour ce qui le concerne car on est parfois surpris de la pertinence de la réponse…
En acceptant de se laisser questionner et parfois bousculer, en restant disponible et ouvert aux valeurs de l’autre, chaque soignant peut exprimer les siennes et, d’une discussion collégiale, peut alors émerger une décision mûrie et assumée par le médecin. Cela demande une implication personnelle autant que professionnelle, un certain savoir-faire, mais surtout un savoir-être, le choix d’un prendre soin respectueux et d’un accompagnement sans faille de celui dont la vie se termine.