Notre Newsletter

texte

article

L’agressivité des malades comme indicateur de la relation soignant-soigné

"En dehors de toutes étiologies neurologiques, somatiques ou iatrogènes, l’agressivité est généralement une manière de dire, un langage corporel (parfois verbal) qui montre l’inadaptation entre l’environnement et les besoins du patient. "

Par: Jean-Luc Noël, Psychologue Clinicien, Paris, Co-président du conseil scientifique de l’association Old Up, Psychologue référent de l’association ISATIS / Daisy Légier, Psychologue clinicienne, Hôpital Sainte Périne, AP-HP /

Publié le : 28 Juillet 2014

L’agressivité du malade Alzheimer ne peut pas être uniquement pensée comme un symptôme de la maladie car elle est bien souvent révélatrice d’une incompréhension dans la relation soignant-soigné.
Le terme d’agressivité, régulièrement utilisé, apparait impropre à désigner ce que nous percevons de cette violence, qui apparait plus souvent réactionnelle qu’intentionnelle.
Or, cela change tout car entre la volonté de faire mal (qui traduit plus précisément le caractère agressif de cette violence) et la réaction violente face à une situation incomprise, l’écart est considérable. Tenter de donner du sens à ces comportements, par l’analyse de l’environnement et de l’incompréhension des malades, est le propre de la prise en soins. 
En dehors de toutes étiologies neurologiques, somatiques ou iatrogènes, l’agressivité est généralement une manière de dire, un langage corporel (parfois verbal) qui montre l’inadaptation entre l’environnement et les besoins du patient.
En effet, autant l’institution est rythmée par un écoulement du temps auquel correspond des taches à réaliser et des soins à faire, autant le patient se réfère à l’ici et maintenant en fonction de son ressenti. Ce décalage entre deux perceptions d’une même réalité peut donc conduire à une incompréhension réciproque, le soignant allant à son rythme (rythme dicté par l’organisation institutionnelle) alors que le malade ne le suit pas. Et inversement.
Les situations d’incompréhension sont aussi nombreuses que les actes à réaliser.
 
Pour ne donner que quelques exemples :
Qu’en est-il de l’utilisation systématique du langage verbal, explicatif, face à un patient qui présente des troubles phasiques majeurs et qui, devant cette incompréhension, se met en colère ?
Qu’en est-il de ce patient qui, ne comprenant plus ni l’utilité de la toilette, ni la situation même d’être dans une salle de bain, se met à frapper l’aide soignant qui le touche, vivant cela comme une agression, voire comme une agression sexuelle ?
Qu’en est-il de cette patiente désorientée, agitée, qui veut sortir de l’hôpital car elle croit avoir 30 ans et que ses enfants l’attendent à l’école ?
Cette perception de la violence par les équipes soignantes peut donc être un bon indicateur de la relation soignant-soigné et de l’inadaptation entre les besoins du patient à un moment donné et son environnement.
On peut ainsi s’interroger sur la capacité de l’institution à s’adapter à la temporalité du malade (faire les soins d’hygiène l’après-midi, par exemple) et ainsi améliorer la relation. Si, au contraire, on continue de soumettre le malade au rythme institutionnel par tous les moyens (avec un recours médicamenteux par exemple), il est évident que cette relation soignant-soigné ne sera pas de qualité.
Chercher à mettre du sens sur ces réactions comportementales, même violentes, et prendre en considération leur cohérence au regard des symptômes est par contre un bon indicateur d’une relation soignant-soigné de qualité, car réfléchie.
 
Cette manière de voir l’agressivité nous aide aussi à penser l’adéquation entre le lieu de soin du malade et ses besoins. En effet, toute équipe, aussi bienveillante soit-elle, est confrontée à ses limites (par l’architecture, les missions confiées, la population accueillie). Le comportement dit agressif du malade peut donc être l’indicateur que ces limites sont atteintes. Pensons à un patient qui a besoin de déambuler et qui se retrouve dans un espace confiné et « s’acharne » sur une porte fermée. Ce n’est pas tant l’approche soignante qui est ici en cause, car la prise en compte de cette réalité par l’équipe sera signe de bons soins, mais un environnement inadapté qui nécessiterait une réorientation.
 
Il s’agit donc de ne pas s’arrêter à ce stéréotype de pensée autour de la maladie d’Alzheimer qui nous dit qu’ « ils deviennent agressifs » pour tirer des enseignements soignants de cette violence observée. Une réflexion autour de ces comportements plutôt que leur condamnation d’emblée, permettrait une remise en question des pratiques soignantes dans le but d’améliorer la prise en soin.